L’herbe serait
plus verte ailleurs. Semble-t-il.
Il me
semble que le séjour ailleurs est plein d’émerveillement, que le retour au
bercail ne manque pas de s’accompagner quelquefois d’une pointe de malaise.
Il me
semble qu’ailleurs l’environnement constitue une préoccupation majeure, qu’ici
il ne constitue qu’un épiphénomène éclectique.
Il me
semble qu’ailleurs les conducteurs sont courtois, respectent le code, ne corrompent
jamais. Il me semble qu’ici ils sont bruyants, des modèles d’anarchie, des
exemples d’incivisme.
Il me
semble qu’ailleurs les gens parlent discrètement en public dans leur téléphone,
attendent patiemment leur tour, vous disent pardon lorsqu’ils vous
croisent sans même vous avoir effleuré, attendent que vous sortez de
l’ascenseur avant de le prendre. Il me semble qu’ici l’on hurle sa vie dans son
téléphone, l’on se précipite, tête baissée, pour passer en premier avant les
autres, occuper les premiers emplacements, sans prendre la peine de prononcer
un mot d’excuses.
Il me
semble qu’ailleurs ils expriment librement leurs opinions, manifestent
pacifiquement, sans crainte de menaces, de représailles, de procès d’intention
ou de justice. Il me semble que s’exposer publiquement ici nécessite quelques précautions.
Il me
semble qu’ailleurs ils sont fiers de leur système politique, critiques envers
leurs politiques, qu’ici nous avons du mal à nous reconnaître dans le nôtre, sommes
profondément insatisfaits des nôtres.
Il me
semble qu’ailleurs les politiques ont des convictions, qu’ici ils ont des
ambitions.
Il me
semble qu’ailleurs les politiques sont à mille lieues de l’idée d’acheter les
voix des électeurs, que les électeurs s’indigneraient si d’aventure on leur
proposait de monnayer leurs voix, qu’ils ont le pouvoir de renvoyer leurs
mandataires avec un bulletin de vote. Il me semble qu’ici il est plus facile de
déplacer la chaîne de l’Atlas que de nettoyer les écuries électorales.
Il me
semble qu’ailleurs les administrations sont au service des administrés, qu’ici l’on
joue souvent le rôle du pigeon bon à être plumé par d’indélicats préposés au
service public.
Il me
semble qu’ailleurs une bonne idée a bien des chances de donner naissance à une
entreprise, qu’ici le meilleur projet doit connaître les affres du parcours du
combattant pour voir le jour.
Il me
semble qu’ailleurs ils ont plaisir à regarder leurs télévisions, qu’ici les
petites lucarnes font office de stupéfiants.
Il me
semble qu’ailleurs ils sont fiers de leurs réalisations, que leurs systèmes éducatifs
engendrent des citoyens productifs. Ici, il ne nous reste plus que les yeux
pour pleurer une école longtemps tombée en ruine.
Il me
semble qu’ailleurs ils n’ont nul besoin de visa pour parcourir le monde, qu’ici
il faut subir l’humiliation des files de la honte devant les consulats, sans
garantie d’obtenir le visa tant convoité.
Il me
semble qu’ailleurs les jeunes sont bien dans leur peau, bien dans leur pays,
qu’ici le pays n’arrive plus à retenir ses enfants qui veulent tous aller vivre
sous d’autres cieux.
Il me
semble qu’ailleurs les gens sont confiants dans l’avenir, qu’ici ils sont moroses,
désabusés.
Amère réalité,
ou simple impression ?
Verre à
moitié vide, ou verre à moitié plein ?
Vision
aigrie ou absence de réalisme ?
Refus de la
médiocrité, ou idéalisme excessif ?
Il me
semble que l’herbe est plus verte ailleurs.
Car, il y a
toujours un ailleurs où l’herbe est plus verte.
Bien qu’ici,
à y regarder de plus près, le pré possède tous les ingrédients pour que l’herbe
soit aussi verte qu’ailleurs… voire plus.