– Qu’est-ce qu’il est galvaudé ce mot
solidarité ? dit Said d’un ton acerbe. Comme si notre société était
solidaire. Ce serait pas un vernis qu’on met pour se donner un caractère humaniste ?
– Quoiqu’il en soit, il est temps pour une
répartition équitable des richesses, répondis-je.
– Pas sûr que tout le monde pense la même chose, ni même
qu’on sache ce que signifie solidarité.
– Il suffit de consulter le dictionnaire.
Joignant le geste à la parole, j’ouvre le Larousse au
mot solidarité et lis à l’intention de Said :
– Rapport entre personnes qui, ayant une communauté
d'intérêts, sont liées les unes aux autres. Sentiment d'un devoir moral envers
les autres, fondé sur l'identité de situation, d'intérêts.
Je lève les yeux sur Said. Je me doute qu’il ne m’a pas
interpellé juste pour avoir une explication de texte du mot solidarité dont il
se fiche manifestement comme de sa première carie.
– Je connais ton côté idéaliste ! me
lance-t-il. Tout le monde n’adhère pas à tes chimères. Écoute ce qui va te
ramener à la réalité. 3,5 milliards de dollars sont détenus par les nôtres à
l’étranger !
– Bon et alors, les gens ont le droit de placer leur
argent où ils veulent, rétorqué-je provocateur.
– Comme ils ont le droit de s’enrichir, tu me diras !
Écoute, y a qui se donnent pour les autres, mais manquent de moyens. Et y a
ceux qui sont heureux de gonfler leurs comptes ici ou ailleurs, chaque jour un
peu plus, sans penser aux démunis. C’est ça la solidarité ?
– On n’a rien à leur reprocher s’ils ont gagné leur argent
proprement et s’ils se sont acquittés de leurs obligations fiscales.
– Ah tu crois qu’une fois qu’on a payé les
impôts, on est quitte envers la société ?
– Je comprends les réticents lorsqu’on voit où vont
nos impôts, poussé-je le bouchon plus loin.
– Moi je me pose des questions sur cette société. Un
journal vient de recenser trente raisons qui font que les gens sont mal dans
leur peau. Tu veux que je les cite ?
– Non merci, me dépêché-je de répondre, je les
connais.
– Mon fils qui étudie à l’étranger a été désorienté lorsqu’une
amie à lui, après une semaine de tourisme chez nous, lui a déclaré qu’elle a
trouvé le pays en plein développement. Il ne savait pas s’il fallait se réjouir
ou être triste pour les millions de laissés-pour-compte.
Le regard de mon ami devient dur.
– On vient de perdre une grande dame qui a consacré
sa vie aux jeunes prisonniers. Elle voulait améliorer leurs conditions et leur
donner une deuxième chance dans la vie. Combien l’ont aidé ? Combien
soutiennent ceux qui prêtent aux pauvres, avec un peu de cet argent qui dort
dans les banques ? Où vois-tu des fortunés soutenir ceux qui aident les
jeunes ? C’est ça la solidarité ? Ce ne serait pas plutôt de l’égoïsme ?
À toute fin utile je te rappelle la définition du dico : attachement
excessif porté à soi-même et à ses intérêts, au mépris des intérêts des autres.
Voila où nous sommes.
Said est au bord de l’explosion. J’évite de réagir.
– Je n’ai rien
contre ceux qui courent après l’argent. Sauf qu’on doit savoir qu’on est tous dans
le même bateau. On arrive tous à bon port ou on coule tous. Et puis, tout
compte fait, à quoi sert l’argent planqué dans les banques une fois qu’on est
six pieds sous terre ! À quoi aura servi notre vie ?
Said est emporté. Il continue sur sa lancée ;
– Tu vois, Imagine que les détenteurs des 3,5
déposés à l’étranger partagent un peu de leur argent avec leurs prochains. Mais
quel bonheur ils répandraient autour d’eux ! Ils régleraient amplement tous
les problèmes de boulot, de santé, de logement de millions de gens.
Je regarde longuement Said. Je ne sais qui d’entre
nous est le plus naïf.
Rida Lamrini - 14 novembre 2012