Podcast du 06 -06 -2025
1. 🎙️ Chaib Hammadi :
Cette belle citation de Stendhal ouvre notre échange… mais qu’est-ce qu’elle signifie pour vous, personnellement ?
🗣️ Rida Lamrini :
Pour moi, cette phrase résume la mission du roman : capter le réel dans sa
diversité mouvante. Le miroir ne choisit pas ce qu’il reflète. Il montre tout :
la beauté, la poussière, les ornières. Le roman, comme ce miroir, suit la route
des hommes, sans détourner les yeux.
2. 🎙️ Chaib Hammadi :
Est-ce que cela signifie que tout bon roman est forcément réaliste ?
🗣️ Rida Lamrini :
Pas nécessairement. Un bon roman peut être fantastique, absurde ou symbolique,
et pourtant profondément vrai. Ce n’est pas le degré de réalisme qui importe,
mais la sincérité du regard porté sur l’humain. L’imaginaire, en littérature,
n’est jamais gratuit : il permet souvent d’exprimer ce que la réalité ne dit
pas, ce qu’elle censure, ce qu’elle dissimule.
3. 🎙️ Chaib Hammadi :
Mais ce miroir ne reflète-t-il pas seulement ce que l’auteur veut bien nous montrer ?
🗣️ Rida Lamrini :
C’est là tout le paradoxe : oui, l’auteur tient le miroir… mais il ne le
contrôle jamais totalement. Les personnages prennent parfois une vie propre,
les lecteurs y projettent leur propre sens, et l’époque façonne la lecture. Ce
miroir n’est pas figé — il est vivant, mouvant, traversé par des reflets
multiples, souvent inattendus.
4. 🎙️ Chaib Hammadi :
Dans ce cas, le roman serait un instrument de vérité ? Un outil pour mieux comprendre notre monde ?
🗣️ Rida Lamrini :
Absolument. Les romans éclairent ce que les rapports d’experts ne peuvent pas
saisir : la complexité des émotions, la lenteur des ruptures, l’ambiguïté des
choix. Ils nous font ressentir ce que nous savons sans que nous puissions
l’expliquer.
5. 🎙️ Chaib Hammadi :
Et pour le Maroc, que refléterait ce miroir littéraire aujourd’hui ?
🗣️ Rida Lamrini :
Il montrerait ce qu’on ne voit pas dans les médias : des vies mises de côté,
des régions oubliées, des gens qu’on n’écoute jamais. Ce miroir littéraire
dirait les difficultés du quotidien, les espoirs qu’on garde pour soi. Le
problème, c’est qu’on ne regarde pas assez dans ce miroir. Il y a peu de
lecteurs… et pas assez de moyens pour faire circuler les livres.
6. 🎙️ Chaib Hammadi :
Pensez-vous que nos romans marocains participent suffisamment au débat public ?
🗣️ Rida Lamrini :
Ils pourraient, s’ils étaient davantage lus, commentés, débattus. Mais on ne
tend pas assez ce miroir à la société. Il est souvent réservé à quelques
cercles. Il faudrait, au contraire, qu’il passe de main en main, de quartier en
quartier.
7. 🎙️ Chaib Hammadi :
Est-ce qu’il y a un risque que ce miroir déforme la réalité ?
🗣️ Rida Lamrini :
Un roman, ce n’est pas un reportage. Il ne cherche pas à être exact, mais à
être juste. Il ne déforme pas la réalité, il la transforme pour mieux la faire
ressentir. C’est une vérité vue de l’intérieur, avec de l’émotion, du vécu. Et
c’est justement ça qui rend le miroir plus humain.
8. 🎙️ Chaib Hammadi :
Et le lecteur dans tout ça ? Il voit quoi, lui, dans ce miroir ?
🗣️ Rida Lamrini :
Il y voit ce qu’il est prêt à y voir. Le lecteur, c’est un peu un co-auteur :
il apporte son vécu, ses questions, ses émotions. Ce qu’il lit dans un roman
dépend aussi de ce qu’il porte en lui. C’est pour ça qu’un même livre peut dire
mille choses différentes, selon qui le lit… et quand.
9. 🎙️ Chaib Hammadi :
Peut-on dire que les romans ont un pouvoir de transformation ?
🗣️ Rida Lamrini :
Oui, sans aucun doute. Ils ne changent pas le monde directement, mais ils
changent le regard. Et changer le regard, c’est déjà préparer le changement du
monde. Tout commence par ce petit déplacement intérieur.
10. 🎙️ Chaib Hammadi :
Un dernier mot pour ceux qui pensent que lire des romans, c’est une perte de temps ?
🗣️ Rida Lamrini :
Lire des romans, ce n’est pas perdre son temps. C’est apprendre à mieux voir.
Un roman, c’est une fenêtre ouverte sur d’autres vies, d’autres mondes.
Il dit ce que les chiffres ne peuvent pas, il fait sentir ce que les discours oublient.
C’est une façon simple d’élargir son regard — et ça, ce n’est jamais du temps perdu.