Nul besoin d’être préparé pour
vivre le bonheur lorsqu’il se présente. Lorsque la vie sourit, il suffit de
tendre la main et de croquer à pleines dents ce qu’elle offre, souvent de façon
inattendue.
Mais lorsque vient le temps des
épreuves et que le ciel s’assombrit, nul manuel pour nous apprendre de quelle
manière traverser la tempête. Lorsque l’on perd le goût de vivre et que les
petites choses qui épicent d’habitude notre quotidien perdent leur saveur, nul guide
pour nous conduire dans les obscurs méandres du destin. Lorsque la poitrine se
serre et que la respiration devient difficile, nul recette pour nous soulager
du fardeau qui nous oppresse.
On avait demandé au sage par
quel moyen il parvenait à rester impassible devant les tourmentes qui le
frappaient de temps à autre. Il répondit : les malheurs de la vie sont des
flèches. La première qui m’avait atteint m’avait fait mal dans ma chair. À
peine j’eus le temps de panser ma plaie qu’une seconde flèche me frappa. J’eus tout
aussi mal. Elle fut suivie par une autre, et une autre, et une autre… Jusqu’au
moment où mon corps tout entier fut couvert de flèches. Aucune partie ne fut
épargnée. Je n’avais plus de chair à offrir aux malheurs de la vie. Aveugles,
ceux-ci ne cessaient de décocher leurs flèches. Je réalisai alors que celles-ci
ne se plantaient plus que sur les flèches déjà incrustées dans mon corps
meurtri et qui, ô miracle, le préservaient des nouvelles attaques du sort.
Depuis, ajouta le sage, si je vous parais impavide et serein devant
l’acharnement du destin, c’est parce je ne ressens plus de peine. Les flèches
que j’ai reçues durant ma vie servent dorénavant de carapace protectrice à mon
corps.
Faut-il suivre l’exemple du sage
et attendre toute une vie pour découvrir enfin le secret, sinon du bonheur, du
moins de la sérénité devant le malheur ? Comment, dans notre quête
incessante du bien être, développer une habilité à surnager lors des crues
dévastatrices de ce qui, il y a tout juste la veille, nous semblait le long
cours tranquille de la vie ?
Je n’ai pas de réponse. Je doute
que quelqu’un puisse en donner une. Et quand bien même une telle réponse
existerait, nul certitude qu’elle puisse être applicable par tout un chacun. Mais
je suis sûr d’une chose. Il y a dans le malheur des éclats de bonheur. Dans
l’obscurité des moments difficiles, brillent des flambeaux portés par des êtres
que le destin guide inexplicablement à notre rencontre.
Et, lorsqu’à l’occasion du
départ définitif d’un être cher, l’univers vous semble obscurci, il suffit
qu’avec des mots simples, votre amie Jasmine vous dise : « Je voulais juste avoir de tes nouvelles…
comment vas-tu ? », et déjà vous vous sentez moins seul. Et
lorsque Chakour, Souheil, Abdelaziz, Linda, Hamdi, Saad, Brahim, Luc, Amina,
Salomé, Hammou, Youssef, Abdou, Hiba, Lahbib, Hanane, Ahmed, Christian, Jean, Hicham, Mohammed, Camille, Chloé, Nathalie, vos amis, vos
proches et ceux qui vous entourent vous disent ou vous écrivent des mots
compatissants, et déjà votre peine vous semble plus légère. Et lorsque vous
pensez que rien n’apaisera votre douleur, alors survient Gilles, un être que
vous avez rencontré une seule fois, pour adoucir votre chagrin avec ces lignes « Je sais la peine qui t’abat. Je l'ai vécue
il y a peu. C'est nous-mêmes qui mourons en partie. Le vide ne se refermera
jamais, même si le quotidien nous fait oublier un peu. Mais certaines nuits, le
sourire de ma mère me réveille en sursaut. Mais ce sourire est dans celui de
mes enfants. Ses yeux sont dans leurs yeux. La vie est dans nos enfants ».
Et si le destin, dans son
impénétrable écriture du cours de la vie, décide d’éclairer votre malheur d’une
lumière sublime, il vous enverra Joël qui, le temps d’un magnifique poème, inspiré
par votre épreuve, partage avec vous « un
texte par lequel il exprime la plénitude de la pensée que procurent les longues
marches dans le désert, à l’instar de Théodore Monod », en espérant
que vous y trouverez des symboles qui vous saurez appréhender grâce à votre
sagacité d’humaniste. Il ne sait pas pourquoi, en apprenant votre peine, il a
subitement décidé de terminer son poème pour vous, laissé volontairement sans ponctuation,
en se remettant à votre souffle pour le lire, sûr qu’il sera le bon.
Celles et ceux que le destin a accablés
le savent bien. Ils savent que dans les moments sombres de l’existence, le
destin envoie des lutins du bonheur qui, avec leurs torches flamboyantes et
leurs mots sublimes, allègent miraculeusement nos peines et illuminent notre
cheminement dans la vie.
Rida Lamrini - 04 avril 2012