mercredi 25 juin 2014

La politique… en deux mots !


Voilà deux ans, mon ami Jalal, plus connu comme Ba Jalloul, m’a aidé à me faire une religion sur la politique lors de l’avènement d’un nouveau gouvernement. La cinquantaine bien conservée, la mise soignée, un chapeau noir sur des cheveux cendrés, flanqué de deux pékinoises, il puise ses convictions dans la vraie vie et se nourrit du bon sens populaire. Il m’avait dit à l’époque que le pays irait mieux. Le Premier ministre avait les coudées franches pour former son équipe. Ces gars-là n’ont pas l’expérience du pouvoir mais, avait-il ajouté, ils ont des idées, et surtout la volonté !
Depuis, les sujets d’inquiétude ont continué à s’amonceler : économie, enseignement, santé, pouvoir d’achat, pauvreté, chômage des jeunes, etc. Maigre consolation, ce n’est pas mieux ailleurs. Nul pays n’y échappe. Mais qu’importe, j’ai besoin de comprendre ce qui se passe dernièrement en politique. Ba Jalloul m’aidera sûrement à y voir plus clair une fois de plus. Je le rejoins à son café habituel. Par chance, il est seul, au milieu de ses journaux. Je me dépêche de m’asseoir près de lui, décidé à profiter de ce moment rare.
– Dis-moi Ba Jalloul, la politique, c’est quoi en deux mots, lui demandé-je tout de go.
– Tu veux t’y lancer ? me demande-t-il.
– J’en ai l’air ? Je cherche seulement à comprendre la logique qui anime ce monde particulier.
Il prend une longue inspiration, pose son journal, me regarde longuement, puis dit :
– « La politique est le seul métier qui se passe d’apprentissage, sans doute parce que les fautes en sont supportées par d’autres que par ceux qui les ont commises ».
– On dirait une citation. Elle est de toi ?
– C’est effectivement une citation ! Elle est d’Achille Tournier.
– Qui c’est ?
– Un écrivain français du 19ème siècle. Regarde, chez nous chaque élection a suscité des espoirs, surtout lorsqu’elles amenaient des hommes nouveaux. Ne voyant pas de changement, les citoyens se sont progressivement désintéressés de la politique. Surtout lorsqu’ils voient de nombreuses têtes toujours là, malgré leurs échecs successifs.
Je ne réagis pas. Je suis resté sur ma faim. Comme s’il avait deviné ma pensée, il poursuit :
– Écoute, prends une société commerciale, elle a besoin de recruter du personnel pour tourner.  En politique pareil. On recrute des édiles pour gérer nos villes, des députés pour légiférer, des ministres pour gouverner le pays. La différence, l’erreur de casting d’une société engage ses actionnaires. Si elle fait faillite, ils en sont pour leur argent. Pour un pays, l’enjeu c’est le destin de la nation, le bien-être des citoyens, l’avenir des générations futures. Pourtant, en cas d’erreur, on ne sanctionne personne ! Les fautes sont supportées par d’autres que par leurs auteurs. 
– Si j’ai bien compris, il faut exiger un diplôme de Sciences Po de tout candidat politique ?
– Ne déforme pas mes propos, rétorque Ba Jalloul. Tu t’imagines bien que c’est plus complexe que ça ! J’ai forcé le trait pour être bref. Ceci dit, l’histoire regorge d’hommes sans formation qui ont fait évoluer leur monde. N’empêche, il faut être exigeant à l’égard de nos politiques.
– Tout à fait d’accord. Les compétences sont le premier mot. Mais… admettons qu’on puisse les acquérir dans les universités, quoique je ne vois pas le pays gouverné uniquement par des énarques. Mais les valeurs, où et comment les acquérir ? Tu ne penses pas que c’est le deuxième mot ?
Ba Jalloul reste coi. Il replonge dans ses journaux et se désintéresse de la conversation.

Mais pourquoi donc mes entretiens avec Ba Jalloul me laissent toujours plus perplexe qu’avant… avec une tonne de questions supplémentaires… et une migraine en plus ?

Rida Lamrini - 25 juin 2014

mercredi 18 juin 2014

Le temps d’une Coupe


Mon téléphone portable sonne. Je réponds.
– Allo, désolé, je vais devoir reporter notre rendez-vous à plus tard.
– Ah bon ? Tu as un empêchement de dernière minute ? Rien de grave j’espère !
– Non, juste que je viens de réaliser que ça coïncide avec le match de la Coupe du Monde. Tu ne m’en veux pas j’espère !
– … ?
Je fulmine contre mon ami Hamid, mais ne laisse rien transpirer. Il va falloir que je change tous mes plans pour le reste de la journée. Dire que je m’étais organisé pour mettre la touche finale à ce projet commun qui nous tient à cœur.
J’appelle mon collaborateur. Le téléphone sonne plusieurs fois. D’habitude, il répond sans tarder. Je laisse tomber. Il finira par rappeler.
J’appelle mon épouse.
– Tu as récupéré les enfants ?
– Oui, mais on va tarder.
– Vous êtes où ?
– Chez ta sœur. Les enfants veulent voir le match de football avec leurs cousins.
– Ils peuvent le voir à la maison…
– Oui, mais tu sais bien, tu n’aimes pas le football. Ils préfèrent rester avec leurs cousins pour l’ambiance. Tu comprends…
– … ?
Le reste de ma journée est chamboulé. Je quitte le bureau, un peu perdu. Direction chez moi.
Dehors, j’ai une drôle de sensation. La rue me semble inhabituelle, comme… moins encombrée… un peu plus calme. Pourtant, ce n’est pas la période des vacances scolaires où les gens prennent la clé des champs avec leurs enfants. Bof, je ne comprendrais jamais rien aux habitudes des citadins. Je décide de rentrer à pied. C’est tellement rare de voir des trottoirs aussi dégagés.
En cours de chemin, je pense à mon ami Ba Jalloul. L’envie me prend de lui rendre visite à son café habituel. Il y a longtemps que nous ne nous sommes pas vus. Cela me changera les idées. J’apprendrai sûrement des choses nouvelles. Sur la politique, ou les affaires, peu importe. Ba Jalloul a ce chic de vous parler de qui parvient rarement aux rédactions des journaux.
J’approche du café. J’aperçois un spectacle inhabituel. Les chaises et les tables occupent la totalité du trottoir. Toutes orientées dans le même sens, vers l’intérieur de l’établissement. Le dos tourné à la rue, leurs occupants sont scotchés à un écran de télévision. Comme s’ils étaient dans une salle de spectacle. Soudain, ils se lèvent tous comme un seul homme. Leur clameur ébranle le quartier. Des jurons pleuvent sur le bougre qui a raté son tir si près du but.
Je parviens au café. Je cherche Ba Jalloul des yeux. J’ai du mal à le repérer. L’endroit est bondé. Les tables serrées. Les clients, un œil sur l’écran, les mains tournoyant dans l’air, sont lancés dans des discussions enflammées et des analyses savantes sur les choix des sélectionneurs, la magie du dribble de tel joueur, la bêtise de la passe de tel autre, l’incompétence manifeste de l’arbitre. Bref, ils sont dans un monde à part.
Je finis par apercevoir Ba Jalloul. Curieusement, il ne regarde pas la télévision. Il est plongé dans son journal. Il est là, mais sans être là. Il est dans son univers, indifférent à celui qui l’entoure.
Je renonce à le voir, incapable de me frayer un chemin jusqu’à lui. Je poursuis ma marche vers chez moi. Je comprends maintenant pourquoi les rues sont si calmes. À part une clameur qui vient de nouveau de s’élever du café de Ba Jalloul.
J’arrive chez moi. Au moment où je sors la clé pour ouvrir la porte de la maison, je reçois un sms.
« Désolé, je viens de voir votre appel en absence. Je regardais le match ».
Je comprends que le match s’est enfin terminé ! Mon collaborateur vient de revenir sur terre. Les enfants vont bientôt rentrer à la maison. Mon ami Hamid me rappellera sûrement pour fixer un autre rendez-vous. Je reverrais Ba Jalloul une autre fois.
La vie reprend ses droits. Jusqu’au prochain match. Jusqu’à la fin de la Coupe du Monde.

 Rida Lamrini - 18 juin 2014


                                                                                                                                             

mercredi 11 juin 2014

Balade d'un roi


L’on dit que les peuples ont la mémoire courte. Pourtant, le 17 décembre 2010 marquera à jamais celle de la nation arabe. Ce jour-là, un jeune marchand ambulant de Sidi Bouzid en Tunisie, humilié, écœuré par la énième saisie de son outil de travail, une charrette et une balance, s’immola de désespoir, puis s’éteignit le 4 janvier 2011.
Par son geste inouï, il déclencha une puissante lame de fond à laquelle peu de dictateurs de l’époque résistèrent. Qui aurait imaginé la fuite précipitée de Ben Ali, la chute déshonorante de Moubarak ou la mort abjecte de Khaddafi ? Qui s’attendait à voir les peuples arabes, bâillonnés pendant des décennies par d’intraitables régimes autoritaires, finir par secouer la chape de plomb qui les empêchaient de vivre.
Reconnaissant en l’acte désespéré de Bouazizi le signe du destin, le peuple tunisien descendit sans hésiter dans la rue et chassa le dictateur, effaçant du coup l’odieuse image de l’Arabe voué à ne choisir qu’entre extrémisme religieux et dictature laïque. Pour cela, et pour les émules auxquels il a donné naissance, toute une nation au sud et à l’est de la Méditerranée est profondément reconnaissante au peuple tunisien.
Allant plus loin, les enfants laïcs et religieux du berceau du soubresaut arabe ont su préserver leur vivre ensemble, et évité de basculer dans le chaos, en se dotant d’une constitution progressiste. Dans un savant mélange de laïcité et d’«islamité», ils ont jeté avec intelligence les fondements d’un État modèle pour les pays qui se débattent encore dans les turbulences de la révolution du jasmin.
Aujourd’hui, la rive méridionale de la Méditerranée continue de frémir, dans l’attente d’une décantation salutaire, avant que les idéaux de ses peuples ne se dissolvent dans les désillusions de l’Histoire, et que les dérives post-révolution ne donnent raison à Louis Latzarus[1] : « Toute révolution est commencée par des idéalistes, poursuivie par des démolisseurs et achevée par un tyran. »
Bien des incertitudes planent sur la région. De sombres nuages plombent des ciels qui résonnent encore des slogans de révolutionnaires armés de leur foi et de leurs idéaux. En Tunisie, plusieurs éléments font redouter une montée en puissance du terrorisme qui placerait le pays dans la sphère de turbulence géopolitique régionale. Ainsi en est-il du lynchage de Lotfi Nagdh, des attentats de Sousse et de Monastir qui visent à tarir les flux touristiques, de l’attaque de l’Ambassade des États-Unis, des attentats visant les forces de sécurité et des attaques ciblant l’armée nationale, du pourrissement d’un foyer terroriste au Mont Chambi et le long de la frontière algérienne, des faux barrages à Jendouba dans un remake des modes opératoires algériens, des événements de Raoued, etc.
Résultat, trois années après la révolution du Jasmin, les touristes se font toujours désirer. De 7 millions qui avaient séjourné durant la dernière année du régime de Ben Ali, ils ne sont plus que 4,45 millions aujourd’hui.
C’est justement dans ce contexte incertain qu’un homme a choisi de partager le quotidien de ses habitants, si tant est que sa charge puisse le lui permettre.
Ignorant tout protocole, faisant fi des simples précautions de sécurité, en jeans et chemise d’été, il se promène à pied dans la mythique avenue Bourguiba, déambule dans les souks ombragés, se mêle à la foule de passants abasourdis, se laisse prendre en photos par des tunisois ébahis.
Ce faisant, l’homme proclame avec éloquence à la face du monde sa foi dans une Tunisie éprise de paix, de liberté et de progrès, et affiche son engagement pour un Maghreb porté par les aspirations de peuples qui ont tant pâti de dirigeants en décalage avec leurs aspirations profondes, fossilisés à jamais dans les reliques de l’histoire tourmentée du siècle dernier.
En se moulant en toute simplicité dans le quotidien de milliers de tunisiens, en phase avec son siècle, en résonnance avec les aspirations des peuples du sud de la grande mare bleue et d’Afrique, en harmonie avec un idéal maghrébin longtemps contrarié, cet homme est en train d’insuffler espoir à des peuples éprouvés par la myopie de leurs dirigeants, d’influer le cours des événements vers les aspirations des générations de ce siècle.
La balade de cet homme dans les rues de Tunis n’est pas un événement anodin, et encore moins une information pour magazine People.
Elle est celle d’un homme en train de marquer l’Histoire de son empreinte de leader engagé.
Cet homme est le Roi du Maroc.

Rida Lamrini - 11 juin 2014

                                                                                                                                            



[1] Louis Latzarus, journaliste et écrivain français, né en 1878 et mort le 1er janvier 1942. 

mercredi 4 juin 2014

Botswana !


Imaginez un pays sans relief, comme une espèce de plateau de près de 600.000 km2 de superficie, parsemé de vallons, sans d’accès à la mer. Un désert de collines rocailleuses, de marais salants secs et de buissons broussailleux occupe de surcroît près de 70 % du territoire. Il porte le fameux nom de Kalahari. Le pays est bordé au sud par l’Afrique du Sud, à l’ouest par la Namibie, au nord par la Zambie et le Zimbabwe. Enclavée, son économie est étroitement liée à celle du voisin sud-africain, dominée pour moitié par les services et l’autre moitié par les mines.
Vous l’avez compris, je parle du Bostwana.
Pourquoi je vous en parle aujourd’hui ?
Autrefois protectorat britannique, ce pays d’Afrique australe  devint indépendant le 30 septembre 1966, avec Gaborone pour capitale. Classé parmi les vingt-cinq pays les plus pauvres de la terre à l’époque, il passe aujourd’hui pour un modèle de réussite économique, et se classe régulièrement parmi les plus prospères du continent africain. Pouvez-vous imaginer que ce pays, au bas de l’échelle en 1966, n’a pas cessé d’afficher entre 1970 et 2000, une croissance annuelle moyenne de près de 9% ! Comment a-t-il réussi ce miracle ?
C’est simple, une question de gouvernance.
Au plan politique, le Botswana est une république qui mixe le régime présidentiel à la démocratie représentative, dans lequel le président est à la fois chef d’État et chef du gouvernement. Curieusement, si l’exécutif est l’apanage du gouvernement, le législatif est exercé à la fois par le gouvernement et par le parlement. Le pouvoir judiciaire quant à lui est totalement indépendant de l’exécutif et du législatif. Bâtie sur un système multipartite, la vie politique reste cependant dominée depuis l’indépendance par le Botswana Democratic Party.
Ce système politique équilibré opère avec une administration stable, expérimentée, peu sensible à la corruption.
Au plan économique, le Bostwana est dotée par la nature d’un sous-sol riche en diamants qui le classe au rang de troisième producteur mondial, en minéraux (cuivre, nickel), en charbon et en pétrole. Mais, contrairement à bien des pays que leurs ressources naturelles ont, par une implacable malédiction, condamné à être à la traîne des économies mondiales, empêtrés dans les cloaques glauques de la corruption et gangrenés par les turpitudes d’une incontrôlable gabegie, le Bostwana a échappé à ce mauvais sort en optant dès le départ pour une gestion prudente et une politique avisée.
En effet, il est régulièrement classé au premier rang des pays africains en matière de gouvernance et de transparence (30ème sur 174 pays selon l’Indice 2012 de la perception de la corruption de Transparency International). Son taux de transparence est de 6,1 en 2011 (5,4 en 2007) sur une échelle de 10, faisant de lui de très loin le moins corrompu du continent africain, à faire pâlir d’envie bien des pays donneurs de leçons à un tiers monde malade de ses régimes politiques et souffrant de ses systèmes économiques, et à faire rougir de honte les concepteurs de campagnes à deux sous, qui prétendent mettre en garde la population contre la corruption par le biais d’affichettes collées sur les murs d’administrations pourries jusqu’à l’os !
Si l’on est à la recherche de la recette miracle pour une économie performante et une répartition équitable des richesses, l’on trouvera en le Bostwana offre un cas d’école qui laisse rêveur.

Ce petit pays d’Afrique australe, sans accès à la mer, démontre qu’il n’y a pas de malédiction inexorable. Il y a juste aux commandes de la gestion du pays soit des hommes véreux et incapables, soit des âmes bien nées auxquelles rien n’est impossible.                                           

Rida Lamrini - 04 juin 2014