mercredi 4 avril 2012

Les lutins du bonheur



Nul besoin d’être préparé pour vivre le bonheur lorsqu’il se présente. Lorsque la vie sourit, il suffit de tendre la main et de croquer à pleines dents ce qu’elle offre, souvent de façon inattendue.
Mais lorsque vient le temps des épreuves et que le ciel s’assombrit, nul manuel pour nous apprendre de quelle manière traverser la tempête. Lorsque l’on perd le goût de vivre et que les petites choses qui épicent d’habitude notre quotidien perdent leur saveur, nul guide pour nous conduire dans les obscurs méandres du destin. Lorsque la poitrine se serre et que la respiration devient difficile, nul recette pour nous soulager du fardeau qui nous oppresse.
On avait demandé au sage par quel moyen il parvenait à rester impassible devant les tourmentes qui le frappaient de temps à autre. Il répondit : les malheurs de la vie sont des flèches. La première qui m’avait atteint m’avait fait mal dans ma chair. À peine j’eus le temps de panser ma plaie qu’une seconde flèche me frappa. J’eus tout aussi mal. Elle fut suivie par une autre, et une autre, et une autre… Jusqu’au moment où mon corps tout entier fut couvert de flèches. Aucune partie ne fut épargnée. Je n’avais plus de chair à offrir aux malheurs de la vie. Aveugles, ceux-ci ne cessaient de décocher leurs flèches. Je réalisai alors que celles-ci ne se plantaient plus que sur les flèches déjà incrustées dans mon corps meurtri et qui, ô miracle, le préservaient des nouvelles attaques du sort. Depuis, ajouta le sage, si je vous parais impavide et serein devant l’acharnement du destin, c’est parce je ne ressens plus de peine. Les flèches que j’ai reçues durant ma vie servent dorénavant de carapace protectrice à mon corps.
Faut-il suivre l’exemple du sage et attendre toute une vie pour découvrir enfin le secret, sinon du bonheur, du moins de la sérénité devant le malheur ? Comment, dans notre quête incessante du bien être, développer une habilité à surnager lors des crues dévastatrices de ce qui, il y a tout juste la veille, nous semblait le long cours tranquille de la vie ?
Je n’ai pas de réponse. Je doute que quelqu’un puisse en donner une. Et quand bien même une telle réponse existerait, nul certitude qu’elle puisse être applicable par tout un chacun. Mais je suis sûr d’une chose. Il y a dans le malheur des éclats de bonheur. Dans l’obscurité des moments difficiles, brillent des flambeaux portés par des êtres que le destin guide inexplicablement à notre rencontre.
Et, lorsqu’à l’occasion du départ définitif d’un être cher, l’univers vous semble obscurci, il suffit qu’avec des mots simples, votre amie Jasmine vous dise : « Je voulais juste avoir de tes nouvelles… comment vas-tu ? », et déjà vous vous sentez moins seul. Et lorsque Chakour, Souheil, Abdelaziz, Linda, Hamdi, Saad, Brahim, Luc, Amina, Salomé, Hammou, Youssef, Abdou, Hiba, Lahbib, Hanane, Ahmed, Christian, Jean, Hicham, Mohammed, Camille, Chloé, Nathalie, vos amis, vos proches et ceux qui vous entourent vous disent ou vous écrivent des mots compatissants, et déjà votre peine vous semble plus légère. Et lorsque vous pensez que rien n’apaisera votre douleur, alors survient Gilles, un être que vous avez rencontré une seule fois, pour adoucir votre chagrin avec ces lignes « Je sais la peine qui t’abat. Je l'ai vécue il y a peu. C'est nous-mêmes qui mourons en partie. Le vide ne se refermera jamais, même si le quotidien nous fait oublier un peu. Mais certaines nuits, le sourire de ma mère me réveille en sursaut. Mais ce sourire est dans celui de mes enfants. Ses yeux sont dans leurs yeux. La vie est dans nos enfants ».
Et si le destin, dans son impénétrable écriture du cours de la vie, décide d’éclairer votre malheur d’une lumière sublime, il vous enverra Joël qui, le temps d’un magnifique poème, inspiré par votre épreuve, partage avec vous « un texte par lequel il exprime la plénitude de la pensée que procurent les longues marches dans le désert, à l’instar de Théodore Monod », en espérant que vous y trouverez des symboles qui vous saurez appréhender grâce à votre sagacité d’humaniste. Il ne sait pas pourquoi, en apprenant votre peine, il a subitement décidé de terminer son poème pour vous, laissé volontairement sans ponctuation, en se remettant à votre souffle pour le lire, sûr qu’il sera le bon.
Celles et ceux que le destin a accablés le savent bien. Ils savent que dans les moments sombres de l’existence, le destin envoie des lutins du bonheur qui, avec leurs torches flamboyantes et leurs mots sublimes, allègent miraculeusement nos peines et illuminent notre cheminement dans la vie.

Rida Lamrini - 04 avril 2012