Ils étaient des
dizaines. Ils étaient des milliers. Ils descendirent dans la rue, durant le
printemps. Personne ne les attendait.
Personne ne s’y attendait. Tel un volcan dont nul ne
soupçonnait l’existence et qui, sans crier gare, s’était mis à vomir des laves menaçantes,
les sociétés de la rive sud de la Méditerranée régurgitèrent une progéniture
méconnaissable. La jeunesse serait-elle devenue folle ?
Les réseaux
sociaux bruissaient. Les parents étaient désemparés. Les politiques déroutés.
Les schémas perturbés. Les paradigmes inopérants. Les radars brouillés. Les
prévisions démenties. Des vents de liberté inconnus balayaient des contrées
longtemps maintenues sous d’épaisses chapes de plombs, attisaient le brasier
allumé par des jeunes ordinairement muets. Des générations avides de changement
bousculaient des sociétés ensevelies dans des glacis dictatoriaux.
Les effluves
chauds exhalés enveloppaient les marches des jeunes d’un trouble angoissant. Les
adultes s’inquiétaient du lendemain. Les fortunés s’émouvaient pour leurs acquis.
Les puissants tremblaient pour leurs privilèges. Les politiques s’alarmaient
pour leurs avantages. Les gens ordinaires priaient pour la quiétude du
quotidien. Les petites gens se demandaient de quoi serait fait demain. Les
démunis courraient toujours après leur maigre pitance. Les fidèles redoublaient
de ferveur dans leurs prières. Les aspirants au changement se félicitaient de
cette vague inespérée. Les pêcheurs en eau trouble se tenaient en embuscade.
Les opportunistes s’apprêtaient à sauter sur l’aubaine. Les laissés-pour-compte
n’y prêtaient pas attention. Les désabusés regardaient ailleurs. Les sceptiques
ironisaient. Les idéalistes voyaient leurs rêves se réaliser.
Mais personne ne savait ce que les vents du
printemps allaient apporter.
Les jeunes
défilèrent dans les rues. Ils crièrent leur désespoir. Ils clamèrent leurs espérances.
Ils appelèrent au changement. Ils dénoncèrent les maux du quotidien. Ils
stigmatisèrent les responsables de leur quotidien. Ils pointèrent la
corruption. Ils condamnèrent l’impunité. Ils rejetèrent la concussion. Ils
blâmèrent les malversations. Ils demandèrent la transparence. Ils exigèrent
l’équité. Ils réclamèrent la justice. Ils demandèrent l’égalité des chances. Ils
requirent la responsabilité. Ils secouèrent les assoupis. Ils prônèrent
l’éveil. Ils interpellèrent les politiques. Ils questionnèrent les gouvernants.
Ils défendirent la démocratie. Ils mirent les privilèges en question. Ils ne
voulaient plus du passé. Ils voulaient un ordre nouveau. Ils aspiraient à un
autre lendemain. Ils étaient la nouvelle conscience de leurs sociétés.
Selon le pays, ici
on résista, là on plia, ailleurs on réprima. On prêta l’oreille au tollé. On
fit la sourde oreille. On tendit la main. On brandit les armes. On toiletta les
textes. On jeta du lest. On garda l’essentiel. On utilisa la force. On sacrifia
le peuple. On sacrifia des têtes. On classa des têtes. On replaça des têtes. On
donna la voix au peuple. On préserva les indispensables. On fit appel à des
nouveaux. On mobilisa la force. On offrit des postes. On calma les meneurs. On
cassa les meneurs. On casa les leaders. On offrit de l’espace aux ténors. On ouvrit
le feu. On déversa les mannes.
Le vent passa. L’orage
se calma. La ferveur tomba. Les remous s’apaisèrent. Les rangs se
clairsemèrent. Les slogans se turent. Les espoirs s’envolèrent. Les idéaux
s’évanouirent. Les idéalistes disparurent. Les politiques survécurent. Les
opportunistes récupérèrent. Les outsiders profitèrent. Les futés se posèrent en
sauveurs. Les déchus gagnèrent en sainteté. Les caciques retrouvèrent une
virginité. Les laudateurs vantèrent la stabilité. Le pouvoir perdura. Le
pouvoir changea de main. Les inattendus arrivèrent.
Des années après, à la veille d’un
nouveau printemps, est-on sûr d’avoir éteint
l’incendie, calmé les ardeurs, répondu aux clameurs, redonné l’espoir, surmonté
l’épreuve, tourné la page ? Le feu ne couve-t-il toujours pas sous la
cendre ? Les aspirations ne sont-elles toujours pas aussi ardentes ?
Les exigences ne sont-elles toujours pas aussi brûlantes ?
Les jeunes redescendront-ils
à nouveau dans la rue ? Si d’aventure ils s’y reprenaient, à quoi faut-il
s’attendre cette fois-ci ? Les éruptions qui agitent encore les rivages de
la Méditerranée seraient-ils des épiphénomènes, ou les signes avant-coureurs
d’une lame de fond aux effets bien plus dévastateurs ? Les vents du
printemps seraient-ils réellement tombés ?
« The
answer my friend is blowin' in the wind » a répondu Bob.
Rida Lamrini 09 janvier 2013