– Maman, je vais faire de la politique quand je
serai grande. Qu’est-ce t’en penses ?
Du haut de ses seize ans, Myriam annonce son projet en
entrant en trombe dans la chambre de ses parents. Plongée dans un placard, sa
mère ne réagit pas.
– T’entends Maman, je vais faire de la politique,
répète-elle en tirant la robe de sa mère.
– Je ne suis pas d’humeur à plaisanter, rétorque la
mère, agacée. Je suis trop occupée. Va réviser tes leçons au lieu de perdre ton
temps.
La mère finit par
sortir la tête du placard et se retourne vers Myriam, plantée au milieu de la
chambre.
– Non… tu n’es pas sérieuse… ? lâche la mère,
prise par un sentiment de désarroi.
– Si Maman. Je voulais juste avoir ton avis.
– Tu es folle ma fille. Dans notre famille on ne fait
pas de politique. C’est une affaire d’hommes… Tu ferais mieux de t’occuper de
tes études.
Myriam n’insiste pas. En allant vers sa chambre elle
aperçoit son père dans le salon en train de lire le journal. Elle jette ses
bras à son cou, lui fait un câlin et lui demande :
– Papa chéri, qu’es-ce tu penses de mes plans
d’avenir ? Je vais faire de la politique plus tard…
Le père reste fixé sur son journal. Myriam se
détache de lui, anxieuse. Il finit par lever les yeux et lui demande :
– Tu sais ce qui t’attend l’année prochaine ?
– Oui Papa. Le Bac.
– Après ?
– L’université.
– Et après ?
– Travailler… et faire de la politique…
– Non ! Fonder une famille ! La politique
c’est pas pour toi. Tu connais des femmes qui en font ?
– Margaret Tatcher, Corazon Aquino, Indira Ghandi, Hilary
Clinton, Angela Merckel, la Kahina, Dilma Rousseff, Benazir Butho, Sonia
Ghandi, Cristina Kirchner, Aung San Suu Kyi, Zaynab an-Nafzawiyyah, Ellen
Johnson-Sirleaf, Michelle Bachelet…
– Mais tous ces noms sont étrangers ! Pas chez
nous ! Pas notre époque ! Pas notre culture !
– Raison de
plus. Il est temps que nos femmes bougent un peu. Les hommes ont fait assez de
dégâts !
Myriam quitte son père, irritée, s’engouffre dans sa
chambre, rageuse. Au moment de refermer la porte, un pied s’interpose et l’en empêche.
La tête de son frère s’infiltre dans l’entrouverture.
– J’ai entendu que tu veux traficoter avec les
margoulins ! ironise-t-il. Mais dis-moi sœurette, tu sais au moins dans
quoi tu vas t’engager ?
– Je vais me
mettre au service des citoyens ! Je veux changer leurs conditions !
Tu comprends ça ?
– Waouh ! Rien
que ça ! Ah les politiciens ! Souviens-toi. Quand nous les jeunes on
est descendu dans la rue pour réclamer le changement, aucun de ces vieux schnocks
ne nous a soutenus. Normal. Y a qu’à voir l’état du pays qu’ils vont laisser.
Alors quand tu dis que tu veux être au service des autres, fais gaffe. Les
politiques tiennent aussi ces propos, mais c’est juste pour le pouvoir. Peu leur
importe comment ils y arrivent. À coup d’argent pour acheter les voix. Avec la
flagornerie pour ceux qui décident de leur carrière politique. À coup de
mensonges pour flatter l’opinion publique. C’est ce que tu veux sœurette ?
Myriam le fixe sans réagir, refrénant difficilement
son exaspération.
– Remarque, j’ai rien contre, poursuit-il. Je peux
même t’aider si tu veux. Qui sait. T’es jeune. Bien des choses auront changé
d’ici là. Je serais fier d’avoir une sœur leader de parti ou Premier ministre !
Un sourire se dessine sur les lèvres de Myriam. Elle
pousse son frère hors de sa chambre et referme la porte. Celui-ci s’en va dans
un éclat de rire.
Le chat qui
dormait sur son lit se réveille au claquement de la porte. Myriam le prend dans
ses bras.
– Dis-moi Minou, qu’est-ce tu penses de mon projet
de faire de la politique.
Le chat se met à ronronner et se serre contre elle.
– Merci Minou. Tu es le seul à me comprendre dans
cette famille.