mercredi 3 octobre 2012

Conte d’antan… rêves d’aujourd’hui


– Papa, ça va mal partout. Regarde, l’enseignement a foiré. Y a plein de chômeurs. Les jeunes décrochent tôt de l’école et n’ont pas de travail. Ceux qui terminent les études sont mal formés. La relève n’est pas assurée. Personne n’a confiance en la justice. Vaut mieux pas tomber malade. Se loger coûte cher. La circulation est anarchique. Les rues sont sales. Y a plein d’agressions. On construit des autoroutes et des TGV, et on meurt dans des cars pourris sur des routes défoncées. Nos villes et nos campagnes manquent de commissariats, de casernes de pompiers, d’écoles, d’hôpitaux, de parcs de jeux, de terrains de sports, d’abris pour les SDF, de bibliothèques, de lieux du culte. La presse rapporte sans cesse d’invraisemblables affaires qui engloutissent l’argent du contribuable, sans que personne n’y trouve à redire. Mais que font donc les responsables Papa ?

Le père n’en croit pas ses yeux, ni ses oreilles ! Émerveillé par tant d’enthousiasme, inquiet devant tant de conscience chez son gamin de dix-sept ans. Ainsi raisonne-t-on déjà à cet âge aujourd’hui ?
– Pas aussi facile que tu penses mon fils. Une fois au pouvoir, les gens oublient vite qu’ils étaient de simples citoyens. Alors, laisse-moi te raconter cette histoire… Écoute bien…
Il était une fois un calife qui régnait sur une contrée lointaine. Le peuple lui vouait amour et affection. Le pays était généreusement doté par la nature, les pluies abondantes, les terres fertiles. Le sous-sol regorgeait de richesses et les rivières pleines à longueur d’année. Toutefois, le calife était triste. Son peuple le préoccupait. Il entendait une sourde complainte monter des échoppes du bazar.
Dans son palais, vivait sa gouvernante, une vieille servante. Jeune, le calife passait des soirées, la tête sur sa jambe. Elle lui racontait les histoires des rois passés. Il en avait appris bien des principes de sagesse. Usée par les ans, la veille femme consacrait ses journées au jeûne et à la prière.
Par une soirée d’été, alors qu’il regagnait ses appartements, il aperçut la servante assise sous un arbre. Tel un torrent en crue, les souvenirs d’enfance affluèrent. Il fut pris par l’envie de s’allonger près d’elle, poser sa tête sur sa jambe et se fondre dans le monde de ses contes magiques. Il s’approcha d’elle et lui demanda : Parle-moi de ce roi qui réussit à mettre ses vizirs au service de son peuple. Ravie de retrouver le jeune d’antan, la femme commença à balbutier les premiers mots du conte. Soudain, il se leva et convoqua ses vizirs séance tenante. Le conte défilait dans sa tête, comme la servante l’avait raconté, il y a longtemps. Il souriait, tel un gamin sur le point de jouer un tour. Dans la salle du conseil, devant les mines perplexes de ses vizirs, il se mit à égrener d’un ton grave :
« La vie est chère pour mon peuple, vous toucherez donc le salaire du citoyen moyen. Les gens ont des difficultés à se déplacer, vous n’aurez donc plus de carrosses et circulerez à pied. Vous vous soignerez uniquement chez les médecins de notre Santé publique. Je vous interdis de faire appel à des savants étrangers pour éduquer vos enfants. Ils étudieront dans les écoles où vont les enfants de mon peuple. À partir de ce jour, vous ne bénéficierez plus des privilèges du pouvoir pour accomplir votre mission. Cela durera ainsi jusqu’à ce que mon peuple retrouve la joie de vivre ».
Laissant ses vizirs hébétés, le calife reprit le chemin de ses appartements, repassa devant la vieille dame plongée dans ses prières, et lui jeta un long regard reconnaissant. Un sourire d’enfant illuminait son visage. Il riait sous cape en songeant à ce roi qui dépouilla ses vizirs de leurs apparats et les obligea à vivre comme ses citoyens, afin que son peuple puisse être heureux dans son califat.
Le père se retourne vers son fils et attend sa réaction.
– Il manque quelque chose à ton histoire Papa.
Le père ouvre les yeux, perplexe. L’enfant poursuit :
– Tu n’as résolu qu’une inconnue de l’équation. Il reste la seconde. Que fais-tu des gens qui violent les lois, salissent autour d’eux, bafouent les droits des autres, corrompent à tour de bras, trompent leurs clients, trichent dans leur travail, qui n’ont de valeur que le gain facile à n’importe quel prix, bref ceux qui ne pensent qu’à eux, pas à la communauté… C’est pas uniquement en mettant les gouvernants à la diète que tu vas changer les choses, ni que ça marchera mieux, n’est-ce pas ?
Le père se sent soudainement las.
– On rentre p’tit bonhomme ? laisse-t-il tomber. Le fond de l’air est devenu frais.

Rida Lamrini - 26 septembre 2012

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