La salle est pleine à craquer. Combien
sont-ils ? Dix-mille ? Quinze mille ? Tous impatients de voir
l’orateur. Celui-ci finit par émerger sur l’immense estrade, marque un temps
d’arrêt, puis salue longuement l’audience. Il se dirige vers le pupitre et
entame son discours :
« Je suis venu vous parler du
Maroc. Du Maroc qui souffre, mais aussi du Maroc qui espère, du Maroc que nous
allons construire. Devant vous, je ressens une profonde émotion, celle
d’exprimer votre conviction, votre volonté, votre espérance. J’ai conscience de
la tâche qui est la mienne : redonner confiance au Maroc, changer le destin de
notre pays. Je suis prêt à assumer cette responsabilité et à vous dire quelle
est ma conception de Chef de gouvernement. »
Les applaudissements éclatent. Il
poursuit crescendo :
« Gouverner, c’est se
dévouer à l’intérêt général, dont toute décision doit procéder. Gouverner,
c’est préserver l’État, sa neutralité, son intégrité, face aux puissances
d’argent, face aux clientèles. Gouverner, c’est refuser que tout procède d’un
seul raisonnement, d’un seul parti qui risque de devenir un clan. Gouverner,
c’est élargir les droits du Parlement. C’est reconnaître les collectivités locales
dans leur liberté. C’est promouvoir les partenaires sociaux. C’est faire
participer les citoyens aux grands débats qui les concernent. »
L’assistance est conquise. Debout,
ils applaudissent à tout rompre ce leader venu de nulle part.
« Gouverner, c’est
démocratiser les institutions. J’introduirai le non-cumul des mandats pour les
Parlementaires et la parité dans l’exercice des responsabilités. Gouverner,
c’est faire respecter la loi pour tous, partout, sans faveur pour les proches,
sans faiblesse pour les puissants, en garantissant l’indépendance de la
justice, en écartant toute intervention sur les affaires, en préservant la
liberté de la presse. Gouverner, c’est être impitoyable à l’égard de la
corruption. Gouverner, c’est rassembler, réconcilier, unir. Gouverner, c’est ne
jamais transiger avec les fondements du génie marocain, qui sont l’esprit de
liberté, les droits de l’homme, la diversité culturelle. Gouverner enfin, c’est
donner le meilleur de soi-même, sans attendre en retour ni récompense, ni
reconnaissance. C’est être ambitieux pour son pays et humble pour soi-même.
C’est se donner pleinement à la cause choisie, la seule qui vaille : servir le
Maroc. Gouverner, c’est mettre l’État au service des citoyens. »
Emporté par les envolées
lyriques de l’orateur, je suis subjugué. Je vibre sous le coup de l’émotion. Je
ressens le discours dans mes tripes. L’homme politique poursuit d’un ton
enflammé :
« Nous irons ensemble vers le
Maroc de demain ! Un Maroc du travail, du mérite, de l’effort, de l’initiative,
de l’entreprise, où le droit de chacun s’appuie sur l’égalité de tous. Un Maroc
de la justice, où l’argent sera remis à sa place, celle d’un serviteur et non
d’un maître. Un Maroc de la solidarité, où aucun des enfants de la Nation ne
sera laissé de côté. Un Maroc du civisme, où chacun demande non pas ce que le
Maroc peut faire pour lui, mais ce que lui peut faire pour le Maroc ! Un Maroc
de l’exemple, où le pays se retrouve dans ce qui l’élève, le réunit, le
dépasse, un Maroc de la confiance où toutes les forces qui le constituent se
mobilisent pour l’avenir ! ».
Je sens un souffle sur ma joue. Quelqu’un
m’embrasse.
– Papa, je pars à l’école. Passe
une bonne journée.
J’ouvre les yeux. Comme à son
habitude chaque matin, mon fils est venu me saluer dans mon lit avant de s’en
aller au lycée. Je le vois s’éloigner, son sac d’école sur le dos. Je me frotte
les yeux. Le réveil indique sept heures. Un sentiment étrange m’anime. Cette
nuit, j’ai revécu l’admiration ressentie la veille en écoutant le discours de
ce célèbre prétendant d’outre-mer à conduire le gouvernement de son pays… transposée
au mien ! Ce matin, encore sous l’effet de son éloquence et de sa
sincérité, je suis rudement ramené de l’exaltation de mon rêve à la platitude
de la réalité par la lumière qui inonde ma chambre.
Puisse votre monde être peuplé d’âmes
de la trempe de celle dont j’ai rêvé, prié-je en mon for intérieur, en songeant
à mon fils et aux générations futures.
Rida Lamrini - 1er février 2012
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