Je devais t’écrire le lendemain du 14 janvier 2011. Pourquoi ne l’ai-je
pas fait à ce moment-là ? Est-ce la surprise de voir ce que tu as accompli
ce jour-là ? Je ne m’attendais pas à ce qu’un jour tu…, allez, je vais te le
dire crument.
Je ne te connais pas belliqueux, va-t’en guerre, bagarreur. Tu es
plutôt pacifique, conciliant, civilisé quoi. Tels les peuples à la longue histoire
et la riche civilisation.
Je ne m’attendais pas à ce que tu secoues la chape de plomb qui te
couvrait depuis près d’un demi-siècle. Les régimes autoritaires qui se sont
succédé t’avaient bâillonné. Mais tu t’en accommodais, pourvu qu’ils
s’occupent, sinon de ton bonheur, du moins de ton bien-être matériel même si,
avoue-le, cela fut au prix de ta liberté d’expression. Dans cette espèce de
deal tacite passé avec le dictateur, tu te complaisais dans l’image du peuple,
certes muselé, mais heureux de vivre dans un pays prétendument modèle de
prospérité et de stabilité. Me trompé-je ?
Et, au moment où l’on s’y attendait le moins, un simple marchand ambulant,
que dis-je, un courageux et héroïque jeune homme de 19 ans redressa l’échine,
leva la tête et réclama tout haut son droit à une vie décente. Rappelle-toi, Bouazizi,
de son vrai nom Tarek, vendait faute de mieux des fruits et légumes dans les
rues de Sidi Bouzid, seul revenu d’une famille de sept enfants. Il rêvait de s’acheter
une camionnette pour remplacer sa charrette. Il devait constamment verser des pots-de-vin
à une administration vorace et corrompue qui lui confisquait son seul moyen de
survie pour un oui ou pour un non. Amère réalité.
Le 17 décembre 2010, on saisit une fois de plus son outil de travail, une
charrette et une balance. Humilié, écœuré, il s’immole ce jour-là devant ses
harceleurs, puis s’éteint le 4 janvier 2011.
L’acte désespéré de Bouazizi a sonné ton réveil. Tu as reconnu le signe
du destin, tel que prédit par le grand Victor Hugo : « Les
grandes révolutions naissent
des petites misères comme les grands fleuves des petits ruisseaux ».
Et là, tu as fait l’inattendu. Tu es descendu dans la rue, exprimé ta
colère, et occupé l’espace public jusqu’à ce que l’omnipotent et inamovible
dictateur ait « dégagé » dix jours plus tard, le 14 janvier 2011. Ce
faisant, tu as écrit dans les annales de l’Histoire une des rares révolutions
qui se soient déroulées en douceur, que ne peut revendiquer nul rebelle
surexcité, nul philosophe des lumières, nul leader charismatique. Pas même
Bouazizi qui, loin de se poser en martyre pour l’avènement d’une hypothétique
démocratie, voulait juste qu’on le laisse tranquille pour s’occuper d’une
famille nombreuse.
Du coup, tu as effacé cette odieuse image de l’Arabe condamné au choix étriqué
entre l’extrémisme religieux et la dictature laïque comme régime politique. Pour
cela, tu mérites la reconnaissance de toute une nation. Depuis, ton exemple a
fait des émules, un sujet dont je te parlerai une autre fois.
Pour l’heure, si je suis revenu sur ces événements que tu connais bien,
c’est d’abord pour mesurer d’où tu es venu et à quoi tu es parvenu, en ayant eu
l’intelligence d’éviter le sort prédit aux révolutionnaires par Pierre
Victurnien Vergniaud : « La Révolution est comme Saturne : elle
dévore ses propres enfants ». Et, en dépit des vagues de violences nourries
par la misère qui éclatent ici et là, la Tunisie, berceau du Printemps arabe, a
réussi avec bonheur à ne pas basculer dans le chaos.
Ensuite, et surtout, pour te féliciter d’avoir adopté le 26 janvier
dernier, trois ans après le sacrifice de Bouazizi, une constitution parmi les
plus progressistes du monde arabe. Par bonheur, laïcs et religieux ont fait
montre d’intelligence durant cette période critique. Ils ont appris à vivre
ensemble, et compris que la survie du pays dépend d’un consensus national, non
d’une confrontation sociale. Cette intelligence a produit un savant mélange
entre laïcité et «islamité» que l’on retrouve dans la consécration de la liberté
d’expression et d’opinion, l’égalité des citoyens et des citoyennes en droit,
le principe de parité homme-femme dans les assemblées élues, la prohibition de
la torture physique et morale, l’impossibilité pour le législateur de réviser
les dispositions constitutionnelles en matière des droits de l’homme.
Ce savant mélange a fait de l’État le gardien de la religion, le garant
de la liberté de conscience et de croyance et du libre exercice du culte, le
protecteur du sacré, le garant de la neutralité des mosquées et des lieux de
culte par rapport à toute instrumentalisation partisane. De même, l’État s’est
engagé à diffuser les valeurs de modération et de tolérance, à protéger le
sacré de toutes violations, à proscrire l’accusation d’apostasie et à s’opposer
à l’incitation à la haine et à violence.
Bravo donc cher ami tunisien pour ta nouvelle constitution. Elle jette
les fondements d’un État démocratique, et offre un modèle pour les pays qui se
débattent encore dans les turbulences laissés par ta révolution du jasmin. Son
adoption constitue un moment historique pour le berceau du printemps arabe et un jalon majeur dans
l’évolution du monde arabe vers la démocratie et le bien-être économique de ses
populations.
Mon enthousiasme peut paraître excessif. J’en conviens. Car, tout texte
élaboré par les humains est perfectible. Ta nouvelle constitution n’y échappe
point. En attendant, tous mes vœux t’accompagnent dans ton cheminement à venir vers
l’enracinement des valeurs qu’elle consacre dans les pratiques quotidiennes,
afin que cette rive sud de la Méditerranée soit le havre de paix auquel aspirent
ses peuples.
Rida Lamrini - 05 Février 2014
Cher Si Rida..Que Dire! Seul un homme libre, rêveur et profondément humaniste-comme vous- pouvait saisir et s'identifier à l'esprit d'une révolution qu'il n'a pas vécu "en direct"..j'étais sur les lieux et j'ai eu la chance d'être un témoin oculaire du réveil d'un peuple, le mien, après de longues décennies d'apathie et d'aphonie..Cela n'était pas toujours facile, le 14 Janvier ne
RépondreSupprimerfut pas le happy end de l'histoire, notre peuple a été (et l'est encore)obligé de faire face au secousses des "lendemains difficiles"..nous avons perdu des braves militants comme Chokri Belaid, Mohamed Brahmi, des soldats et des "gens simples"..Le plus important acquis de la révolution tunisienne c'est la découverte de la LIBERTE; désormais, nous n'en envisagerons en aucun cas de faire marche arrière après avoir gouté au "fruit défendu"..Notre marche vers un avenir meilleur a commencé et nous sommes bien conscients que le chemin sera long et tortueux...
Je suis entièrement convaincu du fait que la réussite du processus démocratique en Tunisie contribuera efficacement à la réalisation de notre rêve d'un Maghreb uni, libre, démocratique et prospère.
Tout mon respect et mon admiration pour votre engagement
Un ami tunisien
Cher Si Mohamed
RépondreSupprimerJe suis heureux que vous appréciiez mon regard, un regard certes de loin, mais sur des frères si proches, et des événements qui nous touchent tous.
Dans ma chronique, j’ai tout simplement essayé de parler le langage de la fraternité et de la sincérité.
Avec tous mes vœux pour une Tunisie apaisée, ouverte et prospère.
Avec toute mon amitié.
Rida Lamrini
ridalamrini.blogspot.com
www.fjemaroc.ma
www.forumdujeuneentrepreneur.ma
Cher Ridha Lamrini,
RépondreSupprimerMerci pour ce partage
En fait moi aussi je me réjouis de développement au Maroc aujourd’hui que je le considère important et honorable
Merci et avec toutes mes salutations
Bien cordialement
Sondes
Cher Monsieur,
RépondreSupprimerMerci pour votre e-mail et pour l’ensemble de ces liens. Je m’excuse de vous dire que je n’ai pas eu vraiment l’honneur de faire votre connaissance mais je vais lire vos écrits et votre blog et cette lettre adressée à une amie tunisienne.
Bien cordialement
Monia
Cher Rida,
RépondreSupprimerTu n'imagine pas à quel point ton article m'a ému, j'ai même versé quelques larmes, dans ce moment difficile et cette transition longue et fatigante, de tels messages d'encouragement nous sont nécessaires, j'ai lu ton article trois foi de suite, admirant chaque mot et chaque phrase. Je souhaite vraiment te rencontrer très prochainement chez nous.
Mes amitiés
Sofienne
Mon cher Ridha,
RépondreSupprimerQuel réel plaisir en ce jour d’avoir de tes nouvelles et ta belle pensée pour tes amis et notre pays. Je suis très touché de ta chronique que j’ai lue avec beaucoup d’attention. En effet, tu as bien résumé la crise qu’a traversé notre pays durant ces deux dernières années. Fort heureusement nos acquis et nos fondamentaux sociaux, culturels et historiques nous ont permis de choisir la voie divine qui devait nous guider la démocratisation et la paix sociale.
Qu’Allah nous préserve tous et paix à nos deux pays.
A très bientôt mon ami.
Souheil
Merci bcp si Rida,
RépondreSupprimerçà fait plaisir que vous m'accordiez autant d'intérêt pour que je puisse vous lire.
J'apprécie votre lettre et je vous en félicite.
Cordialement,
AO
Cher Rida et cher ami marocain,
RépondreSupprimerC’est avec un grand un intérêt que j’ai lu votre lettre ouverte au peuple ami tunisien. Votre réflexion reflète fidèlement la succession des événements, des étapes et des états d’esprits par lesquels est passée la société tunisienne. Je vous rassure que votre enthousiasme n’est pas excessif et que le tunisien tout en étant emporté par les récents heureux événements, demeure aussi vigilent et s’adapte de plus en plus vite à cette nouvelle culture qui est la démocratie.
Je vous remercie encore une fois pour cet article et à mon tour je souhaite beaucoup de succès et de réussite à mon ami le marocain.
Avec mes amitiés.
Mehdi
Bonjour
RépondreSupprimerMerci beaucoup, que Dieu t'entende pour l'avenir de la Tunisie et de l'ensemble des pays du Magreb.
Taieb
Cher Ami Rida
RépondreSupprimerMerci et pour tous les citoyens du Maghreb, de l'Afrique, du monde arabe et de l'humanité ensemble. Enfin le bébé est né(e)
A+
Hatem
Bravo Si Rida.
RépondreSupprimerCe ces valeurs universelles et humanistes auxquelles nous aspirons tous.
Encore bravo.
Ahmed
Merci infiniment pour vos nobles sentiments envers mon pays.
RépondreSupprimerCher Rida,
RépondreSupprimerJe souhaite te remercier pour cette belle chronique !
On ne peut rester insensible à la lecture de ta chronique. Elle touche par sa sensibilité, interpelle par sa dimension humaine et donne de l’espoir par son enthousiasme.
Je me suis permis de transmettre ta chronique à des amis qui m’ont tous exprimé leurs profondes émotions et enthousiasmes.
Au plaisir de te relire,
Bien cordialement,
Thameur HEMDANE
Merci beaucoup Mr Rida pour ce partage, c’est un remarquable alignement de mots et de notre vécu, j’approuve profondément.
RépondreSupprimerBien à vous.
Nahla
Cher Si Ridha , je te félicite pour ce papier et je te remercie pour le partage
RépondreSupprimerLa Tunisie , petit et vieux pays à grande tradition constitutionnelle( celui de Carthage , 1862, 1959, 2014) mais aussi pays de la synthèse
Le compromis historique exprimé par la nouvelle constitution est à la fois un renouvellement du modèle moderniste Tunisien qui place désormais la citoyenneté en haut de l’échelle ( article 2) et aussi une victoire de la démocratie sur la théocratie : séparation des pouvoirs , cour constitutionnelle , régime mixte , liberté de conscience et de croyance
Le parti Islamiste n'aura d'autre choix que de rentrer dans le moule des systèmes démocratiques à l'instar des partis démocrate-chrétiens d'Europe
La société civile Tunisienne , à travers les associations , la mobilisation de la rue les médias , a fortement œuvré pour le renversement de la situation ( la première copie du destour était digne du 7éme siècle de l'hégire ...)
Le combat de tous les jours et de toutes les composantes sociétales a poussé la Nahdha à quitter le gouvernement , et à accepter le compromis et in finé un texte fondateur de la laïcité en terre arabe , c'est une victoire qui traduit aussi une prise de conscience du politique en Tunisie , la route est encore longue pour former une société démocratique , je suis confiant et optimiste
Un dernier mot sur les interférences régionales , l'actualité égyptienne nous a aidé dans la réalisation de ce compromis...... les intérêts géostratégiques
régionaux ont contribué à la sortie de crise
Encore une fois c'est la synthèse qui sort victorieuse en Tunisie terre de brassage
Merci encore une fois pour cette occasion d'échanger .