mercredi 1 février 2012

Prière d’un matin


La salle est pleine à craquer. Combien sont-ils ? Dix-mille ? Quinze mille ? Tous impatients de voir l’orateur. Celui-ci finit par émerger sur l’immense estrade, marque un temps d’arrêt, puis salue longuement l’audience. Il se dirige vers le pupitre et entame son discours :
« Je suis venu vous parler du Maroc. Du Maroc qui souffre, mais aussi du Maroc qui espère, du Maroc que nous allons construire. Devant vous, je ressens une profonde émotion, celle d’exprimer votre conviction, votre volonté, votre espérance. J’ai conscience de la tâche qui est la mienne : redonner confiance au Maroc, changer le destin de notre pays. Je suis prêt à assumer cette responsabilité et à vous dire quelle est ma conception de Chef de gouvernement. »
Les applaudissements éclatent. Il poursuit crescendo :
« Gouverner, c’est se dévouer à l’intérêt général, dont toute décision doit procéder. Gouverner, c’est préserver l’État, sa neutralité, son intégrité, face aux puissances d’argent, face aux clientèles. Gouverner, c’est refuser que tout procède d’un seul raisonnement, d’un seul parti qui risque de devenir un clan. Gouverner, c’est élargir les droits du Parlement. C’est reconnaître les collectivités locales dans leur liberté. C’est promouvoir les partenaires sociaux. C’est faire participer les citoyens aux grands débats qui les concernent. »
L’assistance est conquise. Debout, ils applaudissent à tout rompre ce leader venu de nulle part.
« Gouverner, c’est démocratiser les institutions. J’introduirai le non-cumul des mandats pour les Parlementaires et la parité dans l’exercice des responsabilités. Gouverner, c’est faire respecter la loi pour tous, partout, sans faveur pour les proches, sans faiblesse pour les puissants, en garantissant l’indépendance de la justice, en écartant toute intervention sur les affaires, en préservant la liberté de la presse. Gouverner, c’est être impitoyable à l’égard de la corruption. Gouverner, c’est rassembler, réconcilier, unir. Gouverner, c’est ne jamais transiger avec les fondements du génie marocain, qui sont l’esprit de liberté, les droits de l’homme, la diversité culturelle. Gouverner enfin, c’est donner le meilleur de soi-même, sans attendre en retour ni récompense, ni reconnaissance. C’est être ambitieux pour son pays et humble pour soi-même. C’est se donner pleinement à la cause choisie, la seule qui vaille : servir le Maroc. Gouverner, c’est mettre l’État au service des citoyens. »
Emporté par les envolées lyriques de l’orateur, je suis subjugué. Je vibre sous le coup de l’émotion. Je ressens le discours dans mes tripes. L’homme politique poursuit d’un ton enflammé :
« Nous irons ensemble vers le Maroc de demain ! Un Maroc du travail, du mérite, de l’effort, de l’initiative, de l’entreprise, où le droit de chacun s’appuie sur l’égalité de tous. Un Maroc de la justice, où l’argent sera remis à sa place, celle d’un serviteur et non d’un maître. Un Maroc de la solidarité, où aucun des enfants de la Nation ne sera laissé de côté. Un Maroc du civisme, où chacun demande non pas ce que le Maroc peut faire pour lui, mais ce que lui peut faire pour le Maroc ! Un Maroc de l’exemple, où le pays se retrouve dans ce qui l’élève, le réunit, le dépasse, un Maroc de la confiance où toutes les forces qui le constituent se mobilisent pour l’avenir ! ».
Je sens un souffle sur ma joue. Quelqu’un m’embrasse.
– Papa, je pars à l’école. Passe une bonne journée.
J’ouvre les yeux. Comme à son habitude chaque matin, mon fils est venu me saluer dans mon lit avant de s’en aller au lycée. Je le vois s’éloigner, son sac d’école sur le dos. Je me frotte les yeux. Le réveil indique sept heures. Un sentiment étrange m’anime. Cette nuit, j’ai revécu l’admiration ressentie la veille en écoutant le discours de ce célèbre prétendant d’outre-mer à conduire le gouvernement de son pays… transposée au mien ! Ce matin, encore sous l’effet de son éloquence et de sa sincérité, je suis rudement ramené de l’exaltation de mon rêve à la platitude de la réalité par la lumière qui inonde ma chambre.
Puisse votre monde être peuplé d’âmes de la trempe de celle dont j’ai rêvé, prié-je en mon for intérieur, en songeant à mon fils et aux générations futures.

Rida Lamrini - 1er février 2012