« Le monde s’embrase ». L’affirmation porte une charge violente. On la reçoit comme un coup de poing dans le ventre. Elle vient d’émaner du poste radio que j’écoute cette nuit, dans une obscurité qui a mis hommes et animaux en état d’hypnose. Les propos tranchent avec le calme ambiant. Je prête l’oreille. L’animateur discute avec l’auteur. Laurent Artur du Plessis. C’est déstabilisant.
La crise économique se généralise. Elle est en train de connaître un caractère aigu. Plus grave, elle serait en train d’échapper à tout contrôle. Elle exacerberait des antagonismes de toutes sortes, politiques, économiques, religieux, dopant les extrémismes. Les conditions d’une nouvelle déflagration universelle seraient réunies, à l’instar de la crise de 1929 qui fut à l’origine de la Deuxième Guerre mondiale. Phénomène somme toute naturel. Ce serait ainsi que l’humanité sort des crises. Les orages grondent déjà un peu partout. D’abord au Proche et Moyen Orients, théâtres traditionnels de la rivalité de l’hégémonisme américain face à la Russie et à la Chine.
Le drame syrien menace le voisinage. Israël a lancé l’opération « Pilier de défense » à Gaza. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) appréhende le programme nucléaire d’un Iran insensible aux sanctions économiques. Le clash entre l’Iran et l’Occident est désormais inévitable. Il cristallise l’affrontement entre le chiisme, appuyé par la Russie et la Chine, et le sunnisme adossé aux pétromonarchies du Golfe, à la Turquie et à l’Occident. Aujourd’hui, le sunnisme s’est allié à l’Occident contre « l’arc chiite ». Une alliance temporaire. Le sunnisme finira par se retourner contre son allié d’aujourd’hui sous l’impulsion de l’intégrisme religieux qui aura accaparé les appareils d’État par les urnes ou la terreur, financé par les pétromonarchies du Golfe.
On en veut une preuve ? Le Sahel est devenu la base arrière du djihad sunnite. Le conflit islam-Occident entraînera le reste du monde dans son sillage. L’Inde et le Pakistan s’engageront dans un conflit qui embrasera l’Asie. L’Occident, soutenu par le Japon et l’Inde, affrontera la Chine et l’islam. La Russie sera amenée à quitter le camp antioccidental pour se retrancher à l’intérieur d’une forteresse continentale qui engloberait l’Europe. Celle-ci n’aura pas d’autre choix. Elle a sabré ses budgets militaires et ne peut plus compter sur les forces américaines redéployées vers le Pacifique.
Et pour terminer, l’auteur prédit une Troisième Guerre mondiale caractérisée par l’emploi d’armes de destruction massive et par un terrorisme à fort pouvoir destructeur adossé aux appareils d’État.
Le jour se lève. Un soleil radieux inonde le ciel bleu. Des oiseaux piaillent dans les arbres, égaient l’atmosphère. Les rues sont déjà encombrées par les voitures et les piétons. Je dévisage les gens. Des barbus croisent des filles en jeans. Des femmes voilées cheminent avec d’autres les cheveux aux vents. Des jeunes aux coiffures iconoclastes empruntent le même chemin que des quadras en costume-cravate. Un enfant promène son chien. Ils gambadent, joyeux. Je vois une société bigarrée, traversée par des courants multiples, divers, certains irréconciliables. Pourtant, elle baigne dans l’harmonie, tel le ciel inondé par la sérénité du matin. Le monolithisme des siècles passés a cédé le pas à une mosaïque de valeurs et de croyances. Le monde obéit dorénavant à un rythme effréné de mutations qui forcent son évolution incessante, sous l’effet de technologies qui bouleversent son quotidien, de fois qui se posent en crédos salvateurs, et d’idéologies radicales qui excluent toute vision alternative.
Et ce monde que je vois ce matin m’empêche d’abonder dans le sens de Laurent Artur du Plessis, combien même l’auteur puiserait ses arguments dans la rationalité du réalisme, et que ses augures passés se soient réalisés par ailleurs. Le monde que je vois me fait récuser ses abus de langage et ses généralisations qui stigmatisent sous un vocable belliqueux des fois par essence paisibles. Je ne veux croire qu’en ce soleil radieux, cet azur lumineux, ces visages souriants, cette jeunesse confiante, ces travailleurs inlassables. J’oublie les antagonismes, les contradictions, les mesquineries, les jalousies, les impérialismes, les obscurantismes, les extrémismes.
Optimiste impénitent, j’ai foi en une sagesse immémoriale qui a toujours prévalu sur la folie meurtrière des hommes.
Le monde ne s’embrasera point.