Bigre ! Le titre occupe la largeur de la
page : « Des acteurs politiques
proclament la mort des partis ». Je plonge dans la lecture de l’article
toute affaire cessante. Arrivé au bout, je reste sur ma faim. Je fonce aussitôt
vers Ba Jalloul. Vous savez, l’homme qui éclaire ma lanterne chaque fois que je
bute sur un sujet dont les intrications me tarabustent les méninges. C’est du
moins ce que j’espère en allant le voir. Car bien des fois je reviens de chez
lui avec plus de questions que je ne m’en posais.
À cette heure-ci, il doit être sûrement à son café
habituel. Arrivé à l’estaminet, je reste sur le trottoir, dérouté. Le garçon me
reconnaît. Voyant mon air penaud, il s’avance et me demande :
– Vous cherchez Ba Jalloul ?
J’opine de la tête.
– Installez-vous, dit-il en me désignant une table.
Il arrive. Je vous apporte votre thé à la menthe.
Mon ami apparaît quelques minutes après. Je ne me
lasse pas de voir son chapeau noir, sa silhouette typique flanquée de ses deux pékinoises,
tout heureuses de faire leur balade quotidienne.
– Qu’est-ce qui te tracasse encore ? me
lance-t-il pendant qu’il s’installe en enlevant son chapeau.
– La mort des partis politiques !
– La dernière fois, tu as voulu qu’on parle de la
politique en deux mots. J’ai parlé de compétences. Tu as ajouté vertu. Ton
compte est bon. Maintenant tu veux zigouiller les partis politiques !
– Je veux juste comprendre ceux dont dépendent notre
quotidien et l’avenir de nos enfants. Surtout trouver plus fréquemment chez eux
l’un ou l’autre des deux mots. Je viens de lire un rapport sur une rencontre
d’acteurs politiques qui prédisent la mort des partis.
– Je l’ai lu aussi, laisse-t-il
tomber.
Je m’en réjouis. Je suis tout ouïe. Encore faut-il
que je mette Ba Jalloul sur la voie.
– J’ai fait mon
homework, tu sais. L’article 7 de la constitution dit que les partis politiques œuvrent à l’encadrement et à la formation
politique des citoyennes et citoyens, à la promotion de leur participation à la
vie nationale et à la gestion des affaires publiques. Si demain ils
disparaissent, on fait quoi ?
Ba Jalloul sourit et fait :
– Les partis ne sont intéressés que par la suite de
l’article : Ils concourent à l’expression
de la volonté des électeurs et participent à l’exercice du pouvoir… Mais qui
a participé à cette rencontre ? Le parti communiste, au gouvernement mené
par des conservateurs ! Le parti socialiste. Longtemps dans l’opposition. Il
a gouverné récemment, mais en est sorti laminé. Et un parti d’opposition
viscérale. Que veux-tu qu’il sorte, sinon des récriminations, des critiques
acerbes et de sombres prévisions comme la mort des partis !
– Tu es de droite Ba Jalloul ? osé-je lui
demander.
– Je ne suis ni de gauche, ni de droite. Tout ça
c’est du pipeau.
– Tu ajoutes donc
de l’eau au moulin de celui qui, durant la rencontre, affirma que le parti
dominant est celui de l’abstention. Il aurait même des militants contre la
politique, arguant que les politiques ne sont plus dignes de confiance. Alors,
quelle différence fais-tu entre les partis actuels ?
– La seule différence est entre ceux conscients des
enjeux du pays et ceux qui sont les lobbies d’une minorité. Elle se joue entre ceux
qui portent les aspirations des citoyens et les professionnels qui se vautrent
dans les méandres politiciens. La ligne de démarcation sépare les tenants des
valeurs de progrès et de justice, de ceux qui s’accrochent à un monde de
clientélisme et de privilèges.
– Alors, les partis finiront par mourir ou
pas ? demandé-je en refrénant un début d’agacement.
– Tes Cassandre parlent sûrement de la mort de leurs partis, pas de celles des partis. Ils
voient dépérir les valeurs de leurs
partis. Quant aux partis, ils existeront tant qu’il y aura des individus intéressés
par l’exercice du pouvoir… pour le
pouvoir…
– Et quid de l’expression
de la volonté des électeurs… ? C’est le parti des abstentionnistes qui
s’en chargera ?
Comme lors de notre dernière rencontre, Ba Jalloul
met fin à la conversation en ouvrant son journal. J’en suis pour mes frais. Ma
question rejoindra celle que je lui ai posée avant sur la vertu…
Rida Lamrini - 02 juillet 2014