mercredi 29 février 2012

Lorsque Casablanca s’éveille


Au milieu de cette place que l’on appelait jadis « Bab el Kebir », j’entends monter des profondeurs de la nuit la voix mélodieuse d’un muezzin qui essaie de tirer les habitants de leurs songes. D’autres appels s’élèvent crescendo des quatre coins de la ville dans un impressionnant concert qui anime le ciel d’une extraordinaire effervescence spirituelle. Venues de partout et de nulle part, des vibrations pénètrent les cœurs et traversent les fibres des fidèles qui se pressent vers les mosquées, heureux de commencer la journée par un envol de quelques minutes vers l’éther céleste.
Je remonte vers la place toute proche où, donnant libre cours à leur génie, les premiers bâtisseurs avaient construit avec harmonie des monuments où sont gérées les affaires de la cité : le palais de justice, la banque centrale, la poste, la wilaya, les services des impôts. Une concentration de beauté architecturale, couplée avec une ouverture spatiale unique.
L’horizon commence à s’illuminer au loin, au bout de la grande avenue Hassan II. Je poursuis ma marche matinale et déambule dans les rues du quartier Gauthier, gisement architectural de l’art déco du début du siècle dernier, traquant odeurs et images, fixant les imperceptibles palpitations d’une société qui ne finit pas de se chercher.
Gauthier donne à ses résidents le sentiment d’y avoir toujours vécu. Même aux nouveaux venus. Symbole de la réussite sociale des premiers habitants de Casablanca, il est l’un des quartiers huppés d’une métropole qui, au Maroc de l’entre-deux-guerres, symbolisait la ville où il était possible de se faire une place au soleil. Un havre de paix distant d’à peine cinq minutes du centre ville, constitué de petites villas et d’hôtels particuliers habités en premier lieu par les français installés au Maroc à l’époque. Quelques années plus tard, les marocains de confession juive qui vivaient à la place de Verdun et au Boulevard de Bordeaux tout proches empruntèrent l’ascenseur social pour rejoindre ces occupants originels. Vers le milieu du siècle, leurs compatriotes musulmans suivirent leur exemple et s’installèrent peu à peu dans les ravissantes demeures du quartier, abandonnées par des propriétaires qui, oubliant leur enracinement séculaire dans cette belle contrée du nord-ouest de l’Afrique, succombaient aux chants des sirènes qui provenaient de France, du Canada ou d’Israël. 
Ce matin, à ma grande détresse, mon regard tombe sur des villas éventrées à chaque coin de rue.  Gauthier subit dans ses entrailles, en silence, les impitoyables attaques de bulldozers insensibles à l’agonie d’un des plus riches patrimoines architecturaux du Maroc. L’endroit hésite entre perdre son âme devant la prolifération d’immeubles sans personnalité, ou s’accrocher à la vie et se forger une vocation nouvelle au sein d’une ville elle-même en quête d’identité, déboussolée par l’ébullition anarchique qui dénature son urbanisme mythique. Je quitte le quartier, mélancolique, le cœur lourd.
Il est sept heures. Le soleil s’est levé. Les chaussées sont envahies par des automobilistes pressés, les trottoirs occupés autant par les piétons que par les marchands ambulants. Les éboueurs s’attaquent vaillamment aux détritus épars et aux saletés multiformes. Les enfants se dépêchent vers leurs écoles. Les livreurs de poissons jaillissent du port vers les quatre coins de la ville. Les cargaisons de fruits et légumes filent en direction des marchés de quartiers. Les klaxons déchirent l’atmosphère. Les agents de l’ordre officient aux carrefours. Les mendiants s’installent devant les pâtisseries. Les magasins lèvent leurs rideaux. Les ouvriers investissent les usines. Les bulldozers des promoteurs reprennent leurs démolitions.
Casablanca s’est éveillée. Toujours aussi tumultueuse. Toujours aussi laborieuse. Chaque jour un peu plus amnésique.

Rida Lamrini - 29 février 2012

mercredi 22 février 2012

Auront-ils la patience d’attendre ?


Sur cette belle avenue de la capitale, je presse le pas vers la gare ferroviaire, impatient de prendre le train pour Casablanca. Devant l’édifice du Parlement, je suis surpris par des jeunes qui, courant en sens contraire, ont failli me renverser. À peine remis de ma stupéfaction, des agents des forces de l’ordre surgissent, lancés à leurs trousses. Je m’écarte de leur chemin et me refugie dans le café adjacent. Ironie de l’histoire, d’autres jeunes leur emboîtent le pas, comme s’ils courraient après les poursuivants ! Triste spectacle de la détresse de la jeunesse.
Dans le train, je parcours les titres de la presse. Des jeunes du mouvement du 20 février manifestent à Béni Mellal. Leur marche se transforme en actes de vandalisme. Taza s’enflamme. Salé n’est pas en reste. Démoralisé, je renonce aux journaux et, dans ce wagon pratiquement vide, m’abandonne à la chaleur de l’après-midi qui s’évanouit lentement dans la douceur du soir tombant.
Une heure et demie plus tard, un taxi me dépose devant chez moi. Pendant que je règle la course, j’entends une sourde clameur. Graduellement, elle monte en intensité, se fait plus proche. Des jeunes, venant du boulevard tout proche, se sont engouffrés dans les ruelles du quartier et courent dans tous les sens. Comme s’ils fuyaient, ils se marchent sur les pieds, et filent les uns derrière les autres vers les quartiers populaires, là où ils résident en majorité. Leur flot semble interminable. Leur âge ne dépasse pas la vingtaine. Les habits dépenaillés, les mines sales, l’air agressif, ils lancent des propos menaçants aux passants qui s’écartent de leur chemin à la recherche d’un abri. Certains jettent des pierres sur les vitrines qui se trouvent sur leur passage. Les commerçants n’ont d’autre choix que de se barricader au fond de leurs magasins et d’attendre la fin de l’orage. Je m’empresse de rentrer chez moi. Un groupe se met à harceler la porte de jets de pierres. Apeurés par la caillasse qui fracasse les vitres, les miens se dépêchent de fermer les volets des fenêtres. De mon balcon, j’aperçois une jeune fille cernée par un groupe aux intentions manifestement malsaines. Deux concierges d’immeubles voisins s’interposent courageusement et libèrent la victime avant que la situation n’empire. Les jeunes se détournent de leur proie et, déchaînés, s’en prennent à une voiture. Certains montent sur le toit de leur nouvelle prise et piétinent le capot du moteur comme dans une danse de guerre, d’autres arrachent les rétroviseurs et rayent la tôle de la carrosserie. Forcé de quitter son véhicule, le conducteur lève les mains vers le ciel, tente de raisonner les jeunes insensibles à ses lamentations. De guerre lasse, il recule et, de loin, se résigne à constater les dégâts.
L’atmosphère est suffocante. Comme si la ville était en proie à une émeute, livrée au pillage. Cela dure de longues, de très longues minutes. Une demi-heure plus tard, le flot commence à se tarir, laissant derrière lui des vitrines défoncées, des glaces brisées, des voitures saccagées, des passants terrorisés. Tout cela, parce que les jeunes n’ont pas aimé l’issue du derby qui a opposé leur équipe favorite de football à sa rivale. Au fil des matchs, Casablanca vomit de ses entrailles des jeunes désœuvrés en nombre incalculable qui, le temps d’une partie de football, tentent d’oublier la dureté de leurs conditions. Advenant que leur équipe morde la poussière devant son adversaire pour qu’aussitôt ils déversent leur colère sur un monde qui les a oubliés, prennent leur revanche sur une société qui n’a rien prévu pour eux, et démolissent les signes d’une richesse qui, après leur avoir été refusée à la naissance, leur devient irrémédiablement inaccessible au fil du temps.
Simples hooligans, oserais-je dire, ou jeunes désespérés, combien sont-ils dans ces conditions ? Les chiffres donnent le tournis. Deux cent mille arrivent chaque année sur le marché du travail. Seuls cent mille sont casés. La moitié de la population est jeune. Aux alentours de 25 ans. Le pays bat des records de chômage. Peu importe les raisons. Seule compte la solution. Qui va régler ce problème ? Comment ? Par quel moyen ? Dans quel délai ? Les jeunes auront-ils la patience d’attendre ? Vaste programme, comme dirait le Général De Gaulle.
En attendant, je prie pour un miracle.
Et les miracles sont à la portée des bonnes volontés.

Rida Lamrini - 21 février 2012

mercredi 15 février 2012

Ma civilisation… ta civilisation… notre civilisation



« Les civilisations ne se valent pas ». Conclusion de sociologues ? Vérité d’anthropologues ? Ni l’un ni l’autre. Simple affirmation péremptoire d’un homme politique en mal de voix, semble-t-il, à la veille d’élections décisives pour son parti. Ma première réaction est celle des sportifs de haut niveau lorsqu’ils se trouvent devant des difficultés : revenir aux basics ! Je plonge donc dans mon dictionnaire Larousse qui me dit à l’article « civilisation »: ensemble des caractères propres à la vie intellectuelle, artistique, morale, sociale et matérielle d'un pays ou d'une société.
Notre personnage politique considère donc que les caractères propres à sa civilisation, l’occidentale en l’occurrence, lui confèrent sinon une supériorité, du moins une avance sur les autres. Lesquelles ? Il n’a pas précisé. Le Bon Dieu reconnaîtra les siens. Il y a des chances pour que vous et moi fassions partie des celles qui n’ont pas grâce aux yeux de notre homme politique. J’en suis bien aise, figurez-vous, heureux de ne pas appartenir à la civilisation qui a bâti une part de sa prospérité sur la colonisation. Je suis enchanté de ne pas avoir d’affiliation avec ceux qui ont déclenché deux guerres mondiales, causé la disparition de millions de vies, et conçu des techniques d’extermination massive de leurs semblables, laissant une tache noire sur le front de l’humanité. Et quelle valeur attacher à une civilisation peu soucieuse de préserver l’environnement et les ressources naturelles ?
Et si une civilisation est définie par l’ensemble des caractères propres à la vie d'une société, cela voudrait-il dire que celle de notre homme politique aurait inventé, conçu, établi, créé tous ces caractères, sans intégrer les acquis d’autres civilisations, tant celles-ci sont redevables les unes aux autres ? La sienne ne doit-elle donc rien à Socrate, Aristote, Platon, dont les pensées ont été transmises à l’humanité par certains arabes ? Lesquels arabes, eux-mêmes enrichis notamment par les patrimoines culturels perses et hindous, ont véhiculé le vulgaire zéro dont personne ne veut, sauf lorsqu’il figure derrière un autre chiffre sur un chèque, surtout en quantité ! « La » civilisation de notre homme politique, qui a quant à elle tant donné au monde  au plan des droits de l’homme, de la pensée politique, de la science et de la culture, serait-elle sans relation avec les cultures des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique ! Sait-il au moins qu’à l’époque où l’Europe peinait à sortir des limbes de l’obscurité, une horloge hydraulique fut offerte en 807 à Charlemagne par l'ambassadeur du calife Haroun el Rachid ? Et que dire des apports d’Ibn Sina à la médecine et d’Ibn Rochd à la philosophie ?
Et si les civilisations, tels des sédiments, n’étaient en fin de compte qu’une suite de dépôts intellectuels, artistiques, moraux, sociaux et matériels qui, au fil du temps enrichissent tour à tour le patrimoine humain universel, et, telle toute innovation, cessent d’appartenir à leur auteur la minute même de leur création pour se féconder les uns les autres ? Notre homme politique sait-il à quel point il est redevable à l’autre, celui-là même dont la civilisation lui semble, disons-le sans ambages, inférieure ?
Ne devrait-il pas méditer cette citation d’Anatole France « Ce que les hommes appellent "civilisation", c'est l'état actuel des mœurs, et ce qu'ils appellent "barbarie", ce sont les états antérieurs. » Pour ma part, je fais mienne cette définition d’Émile Durkheim, le fondateur de la sociologie moderne : « Toute civilisation (...) prend, à l'intérieur de chaque peuple, de chaque État, des caractères particuliers. Mais les éléments les plus essentiels qui la constituent ne sont la chose ni d'un État, ni d'un peuple. Ils débordent les frontières, soit qu'ils se répandent, à partir des foyers déterminés par une puissance d'expansion qui leur est propre, soit qu'ils résultent des rapports qui s'établissent entre sociétés différentes et soient leur œuvre commune (...) La civilisation est (...) une sorte de milieu moral englobant un certain nombre de nations, chaque culture nationale n'étant qu'une forme particulière du tout. »
Et quand bien même l’humanité s’estimerait avancée dans sa quête de l’idéal de civilisation, ne devrait-elle pas garder en tête cette réflexion du Comte de Rivarol : « Les peuples les plus civilisés sont aussi voisins de la barbarie que le fer le plus poli l'est de la rouille » ? 

Rida Lamrini - 15 février 2012

mercredi 8 février 2012

Maman… pourquoi est-ce qu’on écrit ?


– Dis maman, pourquoi est-ce qu’on écrit ?
L’enfant a posé la question d’une voix traînante, juste au moment où sa mère a fini la lecture d’un des contes de Perrault, comme celle-ci a l’habitude de le faire chaque soir lorsqu’elle met sa fille de huit ans au lit. L’enfant peine à garder les yeux ouverts. Elle lutte pour rester éveillée, le temps d’avoir sa réponse. Sa maman la regarde longuement. Plus que par la question, elle est surprise par le moment choisi par sa fille pour la poser. Elle réfléchit longuement, ne sait que dire. Elle oscille entre la jubilation et l’embarras devant l’interpellation de sa fille. Mais que répondre donc à une question inattendue, quand de surcroît elle émane d’une enfant ? Au bout d’un moment, elle se tourne vers sa fille. Celle-ci a déjà sombré dans un sommeil profond. La maman remonte les draps et la borde avec d’infinies précautions. Elle dépose un baiser sur sa joue et, le cœur vibrant de tendresse, se lève et s’éloigne du lit. Arrivée au pas de porte, elle s’immobilise, ne pouvant détacher son regard de sa fille. Finalement, elle éteint la lumière, ferme la porte et s’enferme dans son bureau. Elle allume son ordinateur et laisse ses doigts parcourir les touches du clavier :
« Écrire. Écrire pour soi. Écrire pour se retrouver en soi. Pour fixer le vécu. Peindre le rêve. Donner corps à une impression fugitive. Par des mots, par des phrases, faire vivre l’instant fugace, empêcher que le moment éphémère ne s’évanouisse dans l’oubli des hommes.
Écrire pour libérer des sentiments trop longtemps contenus. Coucher sur la feuille blanche d’indicibles sensations, pour les retenir à jamais. Donner libre cours à des émotions évanescentes, pour les partager. Avec des lettres, donner une âme à une pensée, une idée, une fragrance. Puis, telles des fleurs que l’on disperse en mer, les confier au gré des vents littéraires.
Écrire pour revisiter l’évidence, remodeler le réel. À travers l’agencement de phrases, en renvoyer l’image revue et corrigée à des yeux qui la découvriraient comme pour la première fois.
Fouiller dans le tréfonds de soi-même, s’aventurer dans les abysses du quotidien, et cueillir l’insignifiant enfoui dans le vécu de âmes ordinaires. Écrire dans la sérénité intime, ou dans la frénésie des êtres, pour tendre la main, pénétrer l’univers de l’autre et lui dédier un monde refait avec nos yeux, retouché par notre pensée, nourri de nos espérances. »
Elle quitte des yeux l’écran d’ordinateur. Le regard perdu dans le vague, elle entend sa respiration dans le calme de la nuit. Comme si elle reprenait son souffle. Elle revient à son clavier et poursuit :
« Puiser dans l’exubérance d’une vie, butiner dans le vécu humain et interpeller le constituant identitaire. Avec les mots des uns, les lettres des autres, mais avec le patrimoine de l’humanité, proposer une vision, soumettre une réflexion, inviter à une remise en question.
Écrire pour exorciser, écrire pour se libérer, écrire pour donner, écrire pour s’offrir, écrire pour dénoncer, écrire pour partager, écrire pour convaincre, écrire pour étancher sa soif de savoir, écrire et encore écrire… jusqu’à en perdre la raison… et se fondre dans la création scripturale universelle.
 Écrire à petites touches de plume, ou noircir la page à grands traits de pinceau, pour peindre l’histoire commune dans une profusion de couleurs, et enchâsser la fresque contre le grand mur de la vie où viendraient se refléter les âmes à la recherche de leur identité.
Et si, au bout des inévitables tribulations qui parsèment le cheminement des êtres sur cette terre, il ne restait qu’une dernière volonté, alors de grâce, de quoi écrire pour, peut-être, enfin assouvir l’inextinguible quête de vérité, l’insatiable appétit de communiquer. »
Elle a tapé le texte d’une traite, comme s’il lui fallait donner libre cours à un flot longtemps contenu au fond d’elle-même. Elle le relit, n’y change pas une lettre. Elle imprime le document, puis repart vers la chambre de son enfant. Elle dépose la feuille près de son chevet, l’embrasse de nouveau et se retire sans bruit.
Étendue dans son lit, grisée par une étrange émotion, elle s’adresse à sa fille en son for intérieur : « Merci mon enfant. J’ai tant appris ce soir grâce à ta question. »

Rida Lamrini - 08 février 2012

mercredi 1 février 2012

Prière d’un matin


La salle est pleine à craquer. Combien sont-ils ? Dix-mille ? Quinze mille ? Tous impatients de voir l’orateur. Celui-ci finit par émerger sur l’immense estrade, marque un temps d’arrêt, puis salue longuement l’audience. Il se dirige vers le pupitre et entame son discours :
« Je suis venu vous parler du Maroc. Du Maroc qui souffre, mais aussi du Maroc qui espère, du Maroc que nous allons construire. Devant vous, je ressens une profonde émotion, celle d’exprimer votre conviction, votre volonté, votre espérance. J’ai conscience de la tâche qui est la mienne : redonner confiance au Maroc, changer le destin de notre pays. Je suis prêt à assumer cette responsabilité et à vous dire quelle est ma conception de Chef de gouvernement. »
Les applaudissements éclatent. Il poursuit crescendo :
« Gouverner, c’est se dévouer à l’intérêt général, dont toute décision doit procéder. Gouverner, c’est préserver l’État, sa neutralité, son intégrité, face aux puissances d’argent, face aux clientèles. Gouverner, c’est refuser que tout procède d’un seul raisonnement, d’un seul parti qui risque de devenir un clan. Gouverner, c’est élargir les droits du Parlement. C’est reconnaître les collectivités locales dans leur liberté. C’est promouvoir les partenaires sociaux. C’est faire participer les citoyens aux grands débats qui les concernent. »
L’assistance est conquise. Debout, ils applaudissent à tout rompre ce leader venu de nulle part.
« Gouverner, c’est démocratiser les institutions. J’introduirai le non-cumul des mandats pour les Parlementaires et la parité dans l’exercice des responsabilités. Gouverner, c’est faire respecter la loi pour tous, partout, sans faveur pour les proches, sans faiblesse pour les puissants, en garantissant l’indépendance de la justice, en écartant toute intervention sur les affaires, en préservant la liberté de la presse. Gouverner, c’est être impitoyable à l’égard de la corruption. Gouverner, c’est rassembler, réconcilier, unir. Gouverner, c’est ne jamais transiger avec les fondements du génie marocain, qui sont l’esprit de liberté, les droits de l’homme, la diversité culturelle. Gouverner enfin, c’est donner le meilleur de soi-même, sans attendre en retour ni récompense, ni reconnaissance. C’est être ambitieux pour son pays et humble pour soi-même. C’est se donner pleinement à la cause choisie, la seule qui vaille : servir le Maroc. Gouverner, c’est mettre l’État au service des citoyens. »
Emporté par les envolées lyriques de l’orateur, je suis subjugué. Je vibre sous le coup de l’émotion. Je ressens le discours dans mes tripes. L’homme politique poursuit d’un ton enflammé :
« Nous irons ensemble vers le Maroc de demain ! Un Maroc du travail, du mérite, de l’effort, de l’initiative, de l’entreprise, où le droit de chacun s’appuie sur l’égalité de tous. Un Maroc de la justice, où l’argent sera remis à sa place, celle d’un serviteur et non d’un maître. Un Maroc de la solidarité, où aucun des enfants de la Nation ne sera laissé de côté. Un Maroc du civisme, où chacun demande non pas ce que le Maroc peut faire pour lui, mais ce que lui peut faire pour le Maroc ! Un Maroc de l’exemple, où le pays se retrouve dans ce qui l’élève, le réunit, le dépasse, un Maroc de la confiance où toutes les forces qui le constituent se mobilisent pour l’avenir ! ».
Je sens un souffle sur ma joue. Quelqu’un m’embrasse.
– Papa, je pars à l’école. Passe une bonne journée.
J’ouvre les yeux. Comme à son habitude chaque matin, mon fils est venu me saluer dans mon lit avant de s’en aller au lycée. Je le vois s’éloigner, son sac d’école sur le dos. Je me frotte les yeux. Le réveil indique sept heures. Un sentiment étrange m’anime. Cette nuit, j’ai revécu l’admiration ressentie la veille en écoutant le discours de ce célèbre prétendant d’outre-mer à conduire le gouvernement de son pays… transposée au mien ! Ce matin, encore sous l’effet de son éloquence et de sa sincérité, je suis rudement ramené de l’exaltation de mon rêve à la platitude de la réalité par la lumière qui inonde ma chambre.
Puisse votre monde être peuplé d’âmes de la trempe de celle dont j’ai rêvé, prié-je en mon for intérieur, en songeant à mon fils et aux générations futures.

Rida Lamrini - 1er février 2012