Maman. Dans le noir de ce cagibi qui me sert de chambre,
je grelotte sous ma couverture. J’aimerai tant retourner à notre village, me blottir
contre toi. Chez nous, il est vrai, il fait encore plus froid. Mais j’ai tellement
plus chaud dans tes bras.
Maman. J’aimerais te raconter ma nouvelle vie. Depuis
le jour où tu m’a confiée à ces gens de la ville. Mais comment faire ? Je ne sais
pas écrire. Tu ne sais pas lire. Et je n’oserai pas tout te dire. Dans ma détresse,
j’essaie de comprendre. Pourquoi Maman tu m’as arrachée à mes frères et à ma petite
sœur et laissée avec des inconnus ? Maman, pourquoi tu m’as abandonnée ? Quand te
reverrai-je ? Tu me manques tant.
Je ne sais combien de temps je suis chez ces gens. Une
éternité. Je me rappelle ce matin où tu m’as demandé de me préparer pour aller en
ville. Tu m’as dit que tu m’emmenais chez des gens bien. Ils allaient être ma deuxième
famille. La dame allait être ma seconde Maman. Le monsieur serait mon nouveau papa.
J’aurais de nouveaux frères et de nouvelles sœurs. Je mangerais à ma faim, m’habillerais
correctement, et même apprendrais à lire et à écrire. En étais-tu si sûre, Maman
?
Dès que tu a tourné le dos ce jour-là, ma « nouvelle
Maman » me montra le réduit où je passe mes nuits. Quand tard je me jette dans le
lit pour me reposer, mes pieds touchent le mur. Pourtant, la maison est grande.
Plus grande que notre village. La cuisine peut contenir notre maison. Nous pourrions
tous y loger, toi Maman, mon père, mes frères et ma petite sœur. Mais aussi mes
tantes, mes cousins, les voisins. L’herbe du jardin est verte. Plus verte que chez
nous. Notre vache et nos deux chèvres y seraient heureuses. Elles auront plein à
manger et seraient bien grasses.
La dame m’a demandé de l’appeler « maîtresse » et son
mari « maître ». Elle ne me sourit pas, me parle d’un ton sec. Elle n’est jamais
contente, ne me laisse pas un moment de répit. Elle n’a que des insultes à la bouche.
Hier, elle m’a roué de coups. Toi ma petite Maman, tu ne m’as jamais frappé. Ni
moi, ni ma petite sœur.
Le « maître » n’est ni gentil, ni méchant. Il ne me parle
pas. Son regard me trouble quand je me trouve seule avec lui. J’ai peur. Il passe
ses mains sur ma tête, puis sur mon dos. Je ne sais pas ce qu’il veut. Le fils est
mignon. J’aimerai jouer avec lui. Mais il m’ignore. Sa sœur ne me parle que pour
me demander des choses. T’a pas fait mon lit ! Nettoie ma salle de bain ! Elle est
pire que sa mère.
Et puis il y a Zohra. Elle dort dans la chambre près
de la cuisine. Elle est arrivée chez ces gens il y a bien longtemps. Elle vient
d’un village lointain. Elle est contente de me voir. Non qu’elle m’aime, mais parce
je la relève de plusieurs tâches. Elle s’adresse à moi par des ordres. Elle ne tolère
pas que je la regarde, ne me laisse pas le temps de souffler. Je ne l’aime pas.
Je l’évite.
Mon père m’a rendu visite la semaine dernière. Il m’a
à peine embrassée. Le reste du temps, il est resté avec les gens dans la chambre
à côté de l’entrée. J’ai fait mine de laver le sol du hall. J’ai tout entendu. Mon
père prit de l’argent, et eut à peine le temps de me serrer contre lui en me demandant
d’être sage et gentille. Il est parti, la tête basse et le dos courbé.
Ce jour-là Maman, j’ai tout compris. Vous avez besoin
d’argent. Vous avez du mal à nous élever, mes frères, ma sœur et moi. Vous m’avez
confiée à cette famille en pensant faire d’une pierre deux coups. Assurer mon avenir
et vous faire un peu d’argent. N’est-ce pas, Maman ?
Mais vous vous trompez, toi et mon père. Ma vie est devenue
un enfer. Je souffre et vous me manquez. Est-ce là l’amour que vous me portez ?
Est-ce comme cela que vous voulez me voir vivre ? Vous avez oublié une chose Maman.
Vous n’avez pas le droit de disposer de ma vie comme bon vous semble. Je ne suis
pas à vendre. Je ne suis pas une bonne, encore moins une bonne à tout faire. Mais
ça Maman, comment te le faire comprendre.
Maman, je peux vivre pauvre ; je ne peux pas
vivre sans ma dignité. Maman, ramène-moi à la maison.
Rida Lamrini - 28 novembre 2012