Dans son village aux confins du pays,
Khadija ne songeait qu’à aller en ville pour se faire une place au soleil et échapper
au dénuement. Les longues heures passées devant un métier à tisser déglingué ne
lui rapportaient qu’un revenu de misère. Des dizaines et des dizaines de tapis
avaient quitté ses mains et fini dans des maisons qu’elle ne connaît pas, à des
prix dont elle n’a pas idée. Elle aspirait à avoir un jour un atelier moderne, pour
donner vie aux broderies qui peuplent ses rêves, fonder un foyer et maîtriser sa
destinée.
Un jour, ils arrivèrent. Surgis de
nulle part. L’espoir plein les yeux. L’argent plein les mains. Oh, pas des
montagnes. Juste de quoi combler les besoins modestes de ceux et celles que les
portes hermétiques de la finance ambiante avaient jeté dans les griffes des
usuriers. De petits montants à qui veut réaliser ses projets, concrétiser ses rêves.
Des rêves d’activité productive. Pour améliorer ses revenus. Pour une vie
meilleure. Femmes d’honneur et hommes d’engagement, dédiés
pour autrui, les nouveaux venus
avaient choisi de donner une part d’eux-mêmes, de consacrer de leur temps, d’offrir de
leurs ressources à
celles et à ceux que le destin a oublié d’en doter pour une vie décente.
Très vite, Khadija se lia d’amitié
avec eux. Ils l’écoutèrent, la conseillèrent, lui apprirent à gérer une petite
caisse. Elle leur emprunta une petite somme
pour équiper son atelier et acheter des fils pour ses tapis. Ils l’assistèrent
lors des premières ventes. Les uns après les autres, les tapis quittaient ses
mains et prenaient le chemin de la ville. Elle remboursa son premier prêt et contracta
un autre. Un peu plus élevé. Puis un autre, puis un autre. Son atelier grandit.
Encore. Et encore. Certains de ses tapis s’envolaient pour l’étranger. Bientôt,
une vingtaine de filles la rejoignirent. L’atelier était devenu une ruche. Aujourd’hui,
elle est loin la femme hantée par l’idée de quitter son village pour aller
vivre en ville. Elle a fait place à une chef d’entreprise. Bientôt chef de
famille.
Des Khadija qui gagnent sont
nombreuses. Leurs histoires de battantes sont méconnues. Demandez-leur comment
leurs vies changèrent pour le meilleur. Elles vous diront qu’il est bien heureux
celui dont le chemin a croisé celui des bénévoles de la lutte contre la
pauvreté. Heureux celui qui a côtoyé ces militants discrets. Sans souci de
rétribution, sans attente de reconnaissance, simplement mus par le désir d’atténuer
les difficultés de leurs prochains et de les arracher aux
griffes de la misère. Par leur
nombre à travers le pays, dans toutes les couches sociales, ils sont le souffle
profond qui maintient les liens invisibles d’une chaîne de solidarité humaine
malmenée par les turbulences d’un siècle en proie aux pulsions de
l’individualisme matérialiste.
Heureux celui qui eut
le privilège de connaître ces
êtres dévoués à la cause des démunis. Vous
les rencontrerez dans les ksars reculés de la vallée de
l’Oued Draa, dans les villages dissimulés des oasis du Tafilalet, dans les
hameaux accrochés aux flancs des montagnes de l’Atlas. Vous les reconnaîtrez dans les
meetings, les assemblées et les conseils des associations de développement. Vous les verrez dans les hautes sphères du pouvoir,
dans les bureaux austères des administrations, dans les espaces fonctionnels
des bailleurs de fonds, dans les cabinets cossus de la haute finance.
Peu connaissent leurs merveilleuses
histoires. Nul n’a rapporté à la lumière leurs formidables
contributions. Nul n’a fixé dans des images leur
cheminement discret. Nul n’a décrit par des mots
leur mobilisation exemplaire. Aux côtés de ces femmes et de ces hommes admirables, vous serez gagnés pas la foi profonde qui les anime. Vous serez comblé par la
richesse intérieure de leurs cœurs.
Vous connaîtrez la satisfaction que procure le don de soi. Vous serez gratifié par la joie de voir des horizons lumineux s’ouvrir, transcendé de faire reculer les ténèbres de
la misère, de l’analphabétisme, du désœuvrement. Vous
resterez marqué, comme ils ont marqué les populations
qu’ils ont aidées à retrouver les chemins de la dignité.
Vous vous sentirez
béni d’avoir été sur le chemin de ces chevaliers partis en croisade contre
l’infortune des autres.
Rida Lamrini - 17 octobre 2012