vendredi 20 juin 2025

Mes entretiens avec Chaib Hammadi sur Atlantic Soir : Si la science connecte les continents, la littérature relie les cœurs

 Podcast du 20 juin 2025



 1. 🎙️ Chaib Hammadi :

La science aide à construire des ponts physiques, la littérature érige des ponts émotionnels et spirituels entre les cultures. Loin d'être en opposition, ces deux domaines sont plutôt complémentaires. D'abord, est-ce qu'on a une idée de l'auteur de cette réflexion ?

 🗣️ Rida Lamrini :

L’origine exacte est incertaine. C’est une citation qui circule, reprise ici ou là sans signature précise. Mais elle a la force des intuitions collectives. On sent qu’elle résume un sentiment partagé : la science relie les terres, la littérature relie les êtres.

2.  🎙️ Chaib Hammadi :
Cette citation suggère que la science facilite la compréhension du monde matériel, alors que la littérature explore les aspects éthiques et relationnels. Mais est-ce qu'il existe, malgré tout, une quelconque relation entre ces deux filières qui semblent étanches ?

🗣️ Rida Lamrini :
Oui, bien sûr. Ce sont deux voies de connaissance sont complémentaires et se croisent souvent sans se voir. Elles poursuivent le même but : comprendre ce que nous sommes. L’une mesure, l’autre ressent. Mais toutes deux racontent, à leur manière, notre humanité.

3. 🎙️ Chaib Hammadi :
En d'autres termes, la science invite au voyage extérieur, alors que pour la littérature, ce serait plutôt une évasion intérieure ?

🗣️ Rida Lamrini :
Exactement. La science explore l’univers visible, la littérature explore les galaxies invisibles de l’âme. Deux voyages parallèles, mais nécessaires. Sans l’un, on ne construit pas. Sans l’autre, on ne respire pas.

4. 🎙️ Chaib Hammadi :
Que vous inspire cette citation qui rapproche science et littérature tout en les opposant ?

🗣️ Rida Lamrini :
Elle m’évoque une belle complémentarité. La science connecte les corps, les territoires, les réseaux. La littérature, elle, relie les consciences, les sensibilités, les mémoires. L’une trace des routes, l’autre tisse des liens invisibles. L’humanité a besoin des deux pour avancer… sans se perdre.

5. 🎙️ Chaib Hammadi :
À l’aube du 3ᵉ millénaire, peut-on affirmer que le scientifique et le littéraire développent deux attitudes hermétiquement différentes ?

🗣️ Rida Lamrini :
Souvent, oui. Le système scolaire les oppose dès le départ : filières dites “scientifiques” d’un côté, “littéraires” de l’autre. Mais cette séparation est artificielle. Un scientifique curieux lit des romans. Un écrivain rigoureux s’inspire parfois de la science. Ce sont les murs qui sont étanches, pas les esprits.

6.  🎙️ Chaib Hammadi :
La langue, l’écriture, la littérature peuvent-elles vraiment apporter quelque chose à la science ? Et vice versa, la science peut-elle servir la littérature ?

🗣️ Rida Lamrini :
Absolument. Une idée scientifique mal formulée tombe dans l’oubli. Une belle métaphore peut éveiller une vocation. Et la science, elle, offre à la littérature des mondes, des dilemmes, des visions. L’un éclaire, l’autre traduit.

7. 🎙️ Chaib Hammadi :
La science relie les peuples matériellement. Mais la littérature, comment relie-t-elle les êtres humains ?

🗣️ Rida Lamrini :
Par l’empathie. Un roman te fait vivre la vie d’un inconnu, d’un disparu, d’un lointain. C’est une fraternité silencieuse. On se découvre dans l’autre, sans avoir besoin de le rencontrer.

8. 🎙️ Chaib Hammadi :
Peut-on dire que la littérature est une autre forme de connaissance ? En quoi se distingue-t-elle de la science ?

🗣️ Rida Lamrini :
C’est une connaissance par immersion. Elle ne démontre pas, elle suggère. Elle ne dit pas “voilà”, elle dit “et si ?” Elle ne cherche pas la preuve, mais le sens.

9.  🎙️ Chaib Hammadi :
Est-ce que la littérature permet de mieux comprendre l’humanité, au-delà des chiffres et des faits ?

🗣️ Rida Lamrini :
Oui, parce qu’elle donne un visage aux statistiques. Elle parle des émotions, des doutes, de ce que les courbes ne captent pas. Elle fait entendre l’individu dans la foule.

10. 🎙️ Chaib Hammadi :
En tant qu’auteur, avez-vous parfois l’impression de dire le vrai par le faux, ou le réel par l’imaginaire ?

🗣️ Rida Lamrini :
Tout le temps. Le roman invente des vies, mais les émotions sont vraies. L’imaginaire, c’est juste une autre manière d’atteindre la réalité — une réalité plus profonde, parfois.

11. 🎙️ Chaib Hammadi :
Vous avez souvent évoqué la fonction sociale de la littérature. Est-ce qu’elle peut aujourd’hui encore transformer un individu ? Une société ?

🗣️ Rida Lamrini :
Oui, mais à sa manière : lentement, en silence. Elle ne soulève pas les foules, elle les travaille en profondeur. Elle transforme un regard. Et un regard changé, c’est déjà une révolution intime.

12. 🎙️ Chaib Hammadi :
La science est souvent liée au progrès. Peut-on dire la même chose de la littérature ?

🗣️ Rida Lamrini :
Oui, si on entend par progrès celui de l’esprit et du cœur. La littérature nous fait avancer en nous aidant à mieux vivre avec nous-mêmes, avec les autres, avec le monde.

13. 🎙️ Chaib Hammadi :
C’est là que l’on voit la séparation nette entre le Verbe et le Nombre. Dans un monde dominé par la technologie et les données, quel est le rôle de la fiction ?

🗣️ Rida Lamrini :
La fiction est un refuge et un miroir. Elle nous protège du bruit, elle nous permet de penser autrement. Elle redonne du sens là où tout devient quantifiable. Elle est là pour rappeler que l’humain ne se résume jamais à une équation.

14. 🎙️ Chaib Hammadi :
Pourquoi accorde-t-on moins de place à la littérature dans les politiques éducatives et culturelles ?

🗣️ Rida Lamrini :
C’est simple. Parce qu’elle ne rentre pas dans des tableaux Excel. Parce qu’elle ne rapporte pas vite, elle ne fait pas de bruit. Elle ne fait pas partie du paradigme du retour sur investissement. Mais elle forme des esprits libres. Et ça, c’est précieux… et parfois un peu dérangeant.

15. 🎙️ Chaib Hammadi :
Enfin, comment redonner envie de lire à une jeunesse absorbée par les écrans numériques ? Quels chemins ouvrir pour que la littérature retrouve enfin sa voix… et sa voie ?

🗣️ Rida Lamrini :
En cessant de la présenter comme un devoir. En racontant d’abord des histoires. En laissant les jeunes choisir, découvrir, vibrer. La lecture ne s’impose pas, elle s’offre. Il faut qu’elle redevienne une aventure, pas une obligation.