Aussi loin que porte le regard, nul obstacle ne
vient obstruer la vue. Les arbres, la végétation, quelques collines au loin au
sud, la mer vers le nord, tous s’apprêtent à accueillir en leur sein la boule
de feu qui descend du ciel. L’horizon, irradié par les rayons rouge et or de
l’astre qui fond vers la terre, s’est embrasé d’une lumière incandescente. Le
silence de l’endroit s’efface un court instant devant le battement d’ailes d’un
oiseau, pour vite étendre son manteau épais sur la nature.
L’astre diurne a maintenant disparu du firmament et
plongé dans les abysses de l’espace lointain. Le rougeoiement du ciel s’assombrit
progressivement. Les formes des êtres et des arbres se muent en ombres. Un
calme placide a fermement pris les lieux dans sa grippe. La nature se repose à Cap
de l’Eau, ce havre de paix de l’extrême orient du pays où se couche le soleil.
Je suis dans un état second. Comme sous hypnose. En
empathie avec les éléments qui m’entourent. J’ai le sentiment de n’être qu’un
composant de la biodiversité de l’endroit, composant dont le comportement est
dicté par une harmonie divinement conçue pour régler les mouvements, les
échanges, les équilibres. Je reste figé, de peur d’être, par un geste ou par un
son, la fausse note qui perturbe la symphonie qui se joue lors de ce coucher du
soleil.
Par une curieuse association d’idées, je songe à ma
cité de laquelle je viens de m’évader. Tel un prisonnier d’Alcatraz, j’ai longtemps
rêvé de mon évasion. Je l’ai minutieusement planifiée. J’ai patiemment attendu
le moment propice pour l’exécuter. Aujourd’hui, le tableau du coucher du soleil,
peint par la magie de la nature, est la récompense d’un prisonnier qui, du fond
de sa cellule, pardon, piégé dans sa cité, n’a cessé de clamer, sinon son
innocence, du moins son droit au bonheur simple de la vie, loin de la laideur
du béton, de l’enfer des klaxons, de l’anarchie de la circulation, de
l’encombrement des habitants, de la hideur des souillures.
Prisonnier de l’enfer d’un urbanisme
triomphant qui ne jure que par le dieu argent et ignore les exigences de la
nature, comment ai-je fait pour supporter, jour après jour, les affres que m’inflige
la cité dès que je franchis le seuil de ma maison pour vaquer à mes occupations
quotidiennes ? Pourquoi l’être humain tourne-t-il le dos aux merveilles de
la nature pour concevoir des agglomérations urbanistiques laides, stressantes,
invivables. Ne peut-il pas faire de ses cités des écosystèmes respectueux de la
biodiversité, des équilibres naturels, et des besoins des êtres qui y
vivent ?
Peut-être est-ce là une question par trop
existentielle. Plus prosaïquement, pourquoi aller chercher loin de nous les
causes de notre enfer citadin, alors que pour bon nombre d’entre elles nous sommes
les principaux et uniques responsables? Quelques exemples. Avons-nous
réellement besoin de klaxonner à tout bout de champ pour circuler en ville et,
ce faisant, nous assourdir collectivement ? Avons-nous besoin d’empiéter
sur le droit des autres pour faire valoir les nôtres ? Avons-nous besoin de
salir allègrement autour de nous, comme si des êtres asservis étaient commis à
nos côtés pour ramasser nos détritus ?
En d’autres termes, ne pourrions-nous pas utiliser
l’intelligence que nous déployons à notre profit personnel et qui nous sert à
monter avec brio des échafaudages financiers, commerciaux, politiques et
sociaux, utiliser cette même intelligence pour aménager un bien vivre commun au
profit de tous, propice à l’épanouissement de tout un chacun ?
Je sens une légère migraine du côté droit de ma
tête. C’est le signe avant-coureur du malaise qui me prend lorsque les
questions m’assaillent de toutes parts.
Je décide d’oublier les problèmes des hommes. Ils
ont ainsi vécu depuis la nuit des âges. C’est peut-être le destin des citadins.
Je me laisse aller au bonheur que procure ce coin de paradis terrestre, non
encore saccagé par l’agitation de mes congénères.
Rida Lamrini - 28 mai 2014