De retour de Tunis, je retrouve mon pays sous un
ciel désespérément bleu. Décembre tire à sa fin. Nulle trace de pluie. La pluie
est la clé du moral et des affaires. Elle conditionne l’économie, déride les
visages. C’est pourquoi l’automne est une saison délicate dans la vie des
Marocains. Délicate parce qu’ils attendent une pluie qui n’en finit pas de
venir. Et si la saison se prolonge et que la pluie ne vient toujours pas, alors,
ils attendent la fin de l’année. Ils démarrent l’année suivante dans l’attente
de quelque chose, le Ramadan pour hiverner un mois durant, une fête pour
construire un pont, ou un événement feuilleton qui occupe. Puis, ils se
retrouvent à attendre les vacances d’été. Naturellement, la saison chaude ne se
prête pas aux activités trépidantes. Alors ils attendent la rentrée. Avec
l’espoir que la pluie tombera cette fois-ci.
L’année durant, le Maroc attend. C’est dans la
nature de ses habitants.
Et en ce mois de décembre 2011, le pays attend
quelque chose de particulier. Un gouvernement providentiel. Un gouvernement dont
il n’attend pas moins qu’il dégaine la baguette magique pour résoudre les
incommensurables problèmes de la santé, de l’éducation, de la justice, du
travail. Cela fait des décennies que les marocains attendent que l’on réponde à
leurs espérances.
Ce matin, je décide de prendre de la distance avec
l’événement en replongeant dans le quotidien bruyant de la ville. Rien de mieux
que de rejoindre mon ami Ba Jalloul, sûrement attablé à cette heure-ci dans son
café préféré. Chemin faisant, j’observe Casablanca qui se prépare pour une
nouvelle journée, impatiente de libérer son énergie, de donner libre cours à sa
vitalité, avant de s’engourdir le soir dans la fraîcheur hivernale. Car Casablanca
est turbulente. Rebelle. Jalouse de sa liberté. Ses piétons ignorent les
passages cloutés. Ses conducteurs roulent comme dans un manège
d’auto-tamponneuses. Ses marchands ambulants prennent les chaussées pour un
immense marché à ciel ouvert. Ses promoteurs immobiliers sont reconnaissables
aux bâtiments qu’ils érigent, aux trottoirs qu’ils aménagent et aux garages
souterrains qu’ils creusent.
Je suis heureux de retrouver Ba Jalloul, emmitouflé
dans un manteau noir, à sa table habituelle, plongé dans ses mots croisés. Le
bruit des klaxons stridents pénètre jusqu’au fond du café.
– Ça ne te dérange pas tous ces klaxons ? lui
dis-je en guise de salut, les mains sur les oreilles.
– Tu veux empêcher Casablanca de s’exprimer ?
rétorque-t-il, sans lever les yeux de son journal.
– Mais c’est trop fort ! Les casablancais
conduisent la main sur le klaxon à longueur de journée !
– Rien de mieux qu’un bon klaxon pour dégager son
chemin, appuyer une bordée d’injures, dire bonjour, manifester sa colère, se
faire ouvrir son garage, presser l’ami au cinquième étage à descendre, ou tout
juste annoncer son arrivée… , lâche Ba Jalloul d’une traite, toujours plongé
dans ses mots croisés
– Tu parles. Ils ont besoin du klaxon lorsque les
feux passent au vert ? On dirait qu’ils jouent la chevauchée des Walkyries
de Wagner. C’est infernal !
– Normal. Chacun d’entre eux est persuadé qu’il est
le seul à avoir aperçu le changement de couleur des feux, et qu’un bon klaxon
est le meilleur moyen de faire démarrer ceux qui le précèdent. Enlève le klaxon
à un casablancais, et il se retrouve nu, incapable de conduire. Il faut
comprendre que pour lui, le klaxon est l’équipement de base de la
voiture ! Le reste, n’est qu’options superflues !
– Pourtant, ils savent bien que les autres finiront
par démarrer. Juste un peu de patience !
– Demande-leur d’attendre ce que tu veux, autant que
tu veux ! Ne leur demande pas d’attendre au volant ! Ce n’est pas dans
leur nature.
– Ouups …!
Rida Lamrini - 04 janvier 2012