Hier encore, ils
vivaient dans des demeures. Aujourd’hui, ils n’ont que le ciel pour toit.
Ils avaient un foyer. Ils sont devenus des sans-abri. Ils nichaient dans la
chaleur du cocon familial. Ils sont livrés aux rigueurs des intempéries. Ils confiaient
leur fatigue au confort de leurs litières. Ils n’ont plus que les aspérités d’un
sol froid pour accueillir leurs corps épuisés.
Hier encore,
ils géraient des biens, administraient des cités, faisaient commerce.
Aujourd’hui, ils sont dépourvus, errent sans but, cherchent un refuge. Ils
possédaient des fortunes, avaient un statut, étaient entourés. Ils se
retrouvent dénués, soudainement esseulés. Ils ne manquaient de rien,
disposaient du nécessaire et du superflu, étaient comblés. Ils ont tout perdu,
dépendent de la charité d’autrui, sont accablés.
Hier encore,
ils vaquaient à leurs occupations, cultivaient leurs champs, dominaient leur
monde. Ils sont désormais déroutés, désemparés, écrasés.
Hier encore,
ils vivaient en paix, œuvraient dans la tranquillité, dormaient dans la
sérénité. Aujourd’hui, ils vivent séparés de leurs proches, errent parmi les
inconnus, égarés dans un monde de terreur.
Hier encore, ils se réveillaient avec le soleil
levant, cueillaient les fruits de la terre dans la clarté du jour, trouvaient le
repos avec la tombée de la nuit. Aujourd’hui, ils se terrent sous le déluge des
bombes, fuient les atrocités de la guerre, recherchent désespérément un abri.
Hier encore,
ils avaient rejoint leur travail, s’étaient installés dans leurs bureaux,
préparés pour une autre journée de labeur. Ils se retrouvèrent piégés dans des
tours infernales, et finirent engloutis dans leurs décombres. Ils avaient pris
l’avion pour retrouver des proches, régler des affaires, découvrir le monde.
Ils se retrouvèrent otages, devinrent prisonniers, et finirent victimes.
Ils s’étaient habitués aux largesses de l’État, à la
générosité des gouvernants, aux programmes sociaux. Ils découvrent les
mensonges des politiques, la dette nationale abyssale, la vacuité des aides
publiques. Ils pensaient être assurés du droit au travail, du pouvoir d’achat, du
droit au bonheur. Ils réalisent qu’ils vivent dans un monde factice, bâti sur
des chimères, tapissé d’utopies.
Hier encore, ils
dirigeaient sans partage, pliaient le monde à leur volonté, décidaient sans
conteste. Ils finirent rejetés par tous, bannis dans de lointaines contrées,
honnis pour l’éternité. Ils gouvernaient d’une main de fer, muselaient des
nations entières, étouffaient des populations jadis fières. Ils terminèrent
leurs vies déambulant sur terre, se tapirent au fond des égouts, sombrèrent dans
la folie.
Hier encore, ils pensaient s’être installés sur le
dôme de l’univers, avoir dominé la terre, asservi l’ordre des hommes. Ils s’aperçoivent
que des nations effacées se sont transformées en nouveaux maîtres du jeu, que des
pays jadis à la traîne sont devenus des puissances redoutées.
Hier encore, des
êtres désespérés fuyaient la misère de leurs pays. Bravant éléments et adversité,
ils n’avaient de cesse que de se ruer vers l’eldorado de l’Occident.
Aujourd’hui, tel le reflux des eaux, les natifs de ce même eldorado quittent
leurs pays et partent tenter leur chance dans les contrées de misère.
Comme si par une loi implacable, ce qui monte
aujourd’hui, doit descendre demain. Ce qui semble acquis éternellement, finit
par s’évanouir subitement. Ce qui paraît relever de l’immuable, n’est en fin de
compte que mirage insaisissable. Ce qui est du domaine de l’évident, n’est finalement
qu’une vue de l’esprit.
Dans ce monde où tout bouge, ou aujourd’hui ne
ressemble plus à hier, et encore moins à demain, comment regarder ce qui se
passe autour de soi et continuer à vivre avec la « certitude » que
cela n’arrive qu’aux autres ? Le temps n’est-il pas arrivé de comprendre
les raisons des soubresauts qui agitent le globe et secouent tant de
communautés, et d’en tirer les leçons sur comment s’en préserver ? Ou serait-ce
une fatalité inexorable à laquelle il est difficile d’échapper ?
À moins que ne soit arrivé le temps des
incertitudes, un temps où, par essence, toute « certitude » n’est que
vérité fugace.
Rida Lamrini - 16 Janvier 2013