Où va le
pays ? Vaste programme, dirait le Général de Gaulle. Une question que
chacun d’entre nous s’est posé au moins une fois dans sa vie. Surmontant mon scepticisme qu’on trouve un
jour une réponse, je décide de me rendre au dîner-débat organisé par des amis
journalistes autour de ce même sujet. Ils y ont invité d’anciens et de nouveaux
ministres pour éclairer la lanterne des quidams dans mon genre.
Au moment où je m’apprête
à monter en voiture, j’aperçois une charrette de figuiers de Barbarie. Le
marchand m’encourage à goûter ses fruits en vantant le goût unique que leur
procurent les montagnes de l’arrière-pays. Je résiste à ma gourmandise. Je lève
les yeux vers lui. Les quelques lampadaires qui marchent encore peinent à
éclairer la rue. Le choc ! Je m’attendais à voir un de ces paysans venu
tenter sa chance en ville. Je tombe sur un jeune homme en âge de suivre des
études supérieures.
– C’est ton
métier ? lui dis-je, étonné.
– Pas vraiment
Monsieur. Je m’occupe en attendant.
– En attendant
quoi, demandé-je, curieux de connaître sa condition.
– Que je trouve du
boulot Monsieur. Ça fait trois ans que je cherche. Depuis que j’ai eu ma
licence.
J’écarquille les
yeux. Voyant mon air ahuri, il ajoute :
– Il vaut mieux
ça que voler, ou faire le guignol dans les manifs… Nous sommes plusieurs à
faire ça…
– Tu as raison
jeune homme, il n’y a pas de sot métier. Allez, donne-moi quelques-uns de tes
fruits.
L’appétit pour le
dîner entamé, le moral touché par la situation du jeune, je me prépare à
démarrer ma voiture. Dans la pénombre ambiante, une ombre fouille dans une poubelle.
Un jeune homme écarte les rebuts et range ce qu’il déniche dans sa charrette. Spectacle
devenu familier. D’habitude, je lui accorde peu d’attention. Ce soir, ma
curiosité est aiguisée. Je m’approche du fouineur, dévisage ses traits. Il est
aussi jeune que le marchand de figues. Je le salue et lui demande s’il veut
bien répondre à mes questions. Il acquiesce volontiers.
– Je te vois
souvent passer par là. Tu cherches quoi exactement dans les poubelles ?
– Des cartons,
des bouteilles, du papier…
– Tu en fais
quoi ?
– Je les revends
au propriétaire d’un dépôt en banlieue.
– Et lui, il en
fait quoi ?
– Il les revend à
des gens qui les livrent en camions à des usines.
– Quel âge tu
as ?
– 22 ans.
– Des
études ?
– Non.
– Tu viens
d’où ? Tu vis où ?
– Du sud. Le
propriétaire du dépôt me donne la charrette et le logis. Nous sommes plusieurs.
– Tu gagnes
combien chaque jour ?
– 50 dirhams. Avec
ça, je subviens aux besoins de ma famille dans le bled, ma femme, mes enfants.
– Tu en fais un
métier ?
– Oui Monsieur.
C’est pas facile, mais je préfère ça plutôt que mendier…
Je referme la
portière de ma voiture, renonce à la conférence de mes amis et retourne chez
moi. Je ne suis plus d’humeur à écouter pérorer d’anciens politiques, responsables
de ce qui arrive à nos jeunes et toujours avides de recouvrer un maroquin, ni
jaser des nouveaux qui, bien qu’en manque de solutions, n’ont eu de cesse qu’ils
goûtent à leur tour au nirvana du pouvoir. Les augures de la rue m’ont suffit.
Rida Lamrini - 1er août 2012
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