Nul n’est prophète dans son pays. Cet adage ne me
quitte plus dans le cockpit de cet avion qui m’emmène vers Tunis, et dans
lequel l’affable commandant K. A. m’a aimablement invité à faire le voyage avec
lui. Est-ce parce que les Nations Unies réunissent dans la capitale du fameux
printemps des personnes du Maghreb et
d’ailleurs pour faire causette sur les jeunes, comme si elles n’avaient
pas été entendues chez elles ?
Dans le ciel azur de décembre, je survole le Maghreb
comme si c’était un pays d’un seul tenant. Vues d’ici-haut, qu’elles sont
minuscules les mesquineries des terriens ! Effacées les frontières ! Gommées
les différences ! Disparus les antagonismes ! Tout juste une vaste étendue
de terre où des populations aspirent à respirer librement et à vivre dans la
paix et la dignité. Des populations constituées pour moitié de jeunes. Dans ce
Maghreb, d’où a jailli l’étincelle qui bouleversa la rive sud de la
Méditerranée, les jeunes sont désormais au cœur des contestations pour des
transformations radicales, pour davantage de dignité, de justice sociale et de
libertés. Au point que Ban Ki-moon, Secrétaire Général des Nations Unies, déclara « depuis l'aube du printemps arabe,
les jeunes du monde entier ont pris les rues. Laissez-nous les écouter, de peur
que les prochaines décennies ne soient marquées par une instabilité et une
aliénation qui sapent nos perspectives de paix, de sécurité et de prospérité
pour tous », donnant ainsi son sens
à ce forum de Tunis sur « Les jeunes, acteurs du
développement ».
Curieux. Fardeau hier, les jeunes sont devenus moteurs
de dynamique sociale aujourd’hui.
Je feuillette les documents du Forum. Écoutez plutôt. Des
millions de jeunes maghrébins de 15 à 24 ans sont analphabètes. Les femmes sont
les premières victimes. L’Afrique du Nord est championne du chômage des jeunes
de 15 à 24 ans, avec 23,7% en 2009. De nombreux jeunes veulent monter leur
propre affaire. Les services d’aide restent insuffisants et peu efficaces. Premier
employeur, car souvent seule issue, l’informel est l’une
des racines de l’exclusion sociale et de la pauvreté des jeunes actifs. Une forte
proportion de jeunes utilise son temps libre de façon
« improductive » : discuter entre amis (réels ou virtuels),
surfer sur Internet, regarder la télévision ou ne rien faire. Les comportements
à risque - drogue,
tabagisme, rapports sexuels non protégés, tentatives de suicide - augmentent
sous l’effet du désœuvrement et des frustrations. La migration tente près de
40% des jeunes. Refusant de s’engager dans la politique, ils se radicalisent
dans la contestation.
Le lendemain, dans ce vent de liberté qui n’a pas fini d’enivrer les
tunisiens, les participants bouillonnent de recommandations qui ont donné son
contenu au Forum. Dans cette effervescence d’idées, Ahmed, jeune fondateur
d’un nouveau parti en Lybie, évoque avec émotion le conflit qui a ensanglanté son
pays, au point de préférer les caprices du détestable Khaddafi aux affres inimaginables
d’une guerre atroce. Avec des propos captivants, il harangue les jeunes dans un
parfait anglais pour qu’ils se prennent en charge politiquement. Amine, jeune tunisois,
après avoir écouté les discours d’ouverture, lance aux orateurs un impertinent
« Assez de paroles ! On veut des actes ! ». À l’unisson,
les jeunes présents clament « Nous ne voulons pas du monde que vous allez
nous laisser ! Nous avons des idées ! Nous voulons nous prendre en charge !
».
Aurais-je entendu de nouveaux prophètes à Tunis ? Ou bien seraient-ce tout
simplement les cris de nos enfants devenus subitement plus audibles ?
Rida Lamrini - 28 décembre 2011
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