Je voudrais vous présenter mon ami Jalal. On l’appelle affectueusement Ba Jalloul. Il n’a rien de particulier. Juste ce marocain qui pourrait être votre voisin de palier. Affable, sans histoires, un homme somme toute bien ordinaire.
Perspicace, ses convictions puisées dans les épreuves
de la vie l’ont rendu aussi impassible que philosophe. Ses avis simples et ses
analyses empreintes du bon sens populaire se nourrissent de la seule activité
que je lui connaisse : s’attabler chaque jour dans le café voisin, lire la
presse, faire les mots croisés et glaner des informations sur ce qui se trame
dans les sphères du pouvoir.
En cet an I de l’ère PJD, qui mieux que Ba Jalloul
m’aidera à me faire une religion.
Je l’aperçois au moment où il s’engage dans ma rue.
La cinquantaine bien conservée, la mise soignée, un blazer au dessus d’une
paire de jeans, un chapeau noir à large rebord posé sur de longs cheveux
cendrés coiffés vers l’arrière, les yeux cachés par d’immenses lunettes noires,
il promène ses deux pékinoises comme à son habitude en fin de journée. Je le
rejoins.
– Le pays ira mieux dorénavant, me dit-il tout de go,
la mine rayonnante, comme s’il avait deviné ma préoccupation.
– Tu veux dire que le PJD réglera des problèmes vieux
de cinquante ans ?
– En 2007, on leur a raflé la victoire.
– Et cette fois-ci ? demandé-je, dubitatif.
– Enfin ! Les premières élections transparentes
de notre histoire moderne ! Le Premier ministre a les coudées franches
pour former son gouvernement ! Conditions idéales pour gouverner ! Il
reste que si le PJD est au pouvoir, il doit remercier un certain printemps et de
jeunes mutants.
– Tu n’as pas répondu à ma question. Est-ce qu’un
gouvernement PJD résoudra nos problèmes ?
– Ces gars-là n’ont pas l’expérience du pouvoir,
mais ils ont des idées, et surtout la volonté !
Ba Jalloul est en train de me contaminer son
optimisme.
– Ils pourront régler le problème de l’école ?
– Bien sûr, rétorque-t-il.
Il marque un temps d’arrêt, puis poursuit :
– Pas du jour au lendemain bien sûr…
– Et ils sont armés pour retaper notre système de
santé ?
– Ils ont des solutions, réagit-il sans hésiter. Mais
là aussi, ça prendra du temps.
Je le regarde du coin de l’œil. Il m’a l’air moins
rayonnant.
– Ba Jalloul, 200.000 jeunes déferlent chaque année
sur le marché du travail. 100.000 à peine sont casés pendant que les autres
vont grossir l’énorme stock de chômeurs ? Eux n’ont pas le temps ! Le
feu couve. Il finira par tout dévorer. Tu crois que le PJD peut… ?
Ba Jalloul reste silencieux. J’attends sa réponse.
J’ai besoin de sa réponse.
– J’en sais rien, finit-il par réagir en suivant ses
chiennes pressées d’explorer leur territoire dans le quartier, à en juger par
leur insistance à tirer la laisse tenue par leur maître.
– Écoute, je regagne mes pénates, laisse-t-il tomber.
C’est l’heure du dîner des chiennes…
Les bras m’en tombent. La discussion avec Ba Jalloul
n’a pas été bien loin. Elle m’a déprimé. Comme un soufflé qui retombe, mon
enthousiasme fugace s’est évaporé. J’ai mal à la tête. Je me sens las.
Je regagne chez moi, le cœur lourd, désabusé.
Rida Lamrini - 21 décembre 2011