Elles sont venues des quatre coins du monde. Elles brillent dans le firmament à longueur d’année. Les voir relève du rêve. Les approcher tient du miracle. On les réunit, une semaine durant. On réunit des dizaines de stars internationales. Des stars inaccessibles qui, ô miracle, descendent de leurs piédestaux l’espace d’un soir, et viennent à la rencontre de fans inconditionnels.
Une aubaine ! Une aubaine qui se produit une fois l’an ! L’aubaine dure une semaine. Une semaine de rêve. Pendant une semaine la plèbe connaît le nirvana. Pendant une semaine, les Dieux descendent de l’Olympe et se révèlent à leurs mortels adorateurs. Une semaine durant, aux quatre coins de la ville, sur des temples érigés pour la circonstance, le temps d’un récital, les étoiles se penchent sur leurs admirateurs. Le temps d’un concert, les foules donnent de la voix, scandent des mains, répètent en chœur, vivent leur foi, dans l’espoir d’être touchées par la grâce.
Et, ô comble de bonheur… toutes les messes sont gratuites ! « Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. »
Que le bon peuple s’amuse. Qu’il se divertisse. Qu’il oublie ses soucis. Gracieusement. En apparence du moins. Car…
Car, les Dieux de la musique adulés ne sont pas là gratuitement. Ils ne sont pas là non plus par amour pour leurs fidèles. Ils touchent tout bonnement des cachets pour leur déplacement. Comme tous les artistes du monde d’ailleurs. Des cachets qui donnent le tournis. De quoi soulager bien des peines. De quoi occuper nombre d’âmes errantes. De quoi donner du travail à bien des chercheurs en ces temps de désespoir.
Mais alors, si les fidèles s’enivrent des sons de leurs idoles sans bourse délier, d’où vient l’argent des cachets ? Mystère. Mystère et boule de gomme.
Après tout, cela importe peu.
Alors, de grâce, si vous connaissez ces âmes généreuses qui immolent des sacrifices sur l’autel des Dieux de la musique, si vous connaissez ces mécènes qui, par amour de l’art, présentent des offrandes aux divinités de la chanson, dites-leur que pour l’amour du prochain, il est possible de procurer un emploi à un jeune désœuvré pour à peine 5.000 DH. Ce serait un bonheur et un plaisir de leur expliquer et les convaincre comment avec si peu d’argent on peut soulager la misère des autres. Ils verront combien de 5.000 DH empochés par les stars d’une semaine pourraient permettre à bien des jeunes de quitter l’univers impitoyable de la rue pour celui bien valorisant du travail, de l’espoir et de la dignité.
Alors, que l’on continue à promouvoir l’art. Noble dessein s’il en est.
Mais en ces temps de disette pour bien des âmes errantes, en ces temps de difficultés pour le plus grand nombre, en ces temps de désespoir pour une jeunesse avide de joie et de lumière, ayons une pensée pour l’autre. Oublions quelques instants le retour sur chiffre d’affaires de nos soutiens mécènes et posons-nous la question comment notre argent pourrait soulager bien des peines, alléger bien des souffrances, guérir bien des malades, calmer bien des faims, protéger bien des sans-abris, employer bien des chômeurs, redonner bien des espérances, ouvrir bien des horizons.
Alors, ma prière va au génie qui se déploie si brillamment et monte des mécanismes ingénieux pour la promotion de l’art, pour qu’il consacre un peu de son extraordinaire intelligence et conçoive cette fois-ci des schémas de promotion qui soulageront les maux d’une société, certes en manque d’expressions artistiques, mais qui endure bien des souffrances en silence.
Qu’un peu de cet amour manifesté légitimement pour l’art soit consacré à celles et ceux dont les sens sont trop meurtris par les afflictions du destin pour apprécier cet art si généreusement et si intelligemment présenté aux quatre coins de la ville, une semaine durant, une fois l’an.
Rida Lamrini - 29 mai 2013