jeudi 18 avril 2019

L'indéchiffrable rêve


Le néant. Le noir total. Le silence absolu. Rien n’existe. Juste le vide sidéral. L’abysse infini. L’inertie immuable. Soudain… un éclair aveuglant. Un trait de lumière jailli de nulle part, vite fondu dans l’obscurité. Un hurlement déchire l’atmosphère. Un cri strident crève le calme : lève-toi ! Puis le retour au néant. Le plongeon dans l’abîme cosmique.
Saisi d’une frayeur intense, il ouvre brusquement les yeux, émerge du vide astral, découvre la terreur… la mort ! Allongé dans un lit suspendu au milieu d'une ténébreuse immensité, il aperçoit au-dessus de lui la silhouette d’un homme vêtu d’un élégant costume noir, porté sur une chemise d’un blanc immaculé, nouée avec une cravate noire. Il le regarde avec des yeux perçants, les mains croisées devant lui sur un poignard. Il va le tuer. Il ne peut se dérober à son sort, n’a aucune échappatoire. Le tueur accomplira fatalement sa macabre besogne. Combien lui reste-il à vivre ? Quelques minutes ? Il n’a jamais pensé qu’il mourrait sous les mains d’un assassin. Une mort annoncée, inéluctable, sans possibilité de lui échapper. Nulle part où s’enfuir. Nul endroit où se cacher. Il ne peut qu’attendre… que la vie lui soit ôtée. Sa fin est arrivée. Il a toujours pensé que son terme viendrait très tard, qu’il mourrait dans son lit, entouré d’êtres bien-aimés, après leur avoir fait ses adieux. Avec ce tueur au-dessus de sa tête, il n’a pas le temps d’arranger ses affaires pour un départ ordonné. Paralysé par une peur violente, il respire difficilement, suffoque. Dans sa terreur, il cherche comment échapper au tueur. Il n’a pas le temps de réfléchir, de planifier, d’exécuter un plan quelconque.
Soudain, comme poussé par un puissant ressort, Rayan se redresse violemment, pousse un cri d’épouvante, se retrouve assis dans son lit d’hôtel, hors d’haleine, les yeux effarés, la respiration saccadée. Il allume la lampe de chevet, peine à passer de la frayeur du cauchemar à la quiétude de sa chambre. Aurait-on entendu son cri ? Assis, il s'efforce de retrouver son souffle, reprendre contrôle de ses sens. Revenant peu à peu à lui, il essaie de comprendre le sens du cauchemar. Las, agacé par une légère migraine, il renonce à lui trouver une quelconque signification.
Un pâle rai de lumière s’est faufilé entre les rideaux, sans réussir à dissiper l’obscurité de la pièce. Perturbé, il décide de se prélasser dans le lit, se laisser bercer par la radio et son flot d’informations matinales. Il a besoin de décompresser, profiter de son bref séjour à Paris, prendre du temps avec ses enfants, se libérer de l’angoisse qui le taraude lorsqu’il pense au mal insidieux qui mine son foyer, distend ses membres et pousse ses enfants à s’éloigner du nid familial, et lui à leur courir derrière.


Rida Lamrini

Extrait de "Tant que je peux te dire... je t'aime"

Bouznika 18 avril 2019

mardi 9 avril 2019

Les flammes de l'amour


Elle a hésité longtemps avant de se décider à monter cet escalier qui semble sans fin. Il l’a saisie par la taille et l’entraîne avec lui. Elle ne se rappelle pas s’être aventurée ainsi avec un homme auparavant. Peut-être parce qu’aucun autre avant lui ne lui avait donné envie de le suivre, de s’abandonner au point de l’accompagner chez lui. A-t-il su comment lui parler ? A-t-elle été séduite par ses avances ? Serait-il l’homme qu’elle cherche ? Elle n’en sait rien, ne se rappelle pas où ils se sont rencontrés, ni quand. Dans la pénombre de l’escalier, elle ne voit pas son visage, ne se souvient plus de ses traits. Tout juste sait-elle qu’il lui plaît, qu’elle veut se donner à lui.
La longue montée ne semble pas près de se terminer. Tout est devenu sombre. Elle s’enfonce peu à peu dans un univers noir. Elle finit par ouvrir les yeux. La chambre est légèrement éclairée. Elle est étendue dans son lit, serrée contre lui. Comment a-t-elle fini dans cette situation ? Elle ne cherche pas à comprendre. Elle attendait depuis longtemps d’être dans les bras d’un homme. Pas n’importe quel homme. Son homme. Celui qui lui a redonné le goût d’avoir envie. Elle est heureuse d’être avec cet homme.
Ses mains enflamment son corps. Ses caresses insufflent la vie dans ses artères. Ses étreintes, vagues puissantes, l’emportent dans les remous d’une enivrante sensualité. Ses baisers la brûlent et font fondre ses dernières résistances. Tendres et ardents, ils font suinter l’amour de chacune de ses pores. Ses sens sont portés à incandescence. Elle ne se maîtrise plus, ne veut plus rien contrôler. Elle est haletante. Elle s’est offerte. Elle est à lui. Elle l’attend. Rien n’existe plus. Rien n’a d’importance. Elle est une offrande sur l’autel de l’amour. Elle est entre les mains de Chedsounéfertoum, grand prêtre de Ptah, accomplissant le rite sacré du temple de l’antique Memphis d’Égypte. Elle est prête pour le sacrifice final.
Une onde irradie de son tréfonds, affleure sous sa peau, déferle dans ses veines, se propage le long de ses membres, s’évanouit dans les courbures de son corps. Son être s’élève dans les volutes éthérées de l’amour, frappe aux portes de l’empyrée, se fond dans l’élément igné de la sphère céleste.
Brûlée, consumée, heureuse, elle redescend lentement vers l’ennuyeuse banalité du monde terrestre, lorsque… un corps se glisse dans son lit, se pelotonne dans son dos et se blottit contre elle. Elle reconnaît les mains de sa fille, se retourne et la serre contre elle. Elle jette un coup d’œil à son téléphone portable, il est six heures du matin.


Rida Lamrini

Extrait de "Tant que je peux te dire... je t'aime"

Bouznika 9 avril 2019