mercredi 28 août 2013

Se retrouver… enfin…


Lorsque le monde semble déréglé, les nouvelles insupportables, les événements indéchiffrables.
Lorsque les grilles de lecture deviennent inopérantes, les repères inutiles, les paradigmes vains.
Lorsque l’histoire ne parvient plus à expliquer le présent, la géopolitique à démêler les phénomènes, la science politique à éclairer les événements.
Alors, le temps est venu de faire le vide en soi, autour de soi.
Lorsque les villes enflent de bruits incompréhensibles, les rues de rumeurs insaisissables, les cafés de commentaires insondables.
Lorsque les journaux rapportent des informations illisibles, les chaumières bruissent de rumeurs inintelligibles, le cyberespace charrie des échanges inaccessibles.
Lorsque l’explosion sociale devient l’unique moyen d’expression, la violence la seule forme de communication, la brutalité l’argument privilégié d’intervention.
Alors, le temps est venu de se retirer dans le royaume du calme et de la sérénité.
Lorsque les habitants de la capitale pensent être le centre du monde, que l’univers leur semble tourner autour d’eux-mêmes, que l’horizon épouse les limites de leur cité.
Lorsque les politiques n’ont d’interlocuteurs que leurs égos, les gouvernants ne reçoivent que leur propre écho, les partis jouent leur partition en solo.
Lorsque l’univers de l’élite ne dépasse guère les remparts de la capitale, les intellectuels ne reçoivent de reflets que ceux renvoyés par le miroir de Narcisse, les leaders d’opinion n’ont de feed-back que de leurs adulateurs.
Alors, le temps est venu de se régénérer aux sources du terroir.
Lorsque la frénésie s’empare de la vie, le stress devient mode de vie, la vitesse régule les rapports entre proches, professionnels et amis.
Lorsque le dieu argent finit par imposer sa religion, le matériel devient unique source d’inspiration, l’accumulation de biens constitue le but ultime.
Lorsque l’aspect prend le pas sur le fond, le paraître sur l’être, le virtuel sur le réel.
Alors, il est temps de se retrouver avec soi-même, de mettre une distance entre soi et un monde pris de frénésie, de s’extraire du tumulte ambiant et se fondre dans le silence cristallin.
Il est temps d’échapper à la logomachie des politiques, à l’emprise des faiseurs d’opinion, aux logorrhées des leaders d’opinion, aux écrits des croqueurs d’opinions, au harcèlement des concepteurs de pétitions.
Il est temps de laisser derrière soi le tapage assourdissant des métropoles, abandonner le tohu-bohu des capitales, fuir le nombrilisme des bulles urbaines.
Il est temps de prendre le chemin des grandes étendues, s’évader vers les espaces des hommes libres, retourner à mère nature, vivre avec les créatures indomptées, afin que l’âme se ressource, et que l’être se régénère.
Il est temps de retourner vivre là où le ciel est l’unique horizon, où nul obstacle n’obstrue la portée du regard, nul bruit ne perturbe la perception de l’ouïe, nul bourdonnement ne brouille la réflexion de l’esprit.
Alors, loin de la vaine agitation humaine, du tintamarre tonitruant des cités, du nombrilisme atavique des urbains…
À l’abri des hauts lieux de la civilisation, entre le grésillement du grillon, les caresses du vent, et le chant des oiseaux…
L’on retrouve la dimension réelle des choses, le poids tangible des actes, la juste valeur des faits, le sens effectif de la vie.

Au bout de cette quête solitaire vers une sagesse élusive, on se retrouve… peut-être… enfin.

Rida Lamrini - 28 août 2013

mercredi 7 août 2013

Petits problèmes, grands problèmes… quelle différence


Elle s’appelle Fatima Zohra. Des cheveux noirs entourent son visage aux traits doux. Elle a 24 ans. L’âge où tout semble possible. Armée d’un diplôme d’ingénieur en automatisme de process industriels, l’âme conquérante, des projets pleins la tête, elle a la main tendue pour cueillir les fruits de journées d’efforts et de nuits studieuses. Avec l’innocence de la jeunesse, elle se voit déjà au sein d’un bureau d’études ou d’une société industrielle où elle donnerait toute la mesure de l’ingénieur qu’elle était devenue. Tout son être est tendu pour se mouler dans cette femme active à laquelle elle a consacré tant d’années d’études et de préparation.
Ses parents ont consacré leurs précieuses économies pour qu’elle décroche le diplôme qui serait le précieux sésame du monde du travail. Depuis qu’elle l’a obtenu, il y près de deux ans, elle consacre toute son énergie et explore toutes les possibilités pour trouver du travail. Elle a envoyé son CV à toutes les adresses possibles, s’est inscrite à tous les sites de recrutement, formulé des demandes à toutes les directions de ressources humaines, suivi toutes les formations préparant les demandeurs d’emplois, répondu à toutes les offres d’emploi. Peine perdue.
Aujourd’hui, son regard cache difficilement les premiers signes du découragement. Elle réalise que la réalité du monde est plus complexe qu’elle ne pensait. Elle pense que son statut de jeune fille la handicape. Le job auquel elle postule serait un métier d’hommes ! Pourtant, elle refuse de succomber au désespoir, de rejoindre le rang des diplômés chômeurs dont on parle tant. Elle continue de se battre. C’est pour cela qu’elle est venue me voir. Explorer une voie de plus.
Dans ce train qui me ramène vers Casablanca, je pense à Fatima Zohra et aux centaines de milliers de jeunes qui vivent une situation similaire. Abattus, certains ont renoncé au prestige du diplôme et se sont résignés à exercer de petits boulots, pourvu qu’ils quittent le monde implacable du chômage.
Le regard perdu dans la campagne qui défile dehors, je pense à ces gouvernements, à ces instances représentatives qui ont tant promis aux citoyens. Je pense aux partis et politiques qui s’entredéchirent, qui pour prendre le pouvoir, qui pour sauter dans son train. Je pense à ces « responsables » dont les politiques n’ont laissé aux jeunes comme Fatima Zohra que des horizons bouchés.
Mon voisin de voyage abandonne momentanément la lecture de son journal et, commentant les articles qu’il est train de parcourir, me tire de mes pensées :
– Invraisemblable ! Des partis politiques se détestent cordialement. Pourtant, ils sont prêts à se mettre en ménage pour constituer un gouvernement ! Que ne feraient-ils pas pour arriver au pouvoir !
Il replonge dans son journal et poursuit comme s’il me connaissait de longue date :
– Tout est en panne, l’économie, l’enseignement, la santé. Les jeunes sont déboussolés. Pourtant, ceux qui étaient aux affaires ces décennies font tout pour se maintenir au pouvoir ! Quel culot ! Ils disent que c’est pour l’intérêt général ! Pour sauver le pays ! Comme s’ils ne sont pour rien dans ce qui nous arrive ! Vous en connaissez des politiciens qui reconnaissent leurs échecs ?
Il me regarde, comme s’il attendait ma réaction. Je ne me sens pas d’humeur à engager la conversation. Je me contente d’un hochement de tête et d’un sourire de circonstance.
Le train arrive finalement à destination. Nous le quittons ensemble et nous dirigeons vers la sortie. Dehors, nous cherchons un taxi. En vain. Non qu’ils soient rares. Bien au contraire. Ils sont plus nombreux qu’une nuée de sauterelles. Mais ils ont la particularité de vous imposer l’endroit où eux veulent se rendre, et de prendre les passagers en groupe. À prendre ou à laisser. En attendant de tomber sur le driver qui voudrait bien nous prendre, mon compagnon continue de marmonner :
– Une malédiction nous poursuit. Toutes les politiques menées à ce jour ont échoué. Oh, il y a des avancées. Mais la majorité des gens ne voit pas leurs conditions s’améliorer. Ça reste donc du vernis. Je me demande si un jour nous aurons une classe politique à la hauteur de nos problèmes ?
Me voyant silencieux, il laisse tomber :
– Au fond, je demande peut-être l’impossible. Nos politiques ne sont même pas capables de régler le problème des taxis. Une affaire simple, réglée partout dans le monde. Vous arrivez à un aéroport, à une gare ou dans une station, les taxis défilent devant vous pour vous prendre là où vous souhaitez. Sauf ici ! Alors, régler les grands problèmes du pays, c’est peut-être trop leur demander.
– Qu’est-ce que vous racontez là, ne puis-je pas m’empêcher de réagir. La gestion des taxis est une affaire locale. L’économie, la santé et l’emploi sont des problèmes nationaux. C’est pas pareil !
– Raison de plus ! me jette-il. Quand ils peuvent pas régler un problème de taxis, comme voulez-vous qu’ils solutionnent des problèmes aussi complexes que l’enseignement, la santé, ou l’emploi !
Je me réfugie dans mon silence, repense à Fatima Zohra et aux centaines de milliers de jeunes à la recherche d’emploi… et prends mon mal en patience.

Las, désabusé, après une demi-heure d’attente, je me mets à prier : pourvu qu’un taxi veuille bien me ramener chez moi.

Rida Lamrini - 07 août 2013