mercredi 26 mars 2014
mercredi 12 mars 2014
L'écran noir
Mon écran d’ordinateur est désespérément noir. Ou blanc. Peu importe.
Il est vide. Je n’arrive pas à coucher
la moindre phrase. Le moindre mot. Manque d’idées ? Pas vraiment. Plutôt
pléthore. Les sujets s’entrechoquent dans ma tête. Lequel traiter dans le magma
d’informations et d’événements ?
Tout à mon flottement, je vois l’écran s’iriser graduellement d’une lumière
verte, illuminant mon bureau d’un halo singulier. Le phénomène m’est devenu familier.
Je connais la suite. Un bourdonnement sourd s’ensuit. L’écran s’assombrit quelque
peu. Mes applications se referment. Mon extra-terrestre est en train de me
contacter via mon ordinateur. Ce n’est pas sa première visite. Pourtant, je
suis aussi excité qu’à la première fois. Des lettres s’affichent sur l’écran, puis
des mots, puis des phrases.
– Bonjour terrien.
Une question me brûle cette fois-ci les lèvres :
– Vous êtes en contact avec d’autres terriens que moi ? lui
demandé-je pour la première fois.
– Vous êtes quelques-uns dans ce cas. Nous étudions votre
civilisation en vous observant. Je te contacte cette fois-ci pour corroborer
nos études à travers ta perception de ce qui se passe en ce moment.
Je suis sidéré. Comment le simple terrien que je suis peut-il présenter
autant d’intérêt pour une civilisation avancée du monde interstellaire ! Ou
ne suis-je finalement que cette bactérie observée par d’éminents chercheurs à
travers leurs microscopes électroniques ! Conscient de ma condition d’atome
dans l’univers cosmique, je me plie aux expérimentations de mon chercheur et
lui livre les tourments qui agitent mon monde infinitésimal :
– Vois-tu, dis-je à mon visiteur d’outre-atmosphère, je suis perplexe
devant l’amas de sujets. Je ne sais lequel traiter dans ma chronique de cette
semaine. J’ai pensé au début au 8 mars et à la fête des femmes. Or, j’ai déjà
abordé ce sujet dans Les fleurs, ce sera pour un autre
jour. Sauf à me répéter, je n’ai pas envie de reparler de l’hypocrisie
des hommes envers les femmes. Ils les violentent verbalement, sexuellement,
physiquement toute l’année, et leur souhaitent bonne fête un jour.
– Effectivement, dans certains pays,
jusqu’à 70 % des femmes assassinées l’ont été par leur partenaire. Dans
d’autres, une femme est tuée par son compagnon tous les trois jours. Partout, par-delà
les frontières, la fortune, la race ou la culture, des femmes subissent des
actes ou des menaces de violence. En temps de guerre comme en temps de paix,
elles sont battues, violées, mutilées en toute impunité.
– Je voulais aussi parler de ce sentiment de perplexité devant une
économie qui, par certains côtés présente tous les indices d’évolution
dynamique, et par d’autres semble totalement figée.
Mon extra-terrestre ne réagit pas. Il m’écoute, ou plutôt… m’observe.
Je me demande s’il ne serait pas en train de prendre des notes.
– J’aimerais parler de ce qui se passe en Ukraine et de l’onde de choc
produite à travers le monde. Mais c’est encore trop chaud. J’attends que ça
décante. C’est un phénomène nouveau. Un jour, des peuples se soulèvent comme un
seul être pour mettre fin au pouvoir en place. Ça arrive de plus en plus
fréquemment dans tous les continents, chaque fois qu’il y a un pouvoir
despotique, sourd devant les aspirations de son peuple. Le monde évolue dans l’incertitude.
Difficile de prévoir ce qui se passera dans les prochains six mois. Déroutant.
J’attends une réaction de mon extra-terrestre. Je n’en vois aucune. Je
poursuis :
– En fait, je suis perturbé par
cet avion de la Malaysia Airlines qui a disparu avec ses 239 passagers. J’ai déjà
voyagé avec cette compagnie. Ses équipages sont si courtois. J’ai séjourné à
Kuala Lumpur. Les malaisiens sont d’une incroyable gentillesse. Je ne sais si
cette disparition est un accident ou le résultat d’un acte terroriste. Auquel
cas la race humaine est devenue folle. Ça m’a troublé et c’est pour ça que je
suis perdu devant mon ordinateur, incapable d’écrire un mot. Je ne sais où va
notre monde.
– Rappelle-toi ce
que je t’avais dit, terrien. Votre planète est l’une des plus belles de l’Univers. Riche, généreuse,
fascinante. Votre espèce est douée. Vous avez fait de grands progrès. Malheureusement,
vos systèmes politiques sont à revoir. Quant à vous, vous ne songez qu’à
posséder et accumuler, et non à vivre dans l’équilibre, par la modération et le
partage. Vous consommez de façon effrénée, sans penser à régénérer la planète
qui vous nourrit. À ce rythme, vous allez vers l’extinction. Maintenant, entre
les désordres sociaux qui éclatent ici et là, les politiques aventuristes de
certains de vos leaders, et les actes de terrorisme qui emportent des victimes
innocentes, il semble que votre planète soit atteinte de folie.
– Dis-moi, tu ne m’aides pas là ! Tu ne fais que compliquer ma
tâche ! Je ne sais plus de quoi parler maintenant…
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase. Mon écran a repris sa couleur…
toujours aussi noir.
Rida Lamrini - 12 mars 2014
mercredi 5 mars 2014
La 101ème
Si vous êtes en train de lire cette chronique, alors vous lisez la cent-unième
que j’ai publiée depuis le 21 décembre 2011 dans les colonnes d’Aujourd’hui le Maroc. Qu’a-t-elle de spécial à
part le nombre 101 ? En politique, cent jours marquent la période de grâce
accordée à un gouvernement fraîchement investi. En d’autres occasions, ce
chiffre incite à faire la pause pour évaluer le chemin parcouru, mettre les
choses en perspective. Coïncidence, nous sommes à J-100 du Mondial de football
au Brésil !
Rien de tel en l’occurrence. 101 est juste l’occasion de faire un
retour sur un exercice entamé il y a deux ans. Au vu de commentaires ou
questions exprimés ici ou là, je souhaite partager le vécu du chroniqueur avec
les lecteurs qui me font l’amabilité de s’intéresser à mes élucubrations et aux
spécificités de cet exercice particulier.
Il y a deux ans, Aujourd’hui le Maroc m’invita à tenir une
chronique chaque mercredi sur ses colonnes. Séduisante,
l’idée mais ne m’avait pas emballé au début. Mon expérience d’écriture se
limite aux romans et aux essais, et à quelques tribunes libres publiées ici ou
là. Or, écrire un roman prend du temps, et se fait en totale liberté, autour
d’un seul sujet, sans contrainte ni de temps, ni de délais. C’est un dessein
personnel, qui mûrit au gré de l’inspiration et du temps de l’auteur.
La chronique est un exercice d’un tout autre genre, avais-je dit aux
responsables d’Aujourd’hui le Maroc. D’abord, un romancier, aussi
bon serait-il, n’est pas assuré de faire un bon chroniqueur. Il doit traiter un
sujet nouveau chaque semaine, rapidement, en un nombre limité de caractères.
Passe encore pour la rapidité de l’exercice, qualité des journalistes, les
sprinters, alors que les romanciers sont plutôt des coureurs de fond. On peut
s’adapter à tout, me diriez-vous. Mais trouver un sujet nouveau chaque semaine,
semaine après semaine, est le véritable challenge. Challenge rendu plus
difficile par mon choix de ne pas coller à l’actualité, pour une posture plus
en retrait de l’effervescence du quotidien, afin de porter un regard décalé sur
nous-mêmes, notre société, nos gouvernants, notre monde.
Voilà pour la philosophie. Restait à la traduire dans la réalité. Là,
je nourrissais bien des appréhensions. Écrire des chroniques de temps en temps
me semblait envisageable. Écrire une chronique chaque semaine m’apparaissait
épuisant. Sur un double plan.
D’abord, l’écriture régulière est une discipline à laquelle il faut
s’astreindre. J’envie ceux ou celles qui ont le coup de plume rapide, chez qui
cela jaillit d’une traite. Mais, combien même je posséderai une telle faculté,
l’angle que j’ai choisi ne s’accommode guère du traitement du sprinter. Il
nécessite un investissement substantiel en temps. Chaque chronique d’une page à
une page et demie me demande en moyenne trois jours d’écriture, en puisant du
temps ici et là dans un agenda surchargé, comme c’est le cas de bien des gens
en cette époque d’accélération vertigineuse du temps. Contrairement à ce qu’on
pense, écrire ne requiert pas du talent, mais du travail.
Le deuxième problème me paraissait résider dans le choix régulier de sujets
qui intéressent un large éventail de lecteurs et de lectrices, non qui relèvent
de mes seules préoccupations. Là, j’avais des appréhensions. J’avais peur de
m’épuiser, peur de ne pas trouver de tels sujets, peur de lasser le lectorat.
J’ai fini par surmonter mes craintes et répondu affirmativement à Aujourd’hui le Maroc en raison de l’attrait
de l’exercice, malgré mon manque d’expérience dans le domaine, et l’absence de
modèle à suivre.
D’abord, il m’a fallu éviter le piège du chroniqueur docte, détenteur
de la science infuse. Cela incommode, le savoir n’étant l’apanage de personne. Aussi,
me suis-je fixé l’objectif de susciter uniquement la réflexion, peut-être
partager des inquiétudes, jamais exposer de savantes théories. Si cette ligne
de conduite peut être observée au niveau du fond, c’est une autre histoire de
la respecter au niveau de la forme. J’ai contourné la difficulté en recourant à
des personnages fictifs, acteurs d’histoires imaginaires qui se chargent de
véhiculer les réflexions, formuler les interrogations, porter les inquiétudes.
C’est ainsi que je vous ai présenté Ba Jalloul (Mon ami Ba Jalloul), Hamid (Le cœur au creux de la main), le père (Conte d’antan… Rêves d’aujourd’hui), la mère (Maman… pourquoi est-ce qu’on écrit), le garçon (Dr Jekyll et M. Hyde), la jeune fille (Maman, je veux faire de la politique), l’extra-terrestre (Vu du ciel).
Est-ce à dire que ce fut toujours facile de trouver un sujet ?
Loin de là. Combien de fois j’ai connu la panne sèche et suis resté figé devant
l’écran noir, pour ne pas dire la page blanche. Mais mon rendez-vous avec les
lecteurs ne peut pas attendre. Ainsi fut née « Le monde n’est pas toujours facile à croquer ».
Heureusement, bien des fois la chronique se trouve dans ma tête. Il
faut juste trouver le temps pour la coucher. Ce genre est le résultat d’une
subite inspiration : Les clés du bonheur, d’un coup de cœur : L’héritage des géants, d’un moment rare : La ville où l'on écoute le silence, ou d’une forte émotion :
Et puis vint ton tour de partir.
Bien des fois, la chronique est inspirée d’un vécu : Les lutins du bonheur ou Non, tu n'es pas seule, par un personnage
particulier : Mon coiffeur, ou suite à une rencontre : Mon chauffeur de taxi.
Les bizarreries de la vie ont dicté des textes tels Exister… mais sur papiers, ou encore Tribulations d’un cycliste en ville. Des fois, c’est un trop
plein d’émotion qui déclenche le flot des mots : Quand il ne reste qu’un seul mot, Zahira, Khaoula.
L’état du monde et les inquiétudes qu’il suscite ont été à l’origine de
Un monde à comprendre, ou Le temps des incertitudes, ou Illisibles incertitudes. Des moments de doute ont
surgi Un jour…, ou M’as-tu vraiment aimée un jour ?
Souvent, las de trouver un sujet, je me lance un défi. Comme si je
revenais en arrière à mes années de lycée, je me fixe un thème et me mets dans
la situation du potache qui doit rendre une dissertation. Ainsi virent le jour Les néologismes des amalgames et Sommes-nous seuls dans l'Univers ?
Et c’est ainsi que, suivant le cours de la vie et des événements, au
gré des situations vécues et des personnes rencontrées, en fonction de l’air du
temps et de l’humeur ambiante, les chroniques se sont insensiblement enfilées
les unes après les autres, pour former Le chapelet de jours
Après ces deux années, je suis reconnaissant à mes amis d’Aujourd’hui le Maroc qui m’ont ouvert ce domaine
exaltant du chroniqueur qui essaie d’appréhender un monde qui ne se laisse facilement croquer… en une
chronique.
Rida Lamrini - 05 mars 2014
Inscription à :
Articles (Atom)