mercredi 3 octobre 2012

Quand il ne reste qu’un seul mot


Quand les déchirures de la vie ne se referment plus avec le temps. Quand les blessures du temps ne se cicatrisent plus normalement. Quand les douleurs restent lancinantes jour après jour. Quand la peine continue de tarauder sans espoir qu’elle s’adoucisse un jour.
Quand l’espoir de rétablir la communication s’estompe au fil du temps. Quand la perspective de restaurer l’échange s’est éloignée il y a bien longtemps. Quand l’idée de retrouver un rapport apaisé disparaît lentement. Quand le bonheur de partager les joies simples de la vie s’évanouit doucement.
Quand s’éternise l’attente de revoir l’être cher. Quand dure la frustration de ne plus voir le proche d’hier. Quand s’installe la certitude d’avoir à jamais perdu une partie de sa chair.
Quand grandit la hantise d’avoir enterré un pan de sa vie. Quand s’affirme la certitude d’avoir tourné une page de son vécu. Quand s’impose la réalité d’un univers vide de celui qui en a occupé une partie.
Quand échouent les tentatives de construire des ponts vers l’être aimé. Quand avortent les dialogues que l’on a vainement essayé de nouer. Quand faillent les ouvertures vers cette partie de soi-même.
Quand les explications demeurent incomprises. Quand les éclaircissements restent inintelligibles. Quand les évidences sont indéfiniment imperceptibles.
Quand les actes ne font que se perdre dans les méandres du non sens. Quand les gestes ne parviennent jamais à leur finalité. Quand les abords sont condamnés à échouer sur des écueils acérés.
Quand il ne reste plus que l’espoir pour vivre. Quand on n’a plus que les rêves pour exister. Quand il n’y a plus que les prières pour subsister.
Quand on a envie de parler, mais ne peut proférer mot. Quand on a envie de hurler, mais ne peut émettre que silence. Quand on a envie de communiquer, mais ne peut que contempler.
Quand on pense que la flamme de l’affection s’est éteinte. Quand on croit que la chaleur des sentiments s’est refroidie. Quand on estime que le froid de la désillusion a tout glacé.
Quand on a épuisé tous les mots pour rendre intelligible l’abscons. Quand on a employé toutes les phrases pour dévoiler l’intime tréfonds. Quand on a utilisé toutes les locutions pour atteindre le cœur de l’autre.
Quand on a plus que le silence pour parvenir à l’être proche. Quand on manque de vocables pour accéder à son cœur. Quand il ne reste qu’un mot pour espérer retisser les liens.

Alors, il suffit de dire pardon.
Dire pardon, pour effacer les malentendus.
Dire pardon, pour regagner l’amour perdu.
Dire pardon, pour apaiser les tensions.
Dire pardon, pour gommer les incompréhensions.
Dire pardon, pour refermer les déchirures.
Dire pardon, pour cicatriser les blessures.
Dire pardon, pour soulager les meurtrissures.
Dire pardon, pour réchauffer les cœurs tourmentés.
Dire pardon, pour oublier les maux infligés.
Dire pardon, pour faire oublier les mots de trop.
Dire pardon, pour reconstruire l’univers brisé.
Dire pardon, pour restaurer la confiance éprouvée.
Dire pardon, pour raccommoder les relations malmenées.
Dire pardon, pour dégeler le désenchantement glacé.
Dire pardon, pour raviver l’affection vacillante.
Dire pardon, pour faire renaître la tendresse évanescente.
Dire pardon, pour dire je regrette.
Dire pardon, pour dire tu me manques.
Dire pardon, pour dire je t’aime.

Rida Lamrini - 03 octobre 2012

Conte d’antan… rêves d’aujourd’hui


– Papa, ça va mal partout. Regarde, l’enseignement a foiré. Y a plein de chômeurs. Les jeunes décrochent tôt de l’école et n’ont pas de travail. Ceux qui terminent les études sont mal formés. La relève n’est pas assurée. Personne n’a confiance en la justice. Vaut mieux pas tomber malade. Se loger coûte cher. La circulation est anarchique. Les rues sont sales. Y a plein d’agressions. On construit des autoroutes et des TGV, et on meurt dans des cars pourris sur des routes défoncées. Nos villes et nos campagnes manquent de commissariats, de casernes de pompiers, d’écoles, d’hôpitaux, de parcs de jeux, de terrains de sports, d’abris pour les SDF, de bibliothèques, de lieux du culte. La presse rapporte sans cesse d’invraisemblables affaires qui engloutissent l’argent du contribuable, sans que personne n’y trouve à redire. Mais que font donc les responsables Papa ?

Le père n’en croit pas ses yeux, ni ses oreilles ! Émerveillé par tant d’enthousiasme, inquiet devant tant de conscience chez son gamin de dix-sept ans. Ainsi raisonne-t-on déjà à cet âge aujourd’hui ?
– Pas aussi facile que tu penses mon fils. Une fois au pouvoir, les gens oublient vite qu’ils étaient de simples citoyens. Alors, laisse-moi te raconter cette histoire… Écoute bien…
Il était une fois un calife qui régnait sur une contrée lointaine. Le peuple lui vouait amour et affection. Le pays était généreusement doté par la nature, les pluies abondantes, les terres fertiles. Le sous-sol regorgeait de richesses et les rivières pleines à longueur d’année. Toutefois, le calife était triste. Son peuple le préoccupait. Il entendait une sourde complainte monter des échoppes du bazar.
Dans son palais, vivait sa gouvernante, une vieille servante. Jeune, le calife passait des soirées, la tête sur sa jambe. Elle lui racontait les histoires des rois passés. Il en avait appris bien des principes de sagesse. Usée par les ans, la veille femme consacrait ses journées au jeûne et à la prière.
Par une soirée d’été, alors qu’il regagnait ses appartements, il aperçut la servante assise sous un arbre. Tel un torrent en crue, les souvenirs d’enfance affluèrent. Il fut pris par l’envie de s’allonger près d’elle, poser sa tête sur sa jambe et se fondre dans le monde de ses contes magiques. Il s’approcha d’elle et lui demanda : Parle-moi de ce roi qui réussit à mettre ses vizirs au service de son peuple. Ravie de retrouver le jeune d’antan, la femme commença à balbutier les premiers mots du conte. Soudain, il se leva et convoqua ses vizirs séance tenante. Le conte défilait dans sa tête, comme la servante l’avait raconté, il y a longtemps. Il souriait, tel un gamin sur le point de jouer un tour. Dans la salle du conseil, devant les mines perplexes de ses vizirs, il se mit à égrener d’un ton grave :
« La vie est chère pour mon peuple, vous toucherez donc le salaire du citoyen moyen. Les gens ont des difficultés à se déplacer, vous n’aurez donc plus de carrosses et circulerez à pied. Vous vous soignerez uniquement chez les médecins de notre Santé publique. Je vous interdis de faire appel à des savants étrangers pour éduquer vos enfants. Ils étudieront dans les écoles où vont les enfants de mon peuple. À partir de ce jour, vous ne bénéficierez plus des privilèges du pouvoir pour accomplir votre mission. Cela durera ainsi jusqu’à ce que mon peuple retrouve la joie de vivre ».
Laissant ses vizirs hébétés, le calife reprit le chemin de ses appartements, repassa devant la vieille dame plongée dans ses prières, et lui jeta un long regard reconnaissant. Un sourire d’enfant illuminait son visage. Il riait sous cape en songeant à ce roi qui dépouilla ses vizirs de leurs apparats et les obligea à vivre comme ses citoyens, afin que son peuple puisse être heureux dans son califat.
Le père se retourne vers son fils et attend sa réaction.
– Il manque quelque chose à ton histoire Papa.
Le père ouvre les yeux, perplexe. L’enfant poursuit :
– Tu n’as résolu qu’une inconnue de l’équation. Il reste la seconde. Que fais-tu des gens qui violent les lois, salissent autour d’eux, bafouent les droits des autres, corrompent à tour de bras, trompent leurs clients, trichent dans leur travail, qui n’ont de valeur que le gain facile à n’importe quel prix, bref ceux qui ne pensent qu’à eux, pas à la communauté… C’est pas uniquement en mettant les gouvernants à la diète que tu vas changer les choses, ni que ça marchera mieux, n’est-ce pas ?
Le père se sent soudainement las.
– On rentre p’tit bonhomme ? laisse-t-il tomber. Le fond de l’air est devenu frais.

Rida Lamrini - 26 septembre 2012