17 décembre 2011, une étincelle jaillit à Sidi
Bouzid en Tunisie. Elle embrase l’arc de
cercle méridional de la Méditerranée. 20 février 2012, les jeunes investissent la
rue. 9 mars, le chef de l’État prend tout le monde de court. Nouvelle
constitution. Élections anticipées. Pour finalement un gouvernement né d’alliances
improbables ! Tout cela est allé trop vite pour moi. J’ai besoin de mettre de
la cohérence. Instinctivement, je me dirige vers le café où siège mon ami Ba
Jalloul.
Chemin faisant, comme ces enfants fascinés par la
publicité, mes yeux parcourent les panneaux qui ont défiguré la ville. Des
voitures à 430.000 DH. Des iMachins dernier cri. Des villas à 5 Millions DH. Soudain,
je sursaute devant cette offre de crédit avec des remboursements à 230 DH par
mois ! Plus que la modicité du montant, c’est la rédaction de l’offre en
arabe qui a attiré mon attention ! Alors que les autres étaient en
français. Que faut-il comprendre ?
Je laisse cette question pour plus tard et pénètre
dans le café. D’un regard complice, le garçon m’indique Ba Jalloul assis à
l’intérieur, bien entouré comme à l’accoutumée. Ses amis boivent ses paroles. Il
m’aperçoit et me fait signe de m’approcher tout en demandant au garçon
d’apporter une chaise. Il disserte sur l’état du pays depuis que des vents
printaniers singulièrement chauds soufflent dans les écrans des chaumières. Je
m’engouffre dans la discussion.
– Ba Jalloul, tu conviens bien qu’un Tsunami a
balayé le pays depuis le 20 février, n’est-ce pas ?
Il ne réagit pas. Cela veut dire qu’il acquiesce et
qu’il m’invite à poursuivre.
– Pourtant, on ne voit pas de changement, à part
quelques joues pileuses qui ont fait ménage avec des camarades abonnés aux mosaïques
gouvernementales, ensemble acoquinés avec les acteurs d’une ère que les
marocains pensent avoir enterrée sous leurs bulletins de vote.
– Tu as raison, dit Ba Jalloul après s’être redressé
et pris une gorgée de son café. Rien à signaler à l’Ouest. Mais mollo. Donnons
du temps au temps. Car, des bouleversements, il y en a.
Il prend son air intriguant.
– Mais pas là où on les attend ! Le Tsunami a laissé
d’anciens ministres dans le comma. Certains ont eu des attaques. D’autres ne
digèrent pas leur éviction. Ils se pensaient éternels, inamovibles.
– Tout ça pour ça ? laissé-je tomber. Tout ce
bouillonnement pour des portefeuilles ministériels ?
– Ça, ce n’est que la partie visible de l’iceberg.
Le séisme continue ailleurs !
Les yeux de Ba Jalloul brillent d’un éclat
énigmatique. Nous retenons notre souffle. Il poursuit.
– Le Tsunami a laissé des orphelins. Des dépositaires
de l’autorité publique sont désorientés. Ils ont perdu leurs parrains. De
grands pontes se font tout petits. Ils attendent de savoir où vont souffler les
vents nouveaux. Des réseaux qui ronronnaient sont en train de se disloquer. Ceux
qui se faisaient leur beurre gentiment voient s’écrouler les combines patiemment
tissées. Tout ça, à l’abri des regards. Le citoyen lambda quant à lui… son quotidien
n’est pas prêt de changer.
J’en ai entendu assez. Je prétexte une affaire
urgente et prends congé de Ba Jalloul. Mon esprit est ailleurs. Direction Derb
Talian. Là où bat le pouls du petit peuple. Je plonge au milieu du capharnaüm
des marchands ambulants. Je m’arrête chez Hassan. L’unique marchand mono-produit.
Il ne vend que des bananes. Et n’a qu’un souci en tête. Le Wydad doit gagner
ses matchs ! Je ne me sens d’humeur à le taquiner là-dessus. Je me hasarde
à lui demander comment il vit. À voir son état, j’avais besoin de savoir ce
jour-là. Il m’apprend que ses bananes lui rapportent 100 DH chaque jour et
qu’il vit avec ses parents. Je l’interroge sur ce qui lui manque pour être
heureux. Il me répond :
– Je jure par Dieu que je n’ai besoin de rien. Je
suis un homme heureux. Dima dima hamra !
Une chose est sûre. Hassan n’a pas besoin de l’offre
de crédit avec une traite de 230 DH par mois.
Rida Lamrini - 18 janvier 2012