5 octobre 2017. Les remous de l’affaire Bill Cosby sont encore dans les esprits. Voilà que Hollywood est de nouveau ébranlé par un puissant séisme. Harvey Weinstein, puissant magnat de l’industrie cinématographique, est accusé de harcèlement sexuel par des dizaines et des dizaines de femmes dont Angelina Jolie, actrice, Ashley Judd, actrice (Star Trek, Sisters), Liza Campbell, écrivaine écossaise, Ambre Battilana Gutierrez, mannequin italienne et ancienne finaliste de Miss Italie, Rosanna Arquette, actrice (Pulp Fiction), Gwyneth Paltrow, actrice (Iron Man, Spider Man), Heather Graham, actrice (The Hangover), Claire Forlani, actrice (NCIS), Eva Green, actrice (Casino Royale, Miss Peregrine), Lena Headey, actrice (Game of Thrones). La liste n’est pas prête d’être close.
4 novembre 2017. Kevin Spacey se fait évincer de la série « House of Cards ». Cinq jours après, Ridley Scott décide de l'éliminer des scènes de « Tout l'argent du monde », son film sorti en salle à Noël 2017. Dans la foulée, James Toback, producteur, est accusé d’agressions sexuelles par plus de 300 femmes de l’industrie du cinéma, dont les actrices Rachel McAdams et Selma Blair.
Les grands media emboîtent le pas. Charlie Rose, présentateur-vedette de la télévision américaine, est suspendu de CBS et PBS suite aux accusations de huit femmes. L’onde de choc s’amplifie et s’étend loin de son lieu de naissance, sous l’effet de centaines de déclarations publiées sous les hashtags #BalanceTonPorc ou #MeToo, pour atteindre l'entreprise, les médias et la politique. Les noms les plus inattendus sont éclaboussés : Woody Allen, Ben Affleck, Dustin Hoffman, Tariq Ramadan. La liste s’allonge chaque jour partout dans le monde, sous différents cieux, par-delà les océans. Sauf chez nous, dans notre belle contrée du nord-ouest de l’Afrique. Rien à mentionner. Le sujet nous est étranger.
Vraiment ? Pourtant…
Au creux de la nuit, lorsqu’en hiver le tonnerre déchire les ténèbres du ciel, qu’en été l’orage fait vibrer les murs des chaumières, qu’en automne les trombes de pluie dégoulinent le long des vitres, qu’au printemps la lune peine à éclairer la noirceur de la nuit.
Lui et son frère dorment dans une chambre au fond de la maison. Le reste des âmes se repose des peines du jour dans les torpeurs nocturnes. Lui n’arrive pas à dormir, les yeux désertés par le sommeil. Le silence fait écho à la tristesse de son âme. Ses larmes coulent comme l’eau qui tombe du ciel. Son cœur bat au rythme du roulement du tonnerre. Dehors, l’orage sévit pendant qu’une tourmente agite son être chétif. Près de lui, les ronflements de son frère couvrent les bruits de la nature déchaînée, l’empêchent de dormir. Comment s’assoupir quand chaque soir il endure la bestialité effrénée d’un proche dans sa chair ? Comment trouver le repos quand chaque soir son aîné viole son intimité d’adolescent ? Comment connaître la paix quand, nuit après nuit, un parent fragilise son être, martyrise son corps juvénile. À qui parler ? A qui s’en ouvrir ? Évoquer son drame au grand jour ? Qui le croirait ? Désemparé, il ravale sa souffrance et attend le lever du jour, les yeux grands ouverts.
Demain il se composera un personnage éloigné de la victime du cauchemar nocturne. En attendant, que faire ? S’ouvrir à ses parents ? Aborder avec eux son malheur, eux si dévots, toujours muets au sujet de la sexualité avec leurs enfants ? À qui confier son terrible secret ? Qui le comprendrait, le déchargerait de son lourd fardeau. Ses amis ? Il a trop de fierté pour avouer que son frère le violente. Recourir à la justice ? Quelle idée saugrenue ! Par où commencerait-il une procédure judiciaire ? Quand bien même il saurait, pour rien au monde il n’étalerait son drame sur la place publique. Et puis, comment être sûr d’obtenir gain de cause et que la justice l’aiderait à panser ses blessures ? Ne dit-on pas qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. Et le bon arrangement pour lui, pour le moment, c’est se taire sur son malheur et sur son adolescence brisée ; continuer à porter sa croix la nuit, et afficher sa dignité le jour ; sacrifier le garçon assoiffé de justice en lui, et afficher l’enfant qu’il doit être pour sa famille ; renoncer à son droit au bonheur, et préserver le cocon familial, même en apparence ; ne pas chercher l’apaisement hors du cercle familial, pour pouvoir regarder les siens dans les yeux.
Elle est seule à la maison. Sa mère est partie voir sa famille. Ses frères sont au lycée et ne rentreront pas de sitôt. Elle fait ses devoirs dans sa chambre. Soudain, elle entend la clé tourner dans la serrure de la porte d’entrée. Le son des pas approche, s’amplifie. Arrivé devant de la porte, il hésite à rentrer. Saisie par une sourde angoisse, elle tremble comme une feuille dans le vent. Il pénètre dans la chambre, pose sa main sur son épaule. Une vague de dégoût monte de ses entrailles et la submerge. Il la prend avec ses mains caleuses, caresse sa poitrine naissante. Elle ferme les yeux, pour échapper à l’horreur du moment. Il la renverse sur le lit, la dénude, écorche son doux visage avec sa barbe de trois jours, insère son corps lourd entre ses jambes soyeuses d’adolescente. Elle voudrait crier. Aucun son ne sort de sa bouche. Des spasmes parcourent son ventre. Saisie de nausée, elle réprime son envie de vomir. Son intimité est saccagée par son père. Elle s’évanouit, part au loin de la répulsion qui inonde son corps prisonnier de l’étreinte incestueuse.
Repu de la dépouille de sa proie, le prédateur s’affale près d’elle dans la litière de ses tourments. Un terrible silence enveloppe la chambre. Elle panse ses blessures et s’interroge. Jusqu’à quand son père la martyrisera-t-il ? N’a-t-il aucune honte à violer le fruit de ses entrailles, assouvir son désir bestial, faire de son corps l’exutoire à ses pulsions ? Comment mettre fin au calvaire, aux violences infligées par son géniteur ? Son père, l’a-t-il aimée un jour ? Écrasée par les interrogations, déroutée par tant de bestialité, atterrée par le malheur, elle évolue tel un fantôme, dans le tombeau qui enveloppe le malheur des enfants violentés dans les nids parentaux ?
Combien d’êtres, tels ces deux adolescents, subissent les assauts ignobles de leurs proches, endurent le viol de leur intimité, étouffent la terrible adversité qui frappent leur innocence ? Avons-nous besoin de statistiques ? Un seul cas n’est-il pas déjà un cas de trop ?
7 janvier 2018. Hôtel Beverly Hilton. Hollywood lance la saison des récompenses du cinéma. Elle se clôturera quelques mois plus tard par les Oscars. La soirée de gala a une teinte particulière, plombée par l’ombre d’Harvey Weinstein, accusé par plus de 100 actrices et collaboratrices d’harcèlement sexuel et de viol, hantée par une litanie de grands noms de l’industrie (Kevin Spacey, Brett Ratner, Dustin Hoffman, John Lasseter, Jeffrey Tambor, Michael Douglas…), tous tombés de leur piédestal en raison des mêmes accusations. Dans cette 75e remise des prix de l’association des journalistes étrangers, les gagnantes auront été les femmes. Des militantes féministes étaient invitées, donnant lieu à des prises de parole fortes. La vague n’était pas près de retomber. Le dress code noir, observé par la quasi intégralité des invités symbolisait la protestation montante contre la culture machiste hollywoodienne. Le maître de cérémonie Seth Meyers déclara en ouverture : « Nous sommes en 2018, la marijuana est enfin autorisée, et le harcèlement sexuel, enfin, ne l’est plus. »
Moment fort, la productrice et actrice noire Oprah Winfrey, primée par le prix Cecil B. DeMille pour sa carrière eut ces paroles fortes : "Depuis longtemps, les femmes n'ont pas été entendues ou crues si elles osaient dire la vérité face au pouvoir de ces hommes. Mais c'est fini pour eux !", recevant une standing ovation et arrachant des larmes des actrices présentes.
Cela c’est Hollywood. Dans la lointaine Californie, les victimes du harcèlement sexuel prirent la parole et dénoncèrent les pratiques longtemps couvertes par des silences coupables.
En apprenant ce qui agite l’Amérique du Nord, comment ne pas songer à ce qui se passe chez nous. Cela, me semble-t-il, ne manque pas de gravité. Malheureusement, on n’entend guère parler du sujet, ou si peu. Le harcèlement sexuel ne fait pas partie de nos préoccupations immédiates. Les propos insistants, sms salaces, ou mains qui se baladent sur les parties intimes de personnes non consentantes, sont déjà des actes répugnants. Que des enfants subissent des sévices infligés par des personnes loin de tout reproche, au-dessus de tout soupçon… leurs proches, cela est révoltant. Que leur tendre jeunesse soit violée dans l’endroit même supposé leur servir de refuge des agressions du monde extérieur, d’abri des turpitudes de la vie, cela est intolérable.
Piégés dans l’intimité du cocon familial, ils ne peuvent parler, n’osent se confier, encore moins se plaindre. Vivant leur malheur en silence, enfouissant leur épreuve en eux-mêmes, ils arborent le jour des mines qui cachent l’indicible épreuve qu’ils vivent la nuit. Jusqu’à quand ces victimes resteront elles emmurées dans un monde de silence ? Devront-ils attendre un Hollywood marocain, pour qu’enfin se réveillent les consciences, et qu’elles clament tout haut leur droit à la justice ? Jusqu’à quand garderons-nous les yeux fermés sur les cruautés qui se déroulent sous nos toits, sur des actes abjects perpétrés au creux de la nuit ? Refusons-nous de voir, ou répugnons-nous à admettre ?
Peut-être serions-nous tentés de dire cela ne me concerne pas. Cela se passe chez les autres, dans des milieux auxquels je n’appartiens pas. J’ai d’autres chats à fouetter ! Que chacun s’occupe de ses problèmes !
Erreur ! Les relations incestueuses n’épargnent aucune sphère humaine. Tôt ou tard, ce mal diffus frappe sournoisement, brise des vies, fracasse des enfances, stigmatise des personnes. Alors… laisser faire…. ou se départir de nos silences coupables ? Garder les yeux fermés sur les viols qui ont lieu dans l’intimité de nos chaumières… ou faire face à la triste réalité ? Rester insensible au mal qui ronge notre société et dévore nos foyers… ou quitter notre confort personnel et nous engager dans cette noble cause ? Peut-être avons-nous besoin de savoir comment et par quels moyens agir. Si tel est votre cas, comme c’est le mien d’ailleurs, n’attendez pas de cette réflexion qu’elle vous apporte des réponses toutes faites, encore moins vous recommander des remèdes magiques. Il n’y a pas de recette miracle. Cet aspect de la misère humaine est vieux comme le monde. Il faut une réflexion d’ensemble, une mobilisation des bonnes volontés pour une action concertée. Peut-être que nous rejoindrions des initiatives déjà engagées qui nous feront bénéficier de leur expérience et auxquelles nous apporterions nos énergies. Les pistes sont nombreuses : éducation, sensibilisation, écoute, suivi, accompagnement, justice… autant de facettes de solutions à apporter aux victimes et de traitement des prédateurs.
Alors, n’attendons pas l’émergence d’un éventuel Hollywood national. Apportons dès aujourd’hui notre contribution, partageons nos propositions, faisons part de nos suggestions et, pour les plus courageux d’entre nous, agissons. Mettons tout cela dans un espace de partage commun …. Il en sortira quelque chose. Ensemble, il sera plus facile de, sinon venir à bout du mal, du moins à en atténuer les effets.
Espérant vous avoir convaincu(e)s, je vous invite à rejoindre le groupe de discussion :
Contribuez à soulager la détresse humaine.
Par Rida Lamrini
À Bouznika, jeudi 18 janvier 2018