mercredi 4 janvier 2012

Vous avez dit… attendre ?


De retour de Tunis, je retrouve mon pays sous un ciel désespérément bleu. Décembre tire à sa fin. Nulle trace de pluie. La pluie est la clé du moral et des affaires. Elle conditionne l’économie, déride les visages. C’est pourquoi l’automne est une saison délicate dans la vie des Marocains. Délicate parce qu’ils attendent une pluie qui n’en finit pas de venir. Et si la saison se prolonge et que la pluie ne vient toujours pas, alors, ils attendent la fin de l’année. Ils démarrent l’année suivante dans l’attente de quelque chose, le Ramadan pour hiverner un mois durant, une fête pour construire un pont, ou un événement feuilleton qui occupe. Puis, ils se retrouvent à attendre les vacances d’été. Naturellement, la saison chaude ne se prête pas aux activités trépidantes. Alors ils attendent la rentrée. Avec l’espoir que la pluie tombera cette fois-ci.
L’année durant, le Maroc attend. C’est dans la nature de ses habitants.
Et en ce mois de décembre 2011, le pays attend quelque chose de particulier. Un gouvernement providentiel. Un gouvernement dont il n’attend pas moins qu’il dégaine la baguette magique pour résoudre les incommensurables problèmes de la santé, de l’éducation, de la justice, du travail. Cela fait des décennies que les marocains attendent que l’on réponde à leurs espérances.
Ce matin, je décide de prendre de la distance avec l’événement en replongeant dans le quotidien bruyant de la ville. Rien de mieux que de rejoindre mon ami Ba Jalloul, sûrement attablé à cette heure-ci dans son café préféré. Chemin faisant, j’observe Casablanca qui se prépare pour une nouvelle journée, impatiente de libérer son énergie, de donner libre cours à sa vitalité, avant de s’engourdir le soir dans la fraîcheur hivernale. Car Casablanca est turbulente. Rebelle. Jalouse de sa liberté. Ses piétons ignorent les passages cloutés. Ses conducteurs roulent comme dans un manège d’auto-tamponneuses. Ses marchands ambulants prennent les chaussées pour un immense marché à ciel ouvert. Ses promoteurs immobiliers sont reconnaissables aux bâtiments qu’ils érigent, aux trottoirs qu’ils aménagent et aux garages souterrains qu’ils creusent.
Je suis heureux de retrouver Ba Jalloul, emmitouflé dans un manteau noir, à sa table habituelle, plongé dans ses mots croisés. Le bruit des klaxons stridents pénètre jusqu’au fond du café.
– Ça ne te dérange pas tous ces klaxons ? lui dis-je en guise de salut, les mains sur les oreilles.
– Tu veux empêcher Casablanca de s’exprimer ? rétorque-t-il, sans lever les yeux de son journal.
– Mais c’est trop fort ! Les casablancais conduisent la main sur le klaxon à longueur de journée !
– Rien de mieux qu’un bon klaxon pour dégager son chemin, appuyer une bordée d’injures, dire bonjour, manifester sa colère, se faire ouvrir son garage, presser l’ami au cinquième étage à descendre, ou tout juste annoncer son arrivée… , lâche Ba Jalloul d’une traite, toujours plongé dans ses mots croisés
– Tu parles. Ils ont besoin du klaxon lorsque les feux passent au vert ? On dirait qu’ils jouent la chevauchée des Walkyries de Wagner. C’est infernal !
– Normal. Chacun d’entre eux est persuadé qu’il est le seul à avoir aperçu le changement de couleur des feux, et qu’un bon klaxon est le meilleur moyen de faire démarrer ceux qui le précèdent. Enlève le klaxon à un casablancais, et il se retrouve nu, incapable de conduire. Il faut comprendre que pour lui, le klaxon est l’équipement de base de la voiture ! Le reste, n’est qu’options superflues !
– Pourtant, ils savent bien que les autres finiront par démarrer. Juste un peu de patience !
– Demande-leur d’attendre ce que tu veux, autant que tu veux ! Ne leur demande pas d’attendre au volant ! Ce n’est pas dans leur nature.
– Ouups …!

Rida Lamrini - 04 janvier 2012