jeudi 18 octobre 2012

Horizons d’espoir

– Comment va le monde ? lancé-je à la jeune fille venue nous rendre visite.
Saida a quitté jeune sa famille et sa petite ville aux portes du désert et s’est rendue à Casablanca, comme nombre d’enfants du sud du pays, l’espoir plein les yeux, pour se faire une place au soleil.
– Il n’y a que des problèmes dans le monde, répond-elle d’un ton bougon.
Je faillis tomber à la renverse. Sa répartie m’a pris au dépourvu. Je la regarde longuement, ne sachant que penser. Puis, connaissant son caractère bougon, je finis par pouffer de rire. Je n’ose penser qu’elle parle sérieusement, elle la jeune brunette toute coquette, en pleine lune de miel, qui vient tout juste de trouver un appartement pour abriter son nid. Ses propos ne peuvent émaner d’une personne à la fleur de l’âge, qui a encore toute la vie devant elle. Je persiste :
– Sérieusement Saida, que penses-tu de la vie en ce moment ?
– La vie n’est qu’une série de difficultés, répond-elle du tac au tac, sans même me regarder.
Je perds l’envie de rire. Saida semble sérieuse. Quand une fille du peuple parle ainsi, il faut se poser des questions. Je n’insiste pas et me réfugie dans les journaux du matin.
Mal m’en a pris. Je tombe sur l’enquête nationale sur le bien-être menée par l’institution officielle des statistiques. Le titre résume l’article : « Un citoyen sur deux est insatisfait de ses conditions de vie ». Tout ou presque est source d’insatisfaction. Logement, revenu, emploi, santé…. Mais, y a-t-il besoin d’une enquête pour confirmer ce qui saute aux yeux ? Je poursuis la lecture pour voir jusqu’où ira le jargon officiel pour décrire le quotidien du citoyen lambda. Je ne suis pas déçu. Tout y passe. Logement, 50% d’insatisfaits. Porte-monnaie, 91,5% pestent contre leur salaire. Santé, 70% de mécontents. Enseignement, 85% de dépités.
Plus grave encore. J’ai toujours pensé que les gens rentrent chez eux pour se réfugier dans le havre de paix familial. Erreur ! L’institution officielle m’apprend qu’à peine une personne sur cinq a cette chance. Même en famille, en ville ou à la campagne, les gens sont mal dans leur peau. Dans le plus beau pays du monde !
J’abandonne l’article et glisse vers le reste, avide de connaître l’avis des politiques. Je suis vite édifié. Pas le moindre commentaire, pas la moindre réaction. Le néant. Comme s’ils n’étaient pas concernés. Une page plus loin, je retrouve mes politiques. Mais… nulle trace de programme économique, de projet de développement, de vision de société, de réformes structurantes. Trop occupés à se bouffer le nez. Le journal regorge de jérémiades, d’insultes, d’accusations. Un politique a parlé un jour de chamailleries de femmes dans les bains publics. J’ignore de qui il parlait. Mais cette sortie mémorable qui, en son temps, a non seulement heurté la sensibilité de la moitié de la population, mais révélé la vision sociétale de son auteur, s’applique exactement au champ politique.
Et puis, à bien y penser, qui compensera tous les insatisfaits pour les difficultés de la vie qu’ils endurent ? Leur situation n’est pas due au hasard ! Elle résulte bien de la gestion des hommes ! Ces politiques, ces élus et autres qui ont assumé la responsabilité de la gestion de la chose publique en leur nom ! Ceux-là mêmes qui persistent à s’agripper à leurs postes, comme si leur vie en dépendait ! Ou faut-il se résoudre à admettre qu’un peuple est lui-même responsable de ses conditions de vie, selon l’adage qui dit qu’il n’a que les politiques qu’il mérite ?
Je regarde Saida. Connaîtra-t-elle un jour son droit au bonheur, elle et les milliers de jeunes filles qui louent leurs bras pour une vie décente en retour ? Comment y croire encore quand, hélas, les polémiques font office de discours, quand l’avidité du pouvoir tient lieu de programme socio-économique, et quand l’intelligence semble avoir indéfiniment déserté le champ politique.
Faut-il attendre que l’insatisfaction cède la place à l’indignation pour que des citoyens visionnaires émergent enfin, investissent la politique, la nettoient des sangsues qui s’y accrochent, et offrent aux milliers de Saida, et à une population en souffrance, les horizons d’espoir auxquels elles aspirent ?
– Dis-moi Saida, penses-tu que… ?
Je me retourne vers la jeune fille avant de poursuivre ma phrase. Elle a disparu, sûrement repartie gagner sa vie à la force des bras. Elle n’a pas le temps de spéculer sur des espoirs incertains.

Rida Lamrini - 10 octobre 2012

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