Je t’aimais quand il faisait bon se promener dans le calme de tes rues,
quand marcher sur tes trottoirs procurait du plaisir.
Je te déteste depuis que tu es devenue congestionnée et bruyante, que
tes trottoirs se sont transformés en chausse-trappes.
Je t’aimais lorsqu’à la fin de la journée il faisait bon déambuler sur
tes places et savourer le charme de la nuit tombante.
Je te déteste depuis que la tombée de la nuit sonne l’heure de se
retrancher chez soi pour les âmes peu aventureuses.
Je t’aimais quand tes rues portaient chacune un nom sur des plaques
visibles.
Je te déteste depuis qu’il faut deviner les noms de tes rues, que l’on
retrouve dans plusieurs quartiers.
Je t’aimais quand tes trolleys circulaient en silence sur tes chaussées
propres, que tes automobiles faisaient partie de ton charme magique.
Je te déteste depuis d’horribles autobus encombrent tes rues crasseuses
et que tes véhicules empestent ton air et polluent ton atmosphère.
Je t’aimais lorsque tes taxis drivers étaient courtois, aimables de
serviables.
Je te déteste depuis qu’ils prennent les clients selon leur gré, qu’ils
sont devenus une nuisance de la circulation.
Je t’aimais quand tes citoyens vaquaient calmement à leurs occupations,
sans jamais se départir de leur amabilité, même une fois derrière le volant.
Je te déteste depuis que des êtres courtois en temps normal se
métamorphosent en créatures odieuses une fois aux commandes d’un véhicule, que
des membres de ta gent féminine, rivalisant de goujaterie avec des mâles
grossiers, piétinent agressivement le code de vie en cité.
Je t’aimais quand, de jour comme de nuit, le calme imprégnait ton
atmosphère paisible, que l’on entendait le tambourinement des pneus des
voitures sur le pavé de tes chaussées
Je te déteste depuis que le klaxon est devenu LE moyen de conduite et
de communication de tes automobilistes.
J’aime tes bâtiments qui avaient émergé de l’imagination de concepteurs
dont la créativité audacieuse a enrichi le patrimoine architectural universel.
Je déteste tes nouveaux promoteurs immobiliers qui, de connivence avec
de médiocres dessinateurs de plans de bâtiments, ont enlaidi l’héritage des
génies de l’art déco et t’ont parsemé de bâtiments sans âmes.
Je t’aimais quand la blancheur de tes immeubles faisait écho à la
poésie de ton nom.
Je te déteste depuis que tes habitants ont entaché le lyrisme de ton
nom par leurs détritus.
Je t’aimais lorsque tu étais l’eldorado qui faisait rêver les
chercheurs de fortune, que tu offrais un toit en ton sein à chacun de tes
habitants.
Je te déteste depuis que tu n’as plus rien à offrir que de sordides
bidonvilles à ceux qui rêvent d’une place au soleil, que des enfants ont pris
tes rues pour l’univers de leur vie.
Je t’aimais lorsque chacun de tes habitants pouvait goûter à une part
de tes richesses, aussi modeste soit-elle.
Je te déteste depuis que l’arrivisme a fait de tes habitants les
adorateurs frénétiques du dieu argent, offrant à la vue le spectacle
d’insupportables déchirures sociales.
J’aime toujours l’océan qui te borde, les espaces verts qui t’avaient
donné une âme, la corniche qui anime tes jours et tes nuits.
Je te déteste parce tu tournes le dos à la mer, que tu étouffes faute
de nouvelles aires de verdure, que ta corniche a perdu de son charme.
Casablanca, je te déteste autant que je t’aime. Mais n’est-ce pas le
propre de l’amoureux que de haïr avec la même intensité ce qu’il a aimé ?
N’est-ce pas que, comme a dit Honoré de Balzac, la haine n'est que l’envers de
l'amour, non son contraire ?
Casablanca, mon amour. Je te déteste parce tu perdu ton âme. Je t’aime
encore parce que j’ai l’espoir que tu ne manqueras pas de te forger une
nouvelle.
Rida Lamrini - 19 février 2014
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