Plongé dans son monde, il ne pipe mot de la journée.
C’est à peine s’il pense à manger. Sa maman et moi sommes obligés de l’appeler
à plusieurs reprises pour le détacher de ce maudit écran et nous rejoindre à
table. Je me demande si c’est la meilleure chose que j’ai faite le jour où je
lui ai acheté un ordinateur. Avons-nous seulement le choix ? Sauf à
retourner dans les cavernes de nos ancêtres.
Je passe devant lui et m’arrête, songeur. Un casque
sur la tête, des écouteurs autour des oreilles, les mains qui pianotent à tout
va sur le clavier, les yeux rivés sur le moniteur, mon fils est totalement
absorbé. Il vit avec nous, mais uniquement sous le toit familial. Il vogue dans
un univers à lui. Je m’approche de lui, histoire de savoir ce qu’il fait. J’imagine
qu’il écoute de la musique. Sur l’écran je vois un jeu. Je constate aussi qu’il
chatte sur MSN. Facebook est ouvert dans une troisième fenêtre. Je me demande
quand trouve-t-il le temps pour étudier, pour lire. Je m’éloigne, résigné.
– Papa, t’as besoin de quelque chose ?
m’interpelle-t-il à ma grande surprise.
Comment s’est-il rendu compte de ma présence ? Sans
me retourner, je rétorque :
– J’ai besoin d’un médicament. Il est dimanche. Tu
veux bien aller voir la pharmacie du quartier. Elle doit afficher les adresses
de celles qui sont ouvertes.
– Papa, la pharmacie des Mimosas est ouverte.
– Comment tu le sais ? lui dis-je en me
retournant vers lui, incrédule !
– Fastoche. L’ordi.
– Les examens sont pour bientôt… lui dis-je, tout à
mon inquiétude pour son avenir
– Papa, j’ai terminé ma dissertation sur Word. Je bosse
mon PowerPoint sur le mouvement des plaques tectoniques. Et je chatte avec mes
amis pour résoudre mes exercices de maths. Rassuré ?
Mon fils joue, chatte, étudie
et écoute de la musique ! Avec cela, il trouve le moyen de me parler et me
renseigner presque instantanément ! Cela va trop vite pour moi. Gap
générationnel ? Je saisis mal comment il peut mener plusieurs tâches en
parallèle, moi le séquentiel habitué à ne creuser qu’un sillon à la fois. Et
puis tiens ! Pourquoi ne pas faire comme lui. Voyons ce que le cyberespace
va raconter au baby-boomer que je suis sur cette génération avec laquelle j’ai
du mal à me connecter.
J. I., Dr de recherche à la
Toulouse Business School, m’apprend qu’une génération, ensemble de personnes
nées dans une période donnée, est définie par des événements clés et des
éléments démographiques qui la façonnent. Mon fils, natif des années 80 fait
partie de la génération Y, la plus importante après la mienne. Curieux !
Elle comprend 70 millions de personnes aux États-Unis, 200 en Chine
et 18 en France. Combien sont-ils au Maroc ? 10 millions ?
Les jeunes de la génération Y (prononcez
« why », pourquoi) sont des enfants souhaités, planifiés, attendus
par leurs parents. Ceux-ci leur ont évité des écueils en les prenant en charge et
en résolvant leurs problèmes lorsque leurs choix et actions avaient des
conséquences fâcheuses. Ces jeunes ont eu un agenda rempli, géré par leurs
parents, qui les ont conduits à leurs nombreuses activités avec « Bébé à bord »
sur le pare-brise arrière de la voiture familiale ! Ils tiennent aux études et
à l’accomplissement personnel, et souhaitent poursuivre leurs études post
secondaires en comparaison avec les générations précédentes. Impliqués dans des
activités parascolaires de toutes sortes, ils disposent sans délai de
l’information recherchée, sont connectés, mobiles, multitâches, interdépendants.
Ils s’adaptent à toutes les situations et s’ennuient rapidement. Ils sont
impatients : maintenant, pas dans 5 mn ! Ils posent beaucoup de
questions, d’où le nom de leur génération.
L’éminent expert de Toulouse me
conseille d’aider mon mutant de fils à découvrir ses talents, lui expliquer que
j’ai à cœur son épanouissement, lui trouver un rôle à dans lequel il pourra
mettre ses talents à contribution, en le traitant comme un individu unique qui
a besoin de donner un sens à son engagement. Et si Karl Marx a dit « De chacun selon ses capacités,
à chacun
selon
ses besoins »,
les enfants de la génération Y répliquent « De chacun selon ses capacités,
à chacun selon son plaisir ».
Rien que ça ? Et ce n’est
pas fini ! La génération Z pointe déjà son museau ! Tous ces ados nés
en 1994 et après…
À propos, nos politiques,
c’est quelle génération ?
Rida Lamrini - 25 janvier 2012