jeudi 16 octobre 2014

Le monde n'est pas facile à croquer... dans une chronique, l'ouvrage

Les chroniques de l'année 2012 viennent d'être publiées dans l'ouvrage : Le monde n'est pas facile à croquer... dans une chronique. Il peut être trouvé dans toutes les bonnes librairies. Comme il peut être commandé directement auprès de l'auteur : rlamrini@gmail.com.
À l’origine, le quotidien Aujourd’hui le Maroc invita l’auteur à tenir une chronique chaque mercredi sur ses colonnes. Or, si un roman s’écrit autour d’une fiction, sans contrainte de temps, une chronique exige un sujet nouveau à chaque fois, en un espace limité. L’exercice se complique par une posture en retrait de l’actualité, et un regard décalé sur nous-mêmes, notre société, nos politiques, notre monde.
Bien souvent, l’auteur resta figé devant l’écran noir. Des fois la chronique résulta d’une inspiration : Les clés du bonheur, d’un coup de cœur : L’héritage des géants, d’une émotion : Et puis vint ton tour de partir, d’un vécu : Les lutins du bonheur, d’un personnage : Mon coiffeur, d’une rencontre : Mon chauffeur de taxi.
Les bizarreries de la vie ont dicté Exister… mais sur papiers, ou Tribulations d’un cycliste en ville. Un trop plein d’émotion  déclencha : Quand il ne reste qu’un seul mot. L’état du monde inspira Illisibles incertitudes. Du doute a surgi M’as-tu vraiment aimée un jour ? Semaine après semaine, les chroniques se sont enfilées pour former Le chapelet de jours

Ce recueil est une incursion dans l’univers du chroniqueur qui tente de saisir Un monde qui ne se laisse pas facilement croquer… dans une chronique.

Ingénieur, manager et juriste, Rida Lamrini s’implique tôt dans la lutte contre la pauvreté, à travers le mouvement qui a initié le microcrédit en 1992. En 2001, il est membre fondateur et Président de l’association INMAA et de la Fédération des Associations de Microcrédit qu’il préside entre 2001 et 2008. Sous sa présidence, le Maroc a été primé par les Nations Unies en 2005, Année Internationale du Microcrédit.
En 2009, il crée la Fondation du Jeune Entrepreneur, dédiée à l’appui des jeunes ruraux dans la concrétisation de leurs projets d’entreprises.
En février 2012, Rida Lamrini participe au Groupe de travail constitué par la Banque Mondiale, le CMI, l’OCEMO, Plan Bleu et FEMISE en vue d’élaborer des recommandations aux décideurs des pays de la Méditerranée lors de la conférence de haut niveau sur l’économie verte en Méditerranée de mai 2012, conférence liée à la Conférence des Nations Unies sur le Développement Durable Rio+20 programmée pour les 20-22 juin 2012.
Rida Lamrini est également membre du Groupe d’experts (MSEG) en CPD (Consommation et Production Durable) chargés d’élaborer la stratégie d'intégration de la CPD/économie verte dans la Convention de Barcelone (Plan d'Action pour la Méditerranée)
Expert en croissance et métiers verts, il est membre du Conseil Consultatif des Droits de l’Homme (2007 – 2011).

Engagé dans les débats de son époque, son témoignage est constitué de chroniques hebdomadaires (ridalamrini.blogspot.com), et de huit romans et essais publiés entre 1998 et 2009.

Jeudi 16 octobre 2014

mercredi 27 août 2014

En attendant une éclaircie…


Au lieu de vous livrer ma chronique hebdomadaire habituelle, je vous invite à faire une pause, effectuer un retour sur la condition du chroniqueur, découvrir un des aspects de son exercice, et dévoiler les sentiments qui l’agitent à la veille de se fendre d’un article.
J’ai cherché la définition qui caractériserait le plus fidèlement cette activité, telle que je l’exerce depuis un certain temps déjà. La formulation que l’on trouve le plus souvent est « Article d’un journal consacré à un domaine particulier de l’actualité ». Celle qui me semble s’approcher davantage de notre propos est « Rubrique de presse écrite ou audiovisuelle d’un journaliste sur des thèmes divers ». N’étant pas journaliste, j’opterai pour « Regard d’un observateur sur des thèmes divers de son monde ». Ce dernier énoncé me convient mieux.
Or, un regard est foncièrement subjectif. Nous voyons le monde avec nos lunettes, nos œillères. Nous l’appréhendons avec nos peurs, nos appréhensions. Nous le décrivons avec nos mots, nos phrases. Nous lui transférons nos attentes, nos espérances. Prisonnier de sa condition humaine, le chroniqueur analyse, commente, renvoie un angle de vision, forcément à partir de ses convictions, de ses a priori. Il est enclin à se pencher sur ce qui le préoccupe, quand bien même il s’efforcerait d’anticiper les sujets qu’il pense répondre davantage aux attentes de son lectorat. Autant de facteurs qui conditionnent le choix des thèmes qu’il aborde, des sujets qu’il traite.
Censé puiser dans ses observations du monde extérieur, il succombera bien des fois à l’envie de fouiller dans les émotions qui le traversent pour les traduire en chroniques, dans l’espoir que celles-ci, par la magie de l’écrit, arriveraient à se dépouiller de leur origine personnelle, toucheraient le plus grand nombre, et rejoindraient le champ de la pensée universelle.
Cette approche ne manque pas de difficultés. Selon qu’il vive une phase d’euphorie ou qu’il connaisse des moments difficiles, son écrit diffusera une forte foi dans la vie, ou communiquera une vague désillusion devant les aléas du quotidien. Ces deux émanations ne sont pas forcément reçues de la même manière par ses lecteurs.
S’il réussit à échapper à l’emprise de son vécu et à balayer le monde de son regard, le chroniqueur devra discriminer entre l’immédiat local et la lame de fond lointaine. Pour intéresser le plus grand nombre, il devra dans le premier cas conférer un intérêt universel au phénomène de proximité, et dans le deuxième cas révéler les implications d’événements éloignés sur le quotidien de son lecteur.
Pour comprendre le désarroi du chroniqueur, voyons ce qui se passe en ce mois d’août 2014.
Comment peut-il choisir entre la déchirure de la séparation personnelle qui le torture, en espérant se faire l’écho des milliers qui connaissent cette même épreuve chaque jour, et les turbulences qui tiraillent la région de la Mer Noire et menacent la paix dans le monde ?
Comment prétexter une chronique qui plaiderait le rapprochement à l’ouest de peuples voisins, alors qu’à l’est des populations entières sont replongées dans les obscures déchirures du Moyen Âge ?
Comment commettre un texte qui, une fois n’est pas coutume, dériderait le lecteur par sa légèreté, alors que Gaza vit chaque jour sous un déluge de feu, que chaque famille dans cette étroite bande de terre a perdu au moins un enfant ? Comment recourir au ton léger en voyant un monde, d’habitude prompt à dénoncer la perte de chaque vie humaine, devenir tétanisé lorsque cela survient en Palestine, comme si le droit international s’était arrêté aux portes de cette contrée ?
Comment agencer une chronique qui établirait le rapport entre les espérances soulevées par le printemps arabe et l’ébahissement des populations qui, après avoir tant vibré à la tombée des inamovibles dictateurs, découvrent un beau matin des batteries de missiles sol-air déployées dans leurs cités, et autour des infrastructures vitales du pays ?
Comment choisir entre se faire l’écho des préoccupations officielles au plus haut niveau de l’État  face au fossé qui ne cesse de s’élargir entre riches et pauvres, et tenter de comprendre la perception biaisée du mot Islam par les populations occidentales, devenues promptes à voir un terroriste en puissance dans chaque musulman, et peu enclines à voir en lui un être par essence paisible, mû par l’amour du bien, animé par le don de soi ?
Comment décider de consacrer des mots à l’émotion suscitée par la mort absurde du jeune footballeur camerounais, Albert Ebossé, ou réserver ses phrases à l’inquiétude nourrie par la déliquescence d’États du Moyen Orient et la montée de nébuleuses affublées des vocables de « djihadistes » et « islamiques », des mots qui défigurent une des grandes religions monothéistes de l’amour et de la paix ?
Devant un monde devenu de moins en moins lisible, le chroniqueur ne peut que ranger momentanément sa plume, taire ses sentiments, fermer sa radio, éteindre sa télé et… attendre une éclaircie dans le ciel incertain de ce début de siècle, pour honorer son rendez-vous hebdomadaire avec ses lecteurs.

 Rida Lamrini - 27 août 2014



samedi 16 août 2014

Traverse la frontière… et on se retrouve à Oran !


Tard ce jour, je consulte ma messagerie. Je suis agréablement surpris de recevoir un mail de Dalal, mon amie d’Algérie. S’ensuit un échange dont je vous livre l’essentiel :
Dalal : Bonsoir Rida. Je reviens vers toi au sujet de mon mémoire de MBA que je finalise en binôme avec mon amie Dina. Il porte sur "les politiques publiques d’appuis à l’entrepreneuriat". Un chapitre traitera du benchmarking avec d’autres pays, tel le Maroc. Je compte sur toi pour cette partie. Dina réside à Casablanca. Elle prendra attache avec toi pour en discuter plus amplement. Amicalement. Dalal.
Moi : Tu peux compter sur moi. Le sujet est passionnant. Je verrai Dina avec plaisir. À bientôt.
Dalal : Merci Rida. Dina rentre au Maroc ce mardi 12 août. Encore merci et à bientôt.
Moi : À propos, je suis pour le moment à Saidia, au nord d’Oujda.
Dalal : Mais c’est génial, traverse juste la frontière et on se retrouve à Oran.... !

Les bras m’en tombent. Je ne sais que répondre. C’est vrai. Oujda… Oran… c’est juste à côté. Il n’y a qu’à… traverser la frontière. Une limite tracée par des hommes… pour garder à distance… d’autres hommes. Dalal et moi avons échangé par mail comme si nous résidions dans la même localité. Deux êtres intellectuellement proches, culturellement semblables, humainement similaires. À aucun moment nos esprits n’ont été traversés par des considérations de nationalité, de géographie… ou de politique. Traverse la frontière… et on se retrouve à Oran ! Naturel, intuitif, simple. Pour tout esprit sensé. Pour des âmes nées dans la même culture, imprégnées de la même histoire, parlant la même langue, imbues des mêmes valeurs ancestrales.
Pourtant des esprits s’entêtent à garder cette frontière fermée. À l’encontre de la volonté des peuples. Sans les consulter. Sur la base d’iniques décisions prises dans le secret des alcôves d’une haute et mystérieuse bureaucratie politique. Que ne donne-t-on pas la parole aux milliers de familles et aux millions d’êtres qui vivent de part et d’autre de cette « frontière » pour s’exprimer sur une décision qui a brisé des familles, éloigné des cousins, séparé des amis, contrarié des échanges, tari des vocations. Ils n’ont d’ailleurs pas attendu qu’on les consulte. De part et d’autre, ils traversent par milliers chaque jour la « frontière » au nez et à la barbe des forces chargées de la garder fermée.
Ma tête bouillonne. Je prends la direction d’Oujda et m’arrête à la sortie de Saidia. Là, la route sillonne au fond d’une gorge. Entre deux montagnes. Deux montagnes si proches qu’on a l’impression qu’elles vont s’embrasser. À l’image des hommes et des femmes qui, chaque jour, faute de pouvoir se rencontrer, de se serrer dans leurs bras, s’arrêtent à cet endroit pour se faire des gestes de la main, crier à tue-tête à l’adresse de vis-à-vis qui se tiennent à une dizaine de mètres, de l’autre côté de la rivière Kis qui coule dans la gorge.
Je m’approche. Mon attention est attirée par deux femmes penchées sur une enfant.
– Tu vois Tati ma fille ? dit la plus jeune des femmes.                                                                               
– Oui maman. Pourquoi elle ne vient pas chez nous ?
– Elle est occupée pour le moment. Elle viendra ma chérie. Et tu vois ta cousine ?
L’enfant fait des gestes de la main à la jeune fille qui se tient de l’autre côté près de sa tante.
– Et le garçon près de Tati, c’est ton cousin. La dame à côté de Tati, c’est ta tante.
– Tu as combien de sœurs maman ?
– Quatre. Deux sont là devant. Les deux autres sont décédées.
– Celle que je vois est vieille maman. Dis-lui de venir vite. Sinon je risque de ne pas la voir.
Je jette un regard indiscret sur la maman. Je crois voir une larme perler dans ses yeux.
Le cœur brisé, je m’éloigne. D’insensibles autocrates gardent « la frontière » fermée, pendant que des centaines d’individus défient chaque jour la barrière dressée et, par la force de la volonté et de l’imagination, se voient, se parlent, échangent, à distance. Ils étanchent leur soif du cousin, atténuent leur manque de la tante, calment leur désir du frère.
Tous les jours, entre deux montagnes à la sortie de Saidia, dans un endroit appelé Bin Lajraf, de chaque côté de la rivière Kis, des jeunes en groupes, des individus seuls, des familles entières se rendent visite, prennent des photos, crient pour se faire entendre, s’envoient des sms, partagent des images.
Ils viennent voir leurs proches… affirmer leur vocation de citoyens du monde, et envoyer un dérisoire pied de nez aux politiques aveugles. Ce faisant, ils perpétuent les liens humains historiques et les relations culturelles séculaires que des politiques pensent avoir à jamais brisés.
Impuissant mais résolu, je réponds à l’invitation de Dalal et traverse, par la pensée, la rivière Kis à Bin Lajraf et la rejoins à Oran, porté par un désir légitime d’échanger sur des préoccupations communes qui ignore les frontières et les bornages, à l’instar des millions d’êtres humains qui vivent de part et d’autre d’une limite d’un autre âge.

Rida Lamrini - 13 août 2014

mercredi 6 août 2014

Le nuage noir


Au loin, très loin, aussi loin que porte le regard, un immense nuage noir s’élève dans le ciel, poussé par des flammes géantes. L’horizon s’obscurcit rapidement. Le bruit assourdissant d’une monstrueuse déflagration nous parvient comme le roulement du tonnerre après l’éclat des éclairs. Le nuage se dirige vers nous à grande vitesse tout en continuant à s’élever. De ma terrasse, je vois ce spectacle terrifiant. Mon cœur bat à tout rompre. Autour de moi, les miens sont épouvantés, leurs yeux exorbités. Paniqués, nous cherchons un refuge. Comme la cabane en paille du petit cochon et le méchant loup, notre maison est bien fragile devant les masses noires. Leurs ténèbres enflammées vont bientôt nous engloutir. La fin est venue… la fin du monde.

Je m’en remets au Seigneur et… finis par me réveiller ! Ouf ! C’était un cauchemar ! Quel bonheur de retrouver le monde réel !
Je tourne la radio. Les nouvelles s’enchaînent.
La bande de Gaza a vécu une nouvelle nuit d’intenses bombardements. Entre le 8 juillet et le 4 août 2014, le carnage s’élève à près de 2.000 morts, des milliers de maisons et des dizaines d’écoles détruites, et une économie au tapis un peu plus ruinée. Hôpital de Gaza, des familles entières décimées. Des enfants sont morts sous les bombes et des milliers de gens piégés dans une étroite bande de terre entre blindés, avions, navires militaires et drones.
« Je condamne dans les termes les plus fermes cette grave violation du droit international par les forces israéliennes », a déclaré Pierre Krähenbühl, chef de l’UNWRA[1], après un tir qui a tué 16 Palestiniens dans une de ses écoles. Un génocide est perpétré pendant que le monde regarde ailleurs. La tragédie ne suscite ni indignation, ni compassion. Pas même chez ceux proches des palestiniens par la langue, la religion, l’histoire. Certains, prompts à parler d’autodétermination pour défendre des peuples fantômes, restent silencieux devant le massacre de Gaza. Instructif.
Comment célébrer dès lors l’Aid al Fitr lorsque toute une population est piégée dans quelques km2 sous une pluie de bombes ? Comment vaquer au quotidien devant les horreurs commises au grand jour ? Comment ne rien faire pour la Palestine.... cette injustice originelle de l’humanité ?
Crash du MH17 : on se bat à quelques kilomètres du lieu du crash. Un cimetière à ciel ouvert. 300 cadavres gisent à l’air libre. En quelques mois, le malheur a frappé de nouveau la belle Malaisie et plongé son peuple attachant dans le deuil. Je suis triste pour mes amis malaysiens. Accablant.
Tour de France : les cyclistes observent une minute de silence au départ de la 13ème étape en mémoire des victimes du vol MH17. L’équipe Belkin arbore un brassard noir en hommage aux victimes néerlandaises. Pas une pensée pour les enfants de Gaza. Édifiant.
Ukraine-Russie : l’Europe a été historiquement le terreau des déflagrations mondiales. Sommes-nous aux portes du 3ème conflit planétaire… et peut-être la fin du monde ? Inquiétant.
L’Occident resserre ses sanctions autour de la Russie. Toujours rien contre Israël ! Ahurissant.
Syrie-Irak : la région sombre dans le chaos. Merci à tous ceux qui ont cuisiné cette tambouille. Ceux à la recherche d’armes de destruction massive, et les allumeurs d’incendies religieux. Éclairant.
Je ferme la radio et ouvre le journal. Une femme a tué son mari à coups de couteaux pendant qu’il dormait. Fatiguée d’être maltraitée. Un avocat pousse sa fille de 6 ans à tuer sa mère. Paniquée, la petite fille avoue que son père la violait. Un homme est tué par un coup de couteau à la gorge pour avoir demandé que cesse le tapage nocturne au bas de son immeuble. Écœurant.
Trois immeubles s’écroulent à Casablanca. 23 morts et des dizaines de blessés. D’autres bâtiments s’étaient déjà effondrés. D’autres suivront. Rien de nouveau à l’ouest. Affligeant.
Un président de commune pris en flagrant délit d’arnaque. De hauts responsables se partagent le gâteau des plages de sable fin à des prix dérisoires. Un ancien des renseignements généraux éclabousse des figures de la politique nationale. Déprimant.
La page du quotidien rapporte une quinzaine d’autres faits aussi dégoûtants qu’abominables. Le journal comporte une vingtaine de pages. Cela fait une bonne centaine d’affaires judicaires par jour. Soit plus de 3.000 dossiers en un an. Sans parler de ceux qui ne trouvent pas le chemin des journaux. Pauvre justice.
J’abandonne la lecture du journal.
Je rouvre la radio. Dimanche 3 août, une école gérée par l’ONU, dans laquelle plusieurs femmes avec leurs enfants avaient trouvé refuge, a été détruite. Une étape morale a été franchie avec cette sixième attaque. Nous condamnons très fortement cet acte. Nous trouvons inacceptable que des civils qui se trouvent dans une école des Nations unies trouvent la mort, parmi lesquels beaucoup d’enfants. Dixit Salvatore Lombardo, responsable de la communication de l’UNRWA. Désespérant.
Je n’en peux plus. Je referme la radio. Je retourne au lit, me fourre sous les draps. Je reprends mon rêve du nuage noir. Je m’y sens mieux que dans la réalité. 

Rida Lamrini - 06 août 2014









[1] Agence de l’ONU pour l’Aide aux réfugiés palestiniens

mercredi 16 juillet 2014

Yassine, l’enfant des bombes


Dans la pénombre du hall d’entrée de leur modeste demeure, Yassine triture un vieux jouet. Son frère aîné passe en courant, suivie par sa sœur. Celle-ci s’arrête en le voyant, l’attrape par le bras et l’entraîne à l’intérieur de la maison. Il se laisse faire, tout en continuant à tirer sur son jouet.
– Maman, ils arrivent ! s’écrie sa sœur
– Je sais ma fille. J’ai entendu la radio. Où est ton père ?
– Dehors. Il discute avec des journalistes !
La maman se dirige vers l’extérieur. Dans la rue poussiéreuse, au milieu des gravats, elle aperçoit son mari, Ismaïl, entouré des gamins du quartier, face à un journaliste qui lui a tendu un micro.
– Cela fait cinq jours qu’on nous bombarde. Aujourd’hui, ils menacent de nous envahir. On ne quittera pas notre ville. Nous n’abandonnerons pas nos maisons.
– C’est que nous ont dit la majorité des habitants ici, rétorque le journaliste. Pourquoi cela ?
À quelques mètres de là, des enfants s’entraînent à jeter des pierres sur un ennemi imaginaire. Yassine rejoint son père, et se mêle aux autres enfants. Ismaïl poursuit :
– Parce que nous n’avons peur de personne, ni des avions, ni des bombes, ni des tanks, ni des balles. Ils ont beau envoyer des messages pour évacuer, nous ne bougerons pas. Nous sommes des résistants. La volonté de vivre… la volonté de rester est plus puissante que les armes de l’ennemi. La résistance du peuple… la résistance civile est plus puissante.
Un passant s’arrête et interpelle le journaliste :
– Vous voyez les décombres là-bas ? Il y avait six immeubles. Trois sont encore debout et menacent de s’effondrer. Le reste n’est que ruines. Le site a été pilonné sans crier gare. Ils ont tué une majorité d’enfants et de femmes. Toute ma famille a été anéantie. Je ne cesse d’errer sur le site. J’espère trouver des restes de corps ou des objets qui leur ont appartenu.
Le journaliste repère dans sa main une paire de boucles d’oreille, une photo et un sac d’enfant.
– Mais il n’y a plus rien, poursuit l’homme. Ils ont tout détruit. Tenez, regardez.
Le journaliste a un mouvement de recul en voyant le bout de corps déchiqueté que l’homme a sorti d’un sac un plastique.
– C’est le pied d’un enfant. Le monde doit savoir que notre ennemi est un état terroriste ! Il doit être jugé en tant que tel ! Nous ne plierons pas ! Nous sommes tous des combattants, des résistants !
Quelques mètres plus loin dans la rue, des cris s’élèvent. Les regards se tournent vers une femme vêtue de noir qui gesticule au milieu des gravats et des décombres de maisons effondrées :
– Où sont les peuples frères ? Où sont les peuples amis ? Où sont les Nations Unies ? Ils devraient venir nous soutenir ! Pourquoi personne ne bouge pour nous ? Nous habitons près d’un ennemi armé jusqu’aux dents qui bombarde des civils sans défense ! Dieu seul sait ce qu’il va advenir de nous !
Une carriole rafistolée passe en vitesse, conduite par deux jeunes. Ils semblent pressés, comme s’ils quittaient les lieux. Ismaïl rentre chez lui, suivi des siens. Le journaliste s’en va, suivi des enfants de la rue. La foule se disperse. La rue se vide. Yassine se retrouve seul, avec son jouet.
Le ciel bleu se met à tonner, comme lors d’un orage. L’enfant continue de s’amuser avec son jouet. Le bruit des bombardements lui est familier, comme la musique l’est pour d’autres. Le bruit lui rappelle son frère Ahmed, mort il y a quelques mois lors d’un raid de l’ennemi. Et Omar, le fils des voisins. Et Ali, le grand gaillard de la maison détruite en face. Et Hassan, et Zakaria, et Khalid. Tous morts, les poings brandis vers le ciel, dans le déluge de feu, fiers et défiant le puissant ennemi.
Yassine se rappelle son frère Ahmed qui l’entraînait à jeter les pierres, lui racontait l’histoire de leurs parents. Comme la raconte son père Ismaïl le soir, devant la famille rassemblée dans le patio poussiéreux de la maison, autour de la flamme de la bouteille de butane, dans l’obscurité qui couvre la ville. La déchirure remonte à 1947. Ses grands-parents furent dépossédés de leur terre par des étrangers surgis de nulle part qui brandissaient des titres de propriété bibliques. Avec la bénédiction de la communauté internationale ! Aujourd’hui, le peuple de Yassine est arraché à ses terres, pendant que les étrangers vivent dans un État armé, financé et porté à bras le corps par la première puissance mondiale, défiant crânement les résolutions de l’ensemble des Nations Unies.
Yassine sait que son destin est tout tracé. Zakaria le martyr le lui avait dit : refuse de vivre dans l’errance sous le joug de l’ennemi, et meurt dignement, les armes à la main !
Un bruit d’enfer déchire l’atmosphère. Yassine est projeté au loin, évanoui.
Le voile noir qui obscurcit son regard finit par se dissiper. Il se frotte les yeux, puis le corps pour enlever la poussière qui le couvre. Il regarde autour de lui. Sa maison n’est plus. Elle a été soufflée. Il n’y a plus que des décombres à sa place. Sa famille était à l’intérieur.
Yassine sait que le temps est arrivé pour lui de rejoindre bientôt Ahmed, Zakaria… et les siens.
C’est le destin des enfants des bombes… les enfants de Gaza… sous le regard d’un monde indifférent… décrits par ma plume impuissante… dans mon écrit dérisoire…

 Rida Lamrini - 16 juillet 2014



mercredi 9 juillet 2014

Pour que ne se brise jamais la chaîne d'amour


Ahmed roule sur une route déserte. Soudain, il aperçoit une voiture arrêtée sur le côté. Elle semble en panne dans cet endroit désert. Il ralentit. Arrivé à sa hauteur, il aperçoit une vieille dame dans la faible lumière du jour. Elle se tient debout contre la voiture.
Il s’arrête, sort de sa vieille voiture et se dirige vers la dame. Terrifiée, debout sous le crachin, elle grelotte de peur autant que de froid. Un sourire se dessine aussitôt sur le visage de la dame. Cela fait un moment qu’elle attend, désespérée de voir quelqu’un se porter à son secours. L’air hébété, elle s’interroge sur les intentions du jeune homme ?
– Je vais vous aider Madame, dit-il. Rentrez dans la voiture. Il y fait meilleur. Mon nom est Ahmed.
Il constate un pneu crevé. La dame ne peut rien y faire en raison de son âge. Il ouvre le coffre arrière et y trouve le nécessaire pour changer la roue. Il s’accroupit, place le cric sous la voiture, se frotte les mains pour se réchauffer et se met au travail. Une fois la roue remplacée et les écrous resserrés, il range les outils et referme le coffre. La dame voit qu’il s’est sali les mains et blessé un doigt. Elle abaisse sa vitre et lui dit :
– Je ne vous remercierai jamais assez de m’avoir tirée de cette mauvaise affaire. J’ai eu peur, vous savez. Je commençais à m’imaginer des choses affreuses avant votre arrivée. Combien je vous dois ?
– Je n’ai pas à être payé chère Madame, dit Ahmed. Je n’ai rien fait pour ça. Ce n’était pas un travail. Je n’ai fait que changer votre roue. Vous étiez dans le besoin.
Elle sourit. Il continue :
– Vous savez Madame, Dieu sait combien de fois on m’a assisté dans le passé. Normal qu’à mon tour j’aide ceux qui en ont besoin ! Mais si vous voulez me payer en retour, la prochaine fois que vous voyez quelqu’un dans le besoin, donnez-lui un coup de main et…souvenez-vous de moi !
Elle démarre son véhicule et reprend sa route. C’est une belle journée froide. Ahmed reprend son chemin vers chez lui. Il se sent bien. Pourtant, la vie n’est pas facile pour lui en ce moment.
À quelques kilomètres de là, la vieille dame s’arrête à une auberge pour se réchauffer et prendre une bouchée. Malgré l’heure tardive et une rude journée de travail, la serveuse qui était sur le point de baisser le rideau l’accueille avec un sourire avenant, lui offre une serviette propre, l’aide à sécher ses cheveux mouillés et lui sert à manger. La vieille dame remarque sa mise modeste et son ventre de plusieurs mois. Mais ni l’effort ni le travail n’ont altéré sa bonne humeur !
La vieille dame se demande comment une personne avec si peu peut être aussi généreuse envers une étrangère. Elle se souvient d’Ahmed. Son repas fini, elle pose un billet de de forte valeur sur la table. La serveuse s’en va chercher la monnaie. La dame en profite pour se faufiler dehors et disparaître. De retour, la serveuse se demande où la cliente a bien pu aller. Elle remarque une note sur la table : « Vous ne me devez rien. Je suis aussi passée par là. Quelqu’un m’a aidé à m’en sortir. je le fais à mon tour avec vous. Si vous voulez me payer en retour, ne laissez pas cette chaîne d’amour prendre fin avec vous. »
Sous la serviette de table, il y a quatre autres billets de la même valeur. Les yeux de la serveuse s’embuent. Transportée de joie, elle décide de s’occuper plus tard des tables à nettoyer, des boîtes de sucre à remplir… Elle remonte au premier étage où elle vit, se met au lit en attendant son mari. Elle sait combien celui-ci est inquiet. Leur ménage est criblé de dettes. Elle pense à la note et à l’argent que la vieille lui a laissés. Comment a-t-elle pu savoir qu’elle et son mari en avaient besoin ? Avec un bébé le mois suivant, cela s’annonce très dur.
Quelques instants plus tard, au moment où son mari se glisse près d’elle, elle lui donne un doux baiser et chuchote à son oreille :
– Tout ira bien Ahmed. Je t’aime.
Un vieux dicton dit un bienfait n’est jamais perdu et les mains ouvertes finissent par attraper quelque chose.
Depuis que j’ai appris cette histoire, je ne cesse de penser à Ahmed, son épouse et la vieille dame. Je pense à eux et partage leur histoire autour de moi. Il y a tant de gens qui sont dans le besoin dans ce monde. Je partage leur histoire pour que la lumière continue de briller, pour que ne se brise jamais la chaîne de l’amour, pour que l’on ne se lasse jamais de faire du bien… non jamais.

 Rida Lamrini - 09 juillet 2014


mercredi 2 juillet 2014

Mort des partis ?


Bigre ! Le titre occupe la largeur de la page : « Des acteurs politiques proclament la mort des partis ». Je plonge dans la lecture de l’article toute affaire cessante. Arrivé au bout, je reste sur ma faim. Je fonce aussitôt vers Ba Jalloul. Vous savez, l’homme qui éclaire ma lanterne chaque fois que je bute sur un sujet dont les intrications me tarabustent les méninges. C’est du moins ce que j’espère en allant le voir. Car bien des fois je reviens de chez lui avec plus de questions que je ne m’en posais.
À cette heure-ci, il doit être sûrement à son café habituel. Arrivé à l’estaminet, je reste sur le trottoir, dérouté. Le garçon me reconnaît. Voyant mon air penaud, il s’avance et me demande :
– Vous cherchez Ba Jalloul ?
J’opine de la tête.
– Installez-vous, dit-il en me désignant une table. Il arrive. Je vous apporte votre thé à la menthe.
Mon ami apparaît quelques minutes après. Je ne me lasse pas de voir son chapeau noir, sa silhouette typique flanquée de ses deux pékinoises, tout heureuses de faire leur balade quotidienne.
– Qu’est-ce qui te tracasse encore ? me lance-t-il pendant qu’il s’installe en enlevant son chapeau.
– La mort des partis politiques !
– La dernière fois, tu as voulu qu’on parle de la politique en deux mots. J’ai parlé de compétences. Tu as ajouté vertu. Ton compte est bon. Maintenant tu veux zigouiller les partis politiques !
– Je veux juste comprendre ceux dont dépendent notre quotidien et l’avenir de nos enfants. Surtout trouver plus fréquemment chez eux l’un ou l’autre des deux mots. Je viens de lire un rapport sur une rencontre d’acteurs politiques qui prédisent la mort des partis.
– Je l’ai lu aussi, laisse-t-il tomber.                                                  
Je m’en réjouis. Je suis tout ouïe. Encore faut-il que je mette Ba Jalloul sur la voie.
– J’ai fait mon homework, tu sais. L’article 7 de la constitution dit que les partis politiques œuvrent à l’encadrement et à la formation politique des citoyennes et citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques. Si demain ils disparaissent, on fait quoi ?
Ba Jalloul sourit et fait :
– Les partis ne sont intéressés que par la suite de l’article : Ils concourent à l’expression de la volonté des électeurs et participent à l’exercice du pouvoir… Mais qui a participé à cette rencontre ? Le parti communiste, au gouvernement mené par des conservateurs ! Le parti socialiste. Longtemps dans l’opposition. Il a gouverné récemment, mais en est sorti laminé. Et un parti d’opposition viscérale. Que veux-tu qu’il sorte, sinon des récriminations, des critiques acerbes et de sombres prévisions comme la mort des partis !
– Tu es de droite Ba Jalloul ? osé-je lui demander.
– Je ne suis ni de gauche, ni de droite. Tout ça c’est du pipeau.
– Tu ajoutes donc de l’eau au moulin de celui qui, durant la rencontre, affirma que le parti dominant est celui de l’abstention. Il aurait même des militants contre la politique, arguant que les politiques ne sont plus dignes de confiance. Alors, quelle différence fais-tu entre les partis actuels ?
– La seule différence est entre ceux conscients des enjeux du pays et ceux qui sont les lobbies d’une minorité. Elle se joue entre ceux qui portent les aspirations des citoyens et les professionnels qui se vautrent dans les méandres politiciens. La ligne de démarcation sépare les tenants des valeurs de progrès et de justice, de ceux qui s’accrochent à un monde de clientélisme et de privilèges.
– Alors, les partis finiront par mourir ou pas ? demandé-je en refrénant un début d’agacement.
– Tes Cassandre parlent sûrement de la mort de leurs partis, pas de celles des partis. Ils voient dépérir les valeurs de leurs partis. Quant aux partis, ils existeront tant qu’il y aura des individus intéressés par l’exercice du pouvoir… pour le pouvoir…
– Et quid de l’expression de la volonté des électeurs… ? C’est le parti des abstentionnistes qui s’en chargera ?

Comme lors de notre dernière rencontre, Ba Jalloul met fin à la conversation en ouvrant son journal. J’en suis pour mes frais. Ma question rejoindra celle que je lui ai posée avant sur la vertu…
Rida Lamrini - 02 juillet 2014


mercredi 25 juin 2014

La politique… en deux mots !


Voilà deux ans, mon ami Jalal, plus connu comme Ba Jalloul, m’a aidé à me faire une religion sur la politique lors de l’avènement d’un nouveau gouvernement. La cinquantaine bien conservée, la mise soignée, un chapeau noir sur des cheveux cendrés, flanqué de deux pékinoises, il puise ses convictions dans la vraie vie et se nourrit du bon sens populaire. Il m’avait dit à l’époque que le pays irait mieux. Le Premier ministre avait les coudées franches pour former son équipe. Ces gars-là n’ont pas l’expérience du pouvoir mais, avait-il ajouté, ils ont des idées, et surtout la volonté !
Depuis, les sujets d’inquiétude ont continué à s’amonceler : économie, enseignement, santé, pouvoir d’achat, pauvreté, chômage des jeunes, etc. Maigre consolation, ce n’est pas mieux ailleurs. Nul pays n’y échappe. Mais qu’importe, j’ai besoin de comprendre ce qui se passe dernièrement en politique. Ba Jalloul m’aidera sûrement à y voir plus clair une fois de plus. Je le rejoins à son café habituel. Par chance, il est seul, au milieu de ses journaux. Je me dépêche de m’asseoir près de lui, décidé à profiter de ce moment rare.
– Dis-moi Ba Jalloul, la politique, c’est quoi en deux mots, lui demandé-je tout de go.
– Tu veux t’y lancer ? me demande-t-il.
– J’en ai l’air ? Je cherche seulement à comprendre la logique qui anime ce monde particulier.
Il prend une longue inspiration, pose son journal, me regarde longuement, puis dit :
– « La politique est le seul métier qui se passe d’apprentissage, sans doute parce que les fautes en sont supportées par d’autres que par ceux qui les ont commises ».
– On dirait une citation. Elle est de toi ?
– C’est effectivement une citation ! Elle est d’Achille Tournier.
– Qui c’est ?
– Un écrivain français du 19ème siècle. Regarde, chez nous chaque élection a suscité des espoirs, surtout lorsqu’elles amenaient des hommes nouveaux. Ne voyant pas de changement, les citoyens se sont progressivement désintéressés de la politique. Surtout lorsqu’ils voient de nombreuses têtes toujours là, malgré leurs échecs successifs.
Je ne réagis pas. Je suis resté sur ma faim. Comme s’il avait deviné ma pensée, il poursuit :
– Écoute, prends une société commerciale, elle a besoin de recruter du personnel pour tourner.  En politique pareil. On recrute des édiles pour gérer nos villes, des députés pour légiférer, des ministres pour gouverner le pays. La différence, l’erreur de casting d’une société engage ses actionnaires. Si elle fait faillite, ils en sont pour leur argent. Pour un pays, l’enjeu c’est le destin de la nation, le bien-être des citoyens, l’avenir des générations futures. Pourtant, en cas d’erreur, on ne sanctionne personne ! Les fautes sont supportées par d’autres que par leurs auteurs. 
– Si j’ai bien compris, il faut exiger un diplôme de Sciences Po de tout candidat politique ?
– Ne déforme pas mes propos, rétorque Ba Jalloul. Tu t’imagines bien que c’est plus complexe que ça ! J’ai forcé le trait pour être bref. Ceci dit, l’histoire regorge d’hommes sans formation qui ont fait évoluer leur monde. N’empêche, il faut être exigeant à l’égard de nos politiques.
– Tout à fait d’accord. Les compétences sont le premier mot. Mais… admettons qu’on puisse les acquérir dans les universités, quoique je ne vois pas le pays gouverné uniquement par des énarques. Mais les valeurs, où et comment les acquérir ? Tu ne penses pas que c’est le deuxième mot ?
Ba Jalloul reste coi. Il replonge dans ses journaux et se désintéresse de la conversation.

Mais pourquoi donc mes entretiens avec Ba Jalloul me laissent toujours plus perplexe qu’avant… avec une tonne de questions supplémentaires… et une migraine en plus ?

Rida Lamrini - 25 juin 2014

mercredi 18 juin 2014

Le temps d’une Coupe


Mon téléphone portable sonne. Je réponds.
– Allo, désolé, je vais devoir reporter notre rendez-vous à plus tard.
– Ah bon ? Tu as un empêchement de dernière minute ? Rien de grave j’espère !
– Non, juste que je viens de réaliser que ça coïncide avec le match de la Coupe du Monde. Tu ne m’en veux pas j’espère !
– … ?
Je fulmine contre mon ami Hamid, mais ne laisse rien transpirer. Il va falloir que je change tous mes plans pour le reste de la journée. Dire que je m’étais organisé pour mettre la touche finale à ce projet commun qui nous tient à cœur.
J’appelle mon collaborateur. Le téléphone sonne plusieurs fois. D’habitude, il répond sans tarder. Je laisse tomber. Il finira par rappeler.
J’appelle mon épouse.
– Tu as récupéré les enfants ?
– Oui, mais on va tarder.
– Vous êtes où ?
– Chez ta sœur. Les enfants veulent voir le match de football avec leurs cousins.
– Ils peuvent le voir à la maison…
– Oui, mais tu sais bien, tu n’aimes pas le football. Ils préfèrent rester avec leurs cousins pour l’ambiance. Tu comprends…
– … ?
Le reste de ma journée est chamboulé. Je quitte le bureau, un peu perdu. Direction chez moi.
Dehors, j’ai une drôle de sensation. La rue me semble inhabituelle, comme… moins encombrée… un peu plus calme. Pourtant, ce n’est pas la période des vacances scolaires où les gens prennent la clé des champs avec leurs enfants. Bof, je ne comprendrais jamais rien aux habitudes des citadins. Je décide de rentrer à pied. C’est tellement rare de voir des trottoirs aussi dégagés.
En cours de chemin, je pense à mon ami Ba Jalloul. L’envie me prend de lui rendre visite à son café habituel. Il y a longtemps que nous ne nous sommes pas vus. Cela me changera les idées. J’apprendrai sûrement des choses nouvelles. Sur la politique, ou les affaires, peu importe. Ba Jalloul a ce chic de vous parler de qui parvient rarement aux rédactions des journaux.
J’approche du café. J’aperçois un spectacle inhabituel. Les chaises et les tables occupent la totalité du trottoir. Toutes orientées dans le même sens, vers l’intérieur de l’établissement. Le dos tourné à la rue, leurs occupants sont scotchés à un écran de télévision. Comme s’ils étaient dans une salle de spectacle. Soudain, ils se lèvent tous comme un seul homme. Leur clameur ébranle le quartier. Des jurons pleuvent sur le bougre qui a raté son tir si près du but.
Je parviens au café. Je cherche Ba Jalloul des yeux. J’ai du mal à le repérer. L’endroit est bondé. Les tables serrées. Les clients, un œil sur l’écran, les mains tournoyant dans l’air, sont lancés dans des discussions enflammées et des analyses savantes sur les choix des sélectionneurs, la magie du dribble de tel joueur, la bêtise de la passe de tel autre, l’incompétence manifeste de l’arbitre. Bref, ils sont dans un monde à part.
Je finis par apercevoir Ba Jalloul. Curieusement, il ne regarde pas la télévision. Il est plongé dans son journal. Il est là, mais sans être là. Il est dans son univers, indifférent à celui qui l’entoure.
Je renonce à le voir, incapable de me frayer un chemin jusqu’à lui. Je poursuis ma marche vers chez moi. Je comprends maintenant pourquoi les rues sont si calmes. À part une clameur qui vient de nouveau de s’élever du café de Ba Jalloul.
J’arrive chez moi. Au moment où je sors la clé pour ouvrir la porte de la maison, je reçois un sms.
« Désolé, je viens de voir votre appel en absence. Je regardais le match ».
Je comprends que le match s’est enfin terminé ! Mon collaborateur vient de revenir sur terre. Les enfants vont bientôt rentrer à la maison. Mon ami Hamid me rappellera sûrement pour fixer un autre rendez-vous. Je reverrais Ba Jalloul une autre fois.
La vie reprend ses droits. Jusqu’au prochain match. Jusqu’à la fin de la Coupe du Monde.

 Rida Lamrini - 18 juin 2014


                                                                                                                                             

mercredi 11 juin 2014

Balade d'un roi


L’on dit que les peuples ont la mémoire courte. Pourtant, le 17 décembre 2010 marquera à jamais celle de la nation arabe. Ce jour-là, un jeune marchand ambulant de Sidi Bouzid en Tunisie, humilié, écœuré par la énième saisie de son outil de travail, une charrette et une balance, s’immola de désespoir, puis s’éteignit le 4 janvier 2011.
Par son geste inouï, il déclencha une puissante lame de fond à laquelle peu de dictateurs de l’époque résistèrent. Qui aurait imaginé la fuite précipitée de Ben Ali, la chute déshonorante de Moubarak ou la mort abjecte de Khaddafi ? Qui s’attendait à voir les peuples arabes, bâillonnés pendant des décennies par d’intraitables régimes autoritaires, finir par secouer la chape de plomb qui les empêchaient de vivre.
Reconnaissant en l’acte désespéré de Bouazizi le signe du destin, le peuple tunisien descendit sans hésiter dans la rue et chassa le dictateur, effaçant du coup l’odieuse image de l’Arabe voué à ne choisir qu’entre extrémisme religieux et dictature laïque. Pour cela, et pour les émules auxquels il a donné naissance, toute une nation au sud et à l’est de la Méditerranée est profondément reconnaissante au peuple tunisien.
Allant plus loin, les enfants laïcs et religieux du berceau du soubresaut arabe ont su préserver leur vivre ensemble, et évité de basculer dans le chaos, en se dotant d’une constitution progressiste. Dans un savant mélange de laïcité et d’«islamité», ils ont jeté avec intelligence les fondements d’un État modèle pour les pays qui se débattent encore dans les turbulences de la révolution du jasmin.
Aujourd’hui, la rive méridionale de la Méditerranée continue de frémir, dans l’attente d’une décantation salutaire, avant que les idéaux de ses peuples ne se dissolvent dans les désillusions de l’Histoire, et que les dérives post-révolution ne donnent raison à Louis Latzarus[1] : « Toute révolution est commencée par des idéalistes, poursuivie par des démolisseurs et achevée par un tyran. »
Bien des incertitudes planent sur la région. De sombres nuages plombent des ciels qui résonnent encore des slogans de révolutionnaires armés de leur foi et de leurs idéaux. En Tunisie, plusieurs éléments font redouter une montée en puissance du terrorisme qui placerait le pays dans la sphère de turbulence géopolitique régionale. Ainsi en est-il du lynchage de Lotfi Nagdh, des attentats de Sousse et de Monastir qui visent à tarir les flux touristiques, de l’attaque de l’Ambassade des États-Unis, des attentats visant les forces de sécurité et des attaques ciblant l’armée nationale, du pourrissement d’un foyer terroriste au Mont Chambi et le long de la frontière algérienne, des faux barrages à Jendouba dans un remake des modes opératoires algériens, des événements de Raoued, etc.
Résultat, trois années après la révolution du Jasmin, les touristes se font toujours désirer. De 7 millions qui avaient séjourné durant la dernière année du régime de Ben Ali, ils ne sont plus que 4,45 millions aujourd’hui.
C’est justement dans ce contexte incertain qu’un homme a choisi de partager le quotidien de ses habitants, si tant est que sa charge puisse le lui permettre.
Ignorant tout protocole, faisant fi des simples précautions de sécurité, en jeans et chemise d’été, il se promène à pied dans la mythique avenue Bourguiba, déambule dans les souks ombragés, se mêle à la foule de passants abasourdis, se laisse prendre en photos par des tunisois ébahis.
Ce faisant, l’homme proclame avec éloquence à la face du monde sa foi dans une Tunisie éprise de paix, de liberté et de progrès, et affiche son engagement pour un Maghreb porté par les aspirations de peuples qui ont tant pâti de dirigeants en décalage avec leurs aspirations profondes, fossilisés à jamais dans les reliques de l’histoire tourmentée du siècle dernier.
En se moulant en toute simplicité dans le quotidien de milliers de tunisiens, en phase avec son siècle, en résonnance avec les aspirations des peuples du sud de la grande mare bleue et d’Afrique, en harmonie avec un idéal maghrébin longtemps contrarié, cet homme est en train d’insuffler espoir à des peuples éprouvés par la myopie de leurs dirigeants, d’influer le cours des événements vers les aspirations des générations de ce siècle.
La balade de cet homme dans les rues de Tunis n’est pas un événement anodin, et encore moins une information pour magazine People.
Elle est celle d’un homme en train de marquer l’Histoire de son empreinte de leader engagé.
Cet homme est le Roi du Maroc.

Rida Lamrini - 11 juin 2014

                                                                                                                                            



[1] Louis Latzarus, journaliste et écrivain français, né en 1878 et mort le 1er janvier 1942.