Podcast du 30-05-2025
Dans les sables du désert culturel
🎙️ 1. C’est vrai que le Maroc est une incroyable palette d’expressions millénaires, mais la proportion culturelle mise en valeur est infime. Tout semble concentré dans les grandes villes. Vous en pensez quoi ?
🗣️ Je pense qu’il y a un déséquilibre criant. La culture marocaine est d’une richesse inouïe, mais elle reste enfermée dans des cercles restreints.
Dès que l’on sort de Rabat, Casablanca, ou Marrakech, le désert culturel s’installe : plus de librairies, plus de cinémas, plus de lieux pour rêver ou créer.
Or, la culture, ce n’est pas un luxe pour centre-ville : c’est un besoin vital pour tous.
🎙️ 2. Cette misère culturelle s’explique aussi dans la mesure où les Marocains ne consacrent que 0,5 % de leurs dépenses à la culture et aux loisirs ?
🗣️ Oui, ce chiffre est révélateur. Il montre à quel point la culture est perçue comme secondaire.
Mais comment investir dans la culture quand l’offre est absente ? Quand il n’y a pas de librairie dans votre ville, comment voulez-vous acheter un livre ?
Ce n’est pas seulement une question de volonté individuelle, c’est une question de politique publique.
🎙️ 3. Le manque de formation artistique, le manque de promotion de la diversité culturelle locale… Est-ce aussi une des causes ?
🗣️ Absolument. Nos régions regorgent de talents bruts, de traditions orales, de gestes anciens, mais rien n’est mis en place pour les valoriser.
Former, accompagner, donner les moyens de créer, voilà ce qu’il faudrait.
Sans transmission, la culture se fige ou disparaît. Et nous assistons aujourd’hui à un appauvrissement silencieux.
🎙️ 4. Plusieurs régions marocaines, en particulier les zones rurales, manquent de salles de spectacle. Moins d’un tiers des communes sont équipées de bibliothèques. On a l'impression que la culture est un domaine réservé à l’élite...
🗣️ C’est exactement ça. La culture devrait être ce qui unit, ce qui rassemble, et elle devient ce qui sépare.
Un territoire sans lieu culturel, c’est un territoire sans mémoire partagée.
Et un peuple sans lieux pour penser ensemble, c’est un peuple qu’on abandonne au vide.
🎙️ 5. Le déficit culturel a un impact négatif sur le développement des régions. Il limite les opportunités pour les citoyens de s'impliquer dans la vie culturelle, de développer leurs talents, de découvrir leurs richesses locales. Pourquoi ce déficit est-il devenu si important ?
🗣️ Parce que la culture est encore perçue comme un ornement, et non comme un levier de développement.
Or, une bibliothèque peut transformer une jeunesse.
Une scène ouverte peut faire éclore des vocations.
Et un festival local peut redonner fierté et souffle à un territoire.
Ce déficit culturel, c’est le reflet d’une vision politique appauvrie de ce qu’est l’humain.
🎙️ 6. Qu'en est-il de la culture marocaine ? Est-ce qu'elle joue, selon vous, efficacement son rôle dans le rayonnement de notre pays ?
🗣️ La culture marocaine rayonne malgré tout. Grâce aux artistes, aux écrivains, aux conteurs, souvent seuls, souvent précaires, mais passionnés.
Mais à 0,25 % du budget de l’État, que peut faire un ministère ?
Il manque une ambition. Une vision. Un souffle.
Car le Maroc ne brillera pas seulement par ses infrastructures : il brillera s’il sait faire entendre la voix de ses créateurs.
🎙️ 7. Le budget du ministère de la Culture représente 0,25 % du budget général de l’État (contre 0,53 % en Algérie et 0,71 % en Tunisie). Le Maroc connaît une multiplication de festivals. Est-ce un signe de vitalité ?
🗣️ C’est un signe, oui… mais trompeur.
Certains festivals sont de vraies réussites.
Mais souvent, ils ne laissent aucune trace. Ils passent comme des comètes, sans retombée locale.
Ce n’est pas en concentrant tout dans quelques événements médiatiques que l’on construit un tissu culturel vivant.
🎙️ 8. N’y a-t-il pas un décalage entre un discours théorique très ambitieux sur le plan international et une activité culturelle locale faible ?
🗣️ Il y a un fossé, en effet.
On parle de « soft power », d’« exception culturelle », mais sur le terrain, les bibliothèques ferment, les artistes peinent à vivre, les enfants ne rencontrent jamais d’auteur.
On brandit le mot « culture », mais on oublie de le nourrir.
Ce grand écart nous fragilise.
🎙️ 9. Compte tenu des indicateurs de précarité sociale, la culture au Maroc semble être un produit de luxe. Dans un contexte où le taux d’analphabétisme reste élevé, à qui s’adresse la culture ?
🗣️ La culture ne devrait pas être un produit de luxe.
Elle devrait être une réponse à la précarité.
Lire, chanter, raconter, peindre… c’est aussi résister à la pauvreté, à l’oubli, au fatalisme.
Il faut une culture qui parle simple, mais qui parle fort.
Une culture qui n’exclut personne.
🎙️ 10. Le tableau étant dressé, vu la situation, quel pourrait être l’apport de la société civile pour améliorer l’accès à la culture ?
🗣️ La société civile a un rôle clé à jouer.
Elle peut inventer ce que les institutions tardent à faire.
Des bibliothèques de rue, des ateliers dans les quartiers, des caravanes culturelles…
Partout où un citoyen crée un lieu pour lire, débattre ou rêver, il ouvre un puits dans le désert.
Et c’est ainsi que renaissent les oasis.
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