samedi 20 novembre 2021

Hommage à Ahmed Snoussi


À New-York, de l’autre côté de l’Atlantique, pendant qu’au Maroc le mouvement du microcrédit continuait à être ponctué de créations d’associations nouvelles, un homme d’É
tat dans ses bureaux de la Représentation permanente du Royaume du Maroc aux Nations Unis songeait à comment venir en aide aux démunis de sa ville de Meknès.
 
Personnage haut en couleur, brun de teint, le geste raffiné, Ahmed Snoussi a un regard qui scintille selon les moments d’un humour d’une inimitable finesse, ou des éclats d’une vive intelligence. Ce que l’on sait moins, en raison d’une discrétion presque maladive de cet homme, c’est qu’il est un peintre à l’art consommé et un poète d’une rare sensibilité. Sa carrure de gros nounours cache un cœur tendre qu’il tient en permanence au creux de la main, à portée d’autrui. Homme d’engagement, au franc-parler, il vibre d’une profonde fibre sociale. Les facultés qui ont fait de lui un brillant diplomate lui ont permis de se frayer sans trop de dommages un chemin dans les hautes sphères du régime et, d’esquiver, sinon d’amortir, les inévitables coups de Jarnac de courtisans avides de pouvoir. Homme du sérail, Ahmed Snoussi finit sa carrière en tant que Représentant du Royaume aux Nations Unies et Président du Conseil de Sécurité, après avoir assumé les plus hautes charges de l’État. Ses qualités humaines exceptionnelles expliquent la sollicitude dont l’avait entouré Hassan II, dont il fut l’un des plus fidèles confidents et francs conseillers. 
L’on comprend mieux ce qui fait vibrer ce personnage à la lecture de son recueil de poèmes et de tableaux Rêves et fantaisies, à partir desquels furent confectionnés des tapis vendus au profit de l’enfance handicapée de Meknès :

« Pendant les quarante années de ma carrière diplomatico-économique, … j’ai pu esquisser, pour ne pas dire gribouiller, quelques dessins qui sont plus des fantaisies et des fantasmes que ce qu’on pourrait appeler avec prétention des œuvres et encore moins des œuvres d’art… Si je n’ai pas signé de mon nom, c’est parce que c’était l’unique occasion qui m’était donnée de rendre un modeste hommage à ma mère, Hajja Kheira, qui fut cette dame merveilleuse, extraordinaire, qui m’a élevé et a ouvert mes yeux dès le plus jeune âge à la vie.
Je crois bien que c’est elle qui m’aura inculqué tout ce que j’avais commencé à savoir de la générosité, de l’amour du prochain, de la fidélité et sans aucun doute aussi, de la grandeur de Dieu, le Tout-Puissant, le Miséricordieux… Elle m’a répété tant de fois qu’il fallait aller vers ceux qui ont besoin de notre aide. Et jusqu’à la veille de sa disparition elle insistait encore et toujours : "Mon fils, ne méprise jamais les petits, demeure fidèle à ta parole et à tes amis, et ne te trompe jamais sur toi-même. »

Jovial, Ahmed Snoussi est mieux décrit par sa poésie :

Troubadour d’un autre siècle
Ou clown à la recherche de son rôle et de son personnage
Rire pour faire rire
Rire pour cacher sa peine et soulager sa douleur
Rire pour affronter ceux qui croient tout savoir
Rire pour désarmer ceux qui sont convaincus de tout pouvoir
Rire pour rire, n’est donné qu’à ceux qui sont bénis

Cet homme, à la tête de l’Association du Grand Ismaïlia, alerta un jour de New York ses amis de Meknès et leur demanda d’envoyer un représentant pour participer à la première rencontre du Microcredit Summit, tenue les 2, 3 et 4 février 1997 à Washington DC, à l’instigation d’une ONG américaine. L’objet était de rassembler les praticiens du microcrédit, les avocats, les institutions éducatives, les bailleurs de fonds, les institutions financières internationales, les ONGs, en vue de soulager la pauvreté par la microfinance. Ouvert par Hillary Clinton, le Sommet réunit 3.000 participants provenant de 137 pays et décida le lancement d’une campagne pour faire bénéficier 100 millions des familles les plus pauvres du monde du microcrédit, particulièrement les femmes, avant 2005.

Convaincue par l’intérêt du microcrédit, l’Association du Grand Ismailia décida de créer en 1998 une institution de microcrédit, entièrement financée les membres et des militants Meknassis.

De retour au Maroc après sa mission à New-York, Ahmed Snoussi consacra le restant de ses jours aux pauvres de sa ville Meknès, et ceux du reste du pays, œuvrant de concert avec ses confrères dans le microcrédit, auxquels il apportait sa large expérience, son riche relationnel, son aura incomparable. Durant les années où j’avais présidé au sort du microcrédit au Maroc, j’avais trouvé en lui le confrère sincère, le conseillé avisé, l’ami fidèle. 

Ahmed Snoussi nous a quitté un lundi 11 octobre 2021, à l’âge de 92 ans. L’histoire retiendra qu’il fut un des précurseurs de la diplomatie marocaine. 

Dans son message de condoléances à la famille, S.M. le Roi Mohammed VI l’a décrit comme un grand patriote et un homme d’État connu pour son abnégation et son altruisme au service des intérêts de la Nation dans les différentes hautes responsabilités qui lui avaient été confiées, un brillant ambassadeur et un digne représentant de la diplomatie marocaine lors des rassemblements internationaux et dans plusieurs pays, de même qu’il incarnait un exemple d’ouverture, de dévouement sincère et de défense des justes causes de la Nation et de ses constantes et sacralités.

Ahmed Snoussi fut un homme exceptionnel. Il m'a marqué par son intelligence pénétrante, sa gentillesse débordante, son humour incomparable.

Il vit toujours dans mon cœur... il est présent dans mes souvenirs.

*

Une autre facette de Ahmed Snoussi :

Formes martiennes ou créatures de nulle part.
Elles sont venues nous montrer dans leur équilibre et leur sérénité
que le bonheur, sans aller bien loin, est là, devant nous.
Elles sont venues nous dire aussi, 
que la générosité est un don et une bénédiction de Dieu. 
L’extase est plus que le plaisir. 
Et voir un homme sourire parce que vous avez soulagé
sa peine ou son angoisse, 
c’est déjà la félicité.


Ahmed Snoussi, Président d’Ismailia Microcrédit
in Rêves et fantaisies