5 heures. L’appel des Muezzins
s’élèvent dans le ciel encore sombre. 8 heures. Les cloches des églises résonnent
à leur tour et couvrent de leur timbre les bruits de la matinée. À quelques
heures d’intervalle, dans cette contrée sillonnée par tant de prophètes, mosquées
et églises, des fois côte à côte, souvent distantes de quelques rues à peine, appellent
leurs fidèles à se recueillir plusieurs fois dans la journée.
Devant le calme qui enveloppe Beyrouth, je me demande comment une ville
si accueillante, si paisible, si propre, a-t-elle pu au cours de sa récente
histoire sombrer dans les affres de la guerre civile et la fureur des
affrontements entre communautés. Ses habitants semblent aujourd’hui croquer
dans la vie à pleines dents, comme s’ils redoutaient le retour des folies
meurtrières qui, un temps, avaient aveuglé leurs dirigeants. Les bienfaits de
la paix ne sont pas un acquis éternel.
Mes pensées vont alors vers les habitants de la Syrie voisine. Hier encore,
ils vivaient en paix. En apparence du moins. Tout près d’eux, les koweitiens se
réveillèrent un matin au milieu des chars des voisins irakiens. À leur tour, ceux-ci
virent impuissants le ciel noir de Bagdad déchiré par les traînées lumineuses d’innombrables
missiles. De l’autre côté de la terre, comment ne pas songer à ces new-yorkais
qui, un matin de septembre, avaient emprunté comme à l’accoutumée les
ascenseurs des tours jumelles du World Trade Centrer, croyant se rendre à leurs
lieux de travail, alors qu’ils avaient rendez-vous avec leur destin. Plus loin
dans le temps, peut-on oublier ces populations des Balkans que les rêves
mégalomanes et les visions haineuses de leurs leaders avaient plongés dans des
horreurs indescriptibles ? Et l’Europe, qui se pose aujourd’hui en modèle
d’intégration continentale, n’a-t-elle pas été le théâtre des deux guerres les
plus infernales de l’histoire de l’humanité ?
Tout récemment, je me demande comment ces japonais, auxquels les
secousses telluriques n’ont plus de secret, pouvaient-ils prévoir que le nième
séisme qui les avait frappés allait déclencher un cataclysme océanique qui allait
non seulement emporter des milliers de vies, mais détruire la centrale
nucléaire qui faisait partie de leur quotidien, empoisonnant du coup
atmosphère, végétation et animaux. Et tout près de nous, les libyens ont
brutalement basculé dans les horreurs d’une guerre civile, auprès de laquelle
les exactions du régime sanguinaire sous lequel ils ont si longtemps vécu semblèrent
de joyeux pique-niques.
Et comment rester indifférent au sort de ces âmes, palestiniens,
soudanais, tchéchènes, afghans, tibétains, sahéliens, africains…, qui, à cause
de la folie des hommes ou de la dureté du climat, sont condamnées à errer sur
des terres étrangères, sous de fragiles toits de toile et sur des lits de
fortune.
N’y aurait-il donc pas de contrée qui échapperait aux impondérables de
la vie ? N’y a-t-il pas d’eldorado sur cette terre, ni d’endroit idéal
pour mener une existence paisible ? Les moments de bonheur que les êtres
connaissent ici ou là ne sont-ils donc que d’éphémères instants de répit, en
attendant que la vie les afflige de ses imprédictibles épreuves ?
Au moment où je quitte les rives aujourd’hui paisibles du Liban, mais
menacées de subir les effets des soubresauts qui agitent la Syrie voisine, je
prie pour qu’elles continuent à baigner dans la sérénité de ce mois de mai, et
qu’elles soient à jamais préservées des nouvelles déchirures. Dans l’avion qui
me ramène à cette contrée bénie du Nord-ouest d’Afrique à laquelle le destin
m’a conduit pour y jeter l’ancre de ma barque, je me prends à remercier le Ciel
pour la clémence de son climat, par comparaison aux phénomènes qui dévastent
ici ou là le globe terrestre. Je mesure le bonheur qu’ont ses habitants de
pouvoir y circuler librement et en toute sécurité, d’est en ouest, du nord au
sud. Je réalise combien ses marchés, chaque jour achalandés du fruit de ses
terres généreuses, sont une bénédiction qui appelle notre reconnaissance. Je
prends conscience de la chance qu’ont ses citoyens, au regard d’autres
contextes sociaux, de pouvoir exprimer, écrire et publier leurs opinions dans
une relative liberté.
Béate satisfaction face aux nombreux problèmes qui assaillent le
pays ? Aveugle attitude devant la réalité des difficultés dans lesquelles
il se débat ? Louanges dithyrambiques à des politiques socio-économiques,
critiquables à bien des égards ? Non, tout juste la sérénité qui découle
de l’évaluation relative des événements, et l’inévitable philosophie forgée par
les épreuves de la vie.
Si tu ne peux atteindre les rivages de tes rêves, aime la terre qui
t’abrite et te nourrit.
Rida Lamrini