mercredi 13 février 2013

Chronique : M’as-tu vraiment aimée un jour ?


Au cœur de la nuit, les zébrures des éclairs déchirent les ténèbres et inondent la chambre d’une lumière aveuglante durant de brefs instants. Les grondements du ciel secouent la maison comme le feraient les spasmes d’un tremblement de terre. Les gouttes d’une pluie torrentielle crépitent sur les vitres comme le grésillement d’un fil électrique mal branché.
Durant les périodes d’obscurité, entrecoupées de brèves illuminations, j’ai les yeux ouverts. Je ne trouve pas le sommeil. Ce ne sont pas les éléments déchaînés qui m’en empêchent. Comme dans une résonance, l’orage fait écho à la tristesse de mon âme. L’eau tombe du ciel comme mes larmes coulent de mes yeux. L’atmosphère vibre sous l’effet des roulements du tonnerre, au rythme des battements de mon cœur oppressé. L’orage sévit sur la ville, comme la tourmente agite mon cœur.
Étrangement, la furie de la nature atténue quelque peu mon chagrin. Mais elle n’arrive pas à me faire oublier les ronflements qui emplissent la chambre. Des ronflements qui m’empêchent de connaître le repos. Des ronflements plus insupportables que le déchaînement de la nature. Parce qu’ils émanent de toi. Parce qu’ils te ressemblent. Qu’ils personnifient l’être que tu es devenu. Ta réalité s’est révélée avec le temps. Tard. Bien trop tard. Comment ai-je pu être aveugle et ne pas me douter du monstre qui gît en toi. Que de temps m’a-t-il fallu pour réaliser que l’être angélique que j’avais aimé n’était qu’un exécrable démon. Que de peines m’a-t-il fallu pour admettre que l’homme que j’avais choisi pour compagnon de vie n’était qu’une abjecte créature.
Je t’ai aimé comme je n’ai aimé nul homme avant toi. Je t’ai aimé comme je ne pense aimer nul autre après toi. Je me suis donnée à toi. Je t’ai donné mon cœur et mon corps. Je t’ai offert mon âme et ma vie. J’ai aimé ta joie de vivre. J’ai aimé ton rire. J’ai aimé ton insouciance. Je t’ai aimé… parce tu m’as fait sentir que j’étais une femme. Un sentiment que je n’ai connu qu’avec toi. Que j’ai voulu garder à jamais, en te gardant près de moi.
Ce soir, tu es rentré tard, ivre. Cela est devenu ton habitude. Sans raison, tu as donné libre cours à ta cruauté. Les mains qui me caressaient m’assènent aujourd’hui des coups. Le regard qui me faisait chavirer de bonheur me foudroie ce soir avec les éclairs de la haine. La voix qui me susurrait des mots d’amour me couvre maintenant d’injures outrageantes.
Comme une bête repue de la dépouille de sa proie, tu t’es affalé dans le lit. Le lit qui a abrité nos amours, sert aujourd’hui de litière à mes souffrances. Tu t’es endormi, pendant que je panse les blessures que tu as infligées à mon corps. Tu ronfles, pendant que je suis livrée aux angoisses de l’insomnie dans cette nuit d’orage.
Les questions s’entrechoquent dans ma tête. Continueras-tu à me martyriser sans remords ? Quel plaisir trouves-tu à me torturer ? N’as-tu aucune honte à battre plus faible que toi ? Moi, ta femme ? Je ne suis sûrement pas la femme idéale. Mais es-tu le mari parfait ? Nous avons nos différends. C’est normal. Ce qui ne l’est pas, c’est ta propension à les régler par la violence. Jusqu’à quand te serviras-tu de mon corps comme exutoire à tes humeurs ?
Que faire ? M’ouvrir à mes parents sur mes malheurs ? Je n’oserai me désavouer.  Ne t’avais-je pas choisi contre leur avis. En parler à mes amies ? J’ai trop de fierté pour avouer que mon homme me violente. Réclamer mes droits devant la justice ? Pour rien au monde je ne voudrai étaler ma détresse sur la place publique. Et puis, suis-je sûre d’obtenir gain de cause ?
Alors, je garde mon malheur pour moi, en silence. Je porte ma croix la nuit, et affiche ma dignité le jour. Je sacrifie la femme assoiffée de vie en moi, pour préserver la mère que je dois être pour mes enfants. Je renonce à mon droit au bonheur, afin que perdure le cocon familial, même en apparence. Je n’ose chercher le réconfort dans d’autres bras, je ne pourrai plus regarder mes enfants dans les yeux.
Est-ce mon destin de rester emmurée à vie dans le silence ? N’ai-je d’autre sort que d’être violentée par le père de mes enfants ? Suis-je condamnée à vivre dans l’opacité qui enveloppe le malheur de tant de femmes battues dans leurs foyers ?
Dans ma détresse, écrasée par les questions, face à ta violence, je me demande si tu sais ce que signifie l’amour ?
M’as-tu vraiment aimée un jour ?

Rida Lamrini - 13 février 2013


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