– T’as pas honte de mendier ? À ton âge ? Jeune et tu tends la main ? Va te trouver du travail !
Ba Jalloul a presque hurlé en s’adressant au jeune homme appuyé contre le lampadaire. Celui-ci balbutie des mots incompréhensibles. Ba Jalloul n’en démord pas :
– T’es en bonne santé ! T’as rien à faire avec les mendiants ! Tu trouveras du boulot si tu cherches !
Ba Jalloul se détourne du jeune homme et poursuit son chemin avec deux baguettes de pain sous le bras. Il ne m’a pas aperçu. Je lui emboîte le pas, me retenant difficilement de rire. Arrivé à son café habituel, il se rend compte de ma présence au moment où il va s’attabler auprès de nos amis qui sont déjà là.
– Ah, c’est toi ? me dit-il.
Je pouffe de rire.
– Tu n’as pas été tendre avec ce jeune homme, lui dis-je. Il faut voir comme il a tancé un apprenti mendiant, poursuis-je en direction de nos compagnons.
– C’est un petit malin, rétorque Ba Jalloul. Il a flairé un moyen de se faire de l’argent facile. Se mêler aux mendiants devant la pâtisserie, prendre un air penaud et tendre la main à ces bonnes poires qui se donnent bonne conscience en laissant des piécettes aux pauvres bougres !
En dépit du caractère burlesque de la scène, je suis mal à l’aise. La vue du jeune qui mendie m’a déstabilisé. Cas isolé ou phénomène de plus grande ampleur ? Je m’en ouvre à Ba Jalloul :
– Ce jeune n’a pas choisi la facilité pour se faire de l’argent, laissé-je tomber. C’est bien plus grave.
– Arrête, dit Salim. Les jeunes d’aujourd’hui ne veulent pas travailler. Soit un job sûr, soit rien.
– Admettons. Alors, combien il y a de jobs pour les jeunes. La moitié de la population a moins de 25 ans. On crée à peine cent mille postes par an. Autrement dit, peanuts ! C’est comme ça qu’on va régler le problème des jeunes ?
– Il faut admettre la réalité cher ami ! Le pays n’est pas riche ! En plus, c’est la crise !
– Erreur Salim, rétorque Ba Jalloul. Faut pas confondre. Le pays est riche. Ce sont les gens qui sont pauvres. Tu sais pourquoi ? Parce que la richesse est entre quelques mains ! Alors, de deux choses l’une. Ou ils continuent à tout s’accaparer et ça finira par leur sauter à la figure. Ou ils décident de partager, et alors il y a un espoir pour tous ces jeunes.
Karim, qui n’a pas pipé mot depuis le début, décide d’intervenir.
– Si les riches vous écoutaient, ils finiraient par penser que vous voulez les déposséder pour aider les jeunes. Alors qu’il suffit de peu pour faire de grandes choses. Je connais une fondation qui aide les jeunes ruraux à créer leurs projets d’entreprises. Chaque projet emploie en moyenne quatre jeunes. Vous savez combien ça coûte à cette fondation de créer un emploi ? Devinez ! 5.000 DH ! Trois fois rien ! Son fondateur ne cesse de mendier pour qu’on l’aide à sortir les jeunes de la rue. Tu parles ! Ils préfèrent financer les festivals, les événements de prestige, les publicités tapageuses…
– Moi aussi je connais quelqu’un qui se défonce pour les jeunes, renchérit Ba Jalloul. Avec ses moyens propres. Il a tapé aux portes du gouvernement. Il n’a pas obtenu un centime. Nos responsables préfèrent déverser des montants ahurissants dans des projets qui n’apportent rien à personne.
– Ce n’est pas leur argent, soupire Salim. C’est le nôtre.
– Pire, poursuit Ba Jalloul. Je connais un haut responsable d’une région rurale. Il a mis au point une stratégie sociale qui allait bouleverser l’essor de la région. Quelques années après, son successeur ne fit que démolir ce qu’a fait le prédécesseur ! Sans apporter d’alternatives. Il est payé grassement sur nos deniers pour s’occuper des gens, et personne ne lui demande des comptes, ni sur ce qu’il a démoli, ni sur ce qu’il a fait ! Comment qualifier ça ? Ce genre de type est une erreur de la nature !
– Si je comprends bien, dis-je en m’adressant à Ba Jalloul, pour changer les choses, il faudrait que ceux qui possèdent partagent avec les démunis, que les ressources publiques soient allouées de façon rationnelle, et que l’on fasse attention dans le choix des responsables de la chose publique…
– Tout juste ! Du cœur, de la rigueur et du bon sens !
Rida Lamrini - 11 avril 2012
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