mercredi 25 décembre 2013

Les néologismes des amalgames


« BANGUI - Les milices chrétiennes anti-balaka ont attaqué vendredi à Bangui des quartiers habités par des musulmans, minoritaires dans la capitale centrafricaine. » Cette information a été rapportée ainsi par une dépêche de Reuters du 20/12/2013. La même dépêche ajoute qu’« Une précédente offensive des milices chrétiennes sur Bangui a déclenché début décembre une vague de représailles sanglantes de la part des combattants musulmans de la Séléka. »
Il y a quelques années, la guerre civile qui avait déchiré le Liban était présentée comme un affrontement entre musulmans et chrétiens. En Irak, la population est majoritairement musulmane. Qu’à cela ne tienne. On a trouvé le moyen de parler d’un conflit interconfessionnel en catégorisant les adversaires en sunnites et chiites.
Diable, mais comment font donc les media pour faire le tri entre le musulman et le chrétien dans une guerre ? En les comptabilisant à la sortie des mosquées et des églises ? En vérifiant le degré d’observance des préceptes de la foi par les différents belligérants ? En recensant les individus qui, après avoir reçu une claque sur une joue, tendent l’autre joue ? En comptant les individus qui appliquent les enseignements du Prophète de l’Islam qui n’autorisait d’entrer en guerre que pour se défendre ?
Selon le Coran, la guerre est une « obligation non désirée » à laquelle il ne faut recourir qu'en dernière instance dans le respect des valeurs morales et humaines. Le Prophète Mohammed n’a recouru à la guerre que pour se défendre dans des situations inéluctables. Pendant les 13 premières années de l’Islam, les musulmans, minoritaires, avaient vécu à la Mecque sous une autorité païenne. Harcelés, maltraités, torturés, pillés, assassinés, ils n’avaient jamais recouru à la violence et toujours appelé les païens à la paix. Quand l'oppression devint insupportable, ils émigrèrent à Médine où ils établirent leur propre ordre dans un environnement paisible et libre. Ils ne prirent les armes contre les païens agressifs de la Mecque que lorsque le Prophète reçut la révélation : « Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) - parce que vraiment ils sont lésés; et Allah est certes Capable de les secourir - ceux qui ont été expulsés de leurs demeures, contre toute justice, simplement parce qu'ils disaient: "Allah est notre Seigneur". (Le Coran, sourate al-Hajj, versets 39-40) ».
La presse qui couvre les péripéties des guerres, s’assure-t-elle que les musulmans en question font partie de « Ceux qui refoulent leur colère et qui pardonnent aux gens. Et Dieu aime les bienfaisants » (Coran III, 134). Que leurs adversaires chrétiens ont écouté Jésus lorsqu’on lui avait demandé « O esprit de Dieu, quelle est la chose la plus grande et la plus difficile ici-bas et dans l’autre monde ? » Il répondit : « la colère de Dieu (qu’Il soit exalté et glorifié !). On demanda : « Et qu’est-ce qui peut l’éviter ? » Il répondit : « Que tu brises ta colère et que tu étouffes ta rage. » ?
L’on sait les ravages provoqués par les guerres de religions en Europe au XVIème et XVIIème siècle et les millions de victimes qui en pâtirent. Aujourd’hui, l’imaginaire collectif en occident associe musulman à terroriste, un poignard entre les dents. Pire, musulman n’ayant pas été assez au goût des auteurs des raccourcis ravageurs, il a fallu inventer d’autres termes comme… comme islamiste. J’ai beau chercher le sens de ce terme dans tous les dictionnaires. Je ne suis parvenu qu’à une seule conclusion : son usage est controversé. Et comme si cela n’était pas suffisant, on parle aujourd’hui de djihadistes ! D’un seul trait de plume, 1,5 milliards de musulmans, soit près du quart de la population mondiale, sont transformés en terroristes potentiels ! Voilà comment, en raison de la commodité abêtissante de raccourcis irresponsables, on instille les amalgames, attise les haines, stigmatise les populations, dresse les peuples les uns contre les autres.
Encore heureux qu’on ne nous ait pas asséné des concepts du même cru et abreuvés de chrétienistes ou judaistes à propos de terroristes avec un lien plus ou moins supposé avec les deux autres religions monothéistes. L’extrémiste ne serait-il pas justement celui-là même qui a inventé l’isme pour décrire l’objet de son néologisme, mais qui, ce faisant, entraîne avec lui tout un pan innocent de la population mondiale ?
Curieux, les pires atrocités sont commises au nom des religions, alors que ces mêmes religions sont toutes porteuses de messages de paix et d’amour. Le sens des responsabilités n’exige-t-il pas d’informer sur les conflits qui secouent notre planète, en les circonscrivant à leur véritable et unique dimension : celle de la bêtise humaine, aux antipodes de la sagesse des religions ?


Rida Lamrini - 25 décembre 2012

mercredi 18 décembre 2013

L’héritage des géants


Dans cette de prison de Robben Island, il porte le numéro de matricule 46664. Il n’a droit qu’à un visiteur et une lettre tous les six mois. Il se lave avec de l’eau de mer froide et dort dans une cellule minuscule de deux mètres sur deux. Sur l’île, tous les jours, il effectue des travaux forcés dans une carrière de chaux. Quand il ne va pas à la carrière, il casse des cailloux dans une des cours de la prison. Lui et ses codétenus ont tous été victimes de kératite. Il refuse les faveurs et mène toutes les actions de contestation avec les autres prisonniers, y compris les grèves de la faim.
Robben Island est le lieu pour briser la volonté des hommes récalcitrants. La sienne n’a fait que se renforcer de jour en jour. Il récitait et faisait apprendre le poème Invictus (Invaincu) de William Ernest Henley afin d’encourager ses compagnons d’infortune.

« Dans la nuit qui m’environne,
Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Je loue les Dieux qui me donnent
Une âme, à la fois noble et fière.

Prisonnier de ma situation,
Je ne veux pas me rebeller.
Meurtri par les tribulations,
Je suis debout bien que blessé.

En ce lieu d’opprobres et de pleurs,
Je ne vois qu’horreur et ombres
Les années s’annoncent sombres
Mais je ne connaîtrai pas la peur.

Aussi étroit soit le chemin,
Bien qu’on m’accuse et qu’on me blâme
Je suis le maître de mon destin,
Le capitaine de mon âme. »

Il a lu souvent ces vers pendant ses 27 années d’emprisonnement. William Ernest Henley disait que ce poème reflétait sa résistance à la douleur, suite à l’amputation de son pied. Le célèbre prisonnier de Robben Island quant à lui n’a pas été physiquement amputé. Il a été privé de 27 ans de sa vie. Il a été emprisonné le 20 avril 1964, jour où, répondant à des chefs d'accusation aussi graves que sabotage, haute trahison et complot, il prit la parole dans le tribunal de Pretoria et présenta la genèse et les buts de son engagement politique, esquissant les prémices de la future « Nation arc-en-ciel » :
« La souffrance des Africains, ce n'est pas seulement qu'ils sont pauvres et que les blancs sont riches, mais que les lois faites par les Blancs tendent à perpétuer cette situation. Nous voulons des droits politiques égaux. Cela paraît révolutionnaire aux Blancs, car la majorité des électeurs seront des Africains. Ce qui fait que les blancs craignent la démocratie. Mais cette peur ne doit pas se placer au travers de la voie de la seule solution qui garantira l'harmonie raciale et la liberté pour tous.
Au cours de ma vie, je me suis consacré à cette lutte des peuples africains. J'ai combattu contre la domination blanche et j'ai combattu contre la domination noire. J'ai chéri l'idéal d'une société libre et démocratique dans laquelle tout le monde vivrait ensemble en harmonie et avec des chances égales. C'est un idéal pour lequel j'espère vivre et que j'espère accomplir. Mais si nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. » 
Libéré le 11 février 1990, il devient le premier président noir Sud-Africain, tourne le dos à la haine, oublie les sévices de ses geôliers et de ceux qui ont asservi son peuple et œuvre pour la concorde et l’harmonie en Afrique du Sud. En pardonnant à ses adversaires, il évita à son pays un bain de sang et la spirale de la violence. Au pouvoir, Nelson, le nom que lui a donné son institutrice, a incarné la noblesse de la politique, l’exerçant loin des combines, de la ­vengeance et des compromissions. Les hommes politiques n’ont pas besoin de connaître les épreuves, la guerre, la souffrance pour se hisser à ce niveau de grandeur politique. Mais ils peuvent s’inspirer du destin et des paroles du détenu de Robben Island.
 « Un bon leader peut engager un débat franc, sachant qu’à la fin, lui et l’autre doivent être plus proches, doivent en sortir plus forts. Vous n’êtes pas dans cette disposition d’esprit lorsque vous êtes arrogant, superficiel, et mal informé.»
« J’ai appris que le courage n’est pas d’avoir peur, mais d’en triompher. L’homme courageux n’est pas celui qui ne ressent pas la peur, mais celui qui la dompte. »
« Il est préférable de mener en étant derrière et de mettre les autres en avant, surtout quand vous célébrez la victoire, et que de belles choses se produisent. Vous prenez le devant en cas de danger. À ce moment-là les gens apprécieront votre leadership. »
« Le ressentiment est comme boire du poison et en espérant qu’il va tuer vos ennemis. »
« Ne me jugez pas par mes succès, jugez-moi par combien de fois je suis tombé et je me suis relevé à nouveau. »
« Les vrais leaders doivent être prêts à tout sacrifier pour la liberté de leur peuple. »
« Une action sans vision est du temps perdu, la vision sans action est simplement rêver en plein jour, mais la vision jointe à l’action peut changer le monde. »
« Ce qui compte dans la vie n’est pas le simple fait que nous avons vécu, mais la différence que nous avons faite dans la vie des autres. »
En ayant appris, et rappelé, à l’Humanité les vertus du pardon, de l’amour et du don de soi, ce géant par la taille et par la stature, est entré de plain-pied dans le Panthéon des géants de l’Histoire, au même titre que Gandhi, Mohammed V, Vaclav Havel, des leaders qui ont sacrifié leurs vies, leurs familles, leur bien-être personnel pour leurs peuples. Des géants qui, pacifiquement, ont lutté contre la tyrannie, fait face à l’oppression, opposé à l’injustice et, une fois à la tête de l’État, sont restés fidèles à leurs idéaux.
Tel est l’héritage des géants.
Adieu Nelson. Adieu Madiba.


 Rida Lamrini - 18 décembre 2013

mercredi 11 décembre 2013

Sommes-nous seuls dans l'Univers ?


Ce soir, au moment d’éteindre mon ordinateur, je tombe sur un site qui m’apprend une information singulière. L'observatoire WASP-South, situé en Afrique du Sud, aurait découvert il y a une dizaine de jours une nouvelle exoplanète !
Quèsaco ?
Je me dépêche de chercher dans le dictionnaire le sens exact de ce terme peu familier. J’y apprends que les exoplanètes sont des planètes qui tournent autour d'une étoile autre que le Soleil. On les appelle également planètes extrasolaires. Voilà qui aiguise ma curiosité. Je creuse davantage le sujet et apprends que la première exoplanète fut découverte en 1995 par l'Observatoire de Haute-Provence. En 2005, 155 planètes extrasolaires étaient déjà recensées.
WASP-99b, le nom de ce corps céleste découvert par l’observatoire sud-africain, est la 1000e du genre détecté à ce jour dans l'Univers. Les scientifiques la soupçonnent d’être potentiellement habitable. Possible ! Mais pas sûr ! Au fond, existe-t-il une vie extraterrestre ? La question n'a jamais été semble-t-il autant d'actualité. Je m’en réjouis. J’ai reçu quelques visites de troisième type dernièrement, mais n’ose en parler, de peur qu’on me prenne pour un dérangé du plafond.
Je reste scotché à l’écran de mon ordinateur. Je trouve cela encore plus excitant !  Je saute de lien en lien et dévore les informations les unes après les autres. C’est ainsi que j’apprends que la recherche des exoplanètes a donné naissance à la communauté des "exobiologistes", constituée par de nouveaux chercheurs qui s’activent à imaginer toutes les formes de vie extraterrestre possibles, de la bactérie à l'organisme évolué doué de capacités cognitives. Depuis 1995, année où a été détectée la première planète extrasolaire, des centaines d’experts et chercheurs de tous les domaines de la science, astrophysique, biologie, géologie, chimie, mathématiques, génétique, scrutent l’immense étendue de l'Univers, scannent les satellites de planètes connues, et traquent des exoplanètes à la recherche de la vie.  
Certains d’entre eux vont jusqu'à se demander si la vie sur la Terre ne serait pas elle-même… d'origine extraterrestre ! Après tout, pourquoi pas, avec tous ces météorites qui circulent d’un bout de l’Univers à l’autre et véhiculent toutes sortes de micro-organismes !
Et tout compte fait, pourquoi la Terre serait-elle la seule à abriter des organismes vivants ? Dans le seul Univers observable par nos télescopes, on recense des centaines de milliards de galaxies, chacune contenant des centaines de milliards d'étoiles avec leurs cohortes de planètes. Soit des milliards de milliards d'exoterres... C’est bien le diable s’il n’existait pas la moindre trace de vie dans tout ce foisonnement !
Soudain, la lumière de ma chambre s’estompe, mon moniteur s’irise. Je sens une main se poser sur mon épaule. Un mot s’affiche sur l’écran par-dessus mon navigateur :
Intéressant…, n’est-ce pas ?
– En effet, tapé-je machinalement sur mon clavier en guise de réponse, pensif.
Au bout d’un moment, la lumière de ma chambre reprend son éclat, le halo vert disparaît, mon navigateur réapparait sur l’écran. Je me retourne, regarde derrière moi, au-dessus… ne vois personne.
Une chose est sûre, mon extra-terrestre vient de me rendre une brève visite. C’est en train de devenir une habitude chez lui. Mais cette fois-ci… aurait-il touché mon épaule ?


Rida Lamrini - 11 décembre 2012

mercredi 4 décembre 2013

Quand sonne l’heure du départ


Le grand départ. Une échéance que l’on aborde généralement avec un sentiment particulier. Souvent, sous forme d’allégories philosophiques, de paraboles religieuses, d’interrogations métaphysiques.
Habituellement, on s’évertue à occulter ce moment singulier de notre vie. Pourtant, il est omniprésent dans notre quotidien. Il occupe les nouvelles. Il rôde dans nos rues. Il hante nos pensées. Et, avec la même opiniâtreté avec laquelle il obsède notre inconscient, nous nous obstinons à l’ignorer, comme s’il n’était qu’une station parmi toutes celles qui jalonnent notre itinéraire terrestre, quand bien même cette étape ne serait que l’ultime, celle qui se trouve juste avant le saut dans l’inconnu.
Étrange relation que nous entretenons avec ce tournant de notre destinée. Sûrement le seul et vrai tournant.
Jeune, il est souvent difficile de se sentir concerné par la disparition de proches, tant cela semble un événement familial qui appartient davantage au monde des adultes. Les enfants observent ordinairement ces derniers, ressentent leur deuil, mais ne se sentent pas pour autant particulièrement affectés. Au fil du temps, ils grandissent et les différences entre générations s’estompent. Devenus adultes, ils s’installent graduellement dans l’univers de leurs aînés et, à leur tour, deviennent plus sensibles aux disparitions de leurs proches.
Sensibles, mais pas habitués. On ne s’habitue jamais au grand départ. Quand bien même il serait annoncé d’avance. Quand bien même on est invité à s’y préparer.
Et durant les instants, les jours, le temps qui nous sépare de ce moment d’arrachement, il faut faire comme si l’éternité nous appartenait, comme si le visage rieur de l’être aimé était impérissable, comme si le grand départ n’était qu’un fantasme.
Qu’ils sont durs ces derniers moments. Qu’il est dur de réaliser que toute la science du monde est impuissante à retenir la tante bien-aimée. Que tous les biens, toutes les connaissances, tous les efforts seront vains pour retenir la mère adorée dans ce monde. Qu’il est dur d’admettre que le père qui emplissait notre vie, de près ou de loin, qu’un jour il devra disparaître. Qu’il est dur de se résigner à ne plus voir le visage de l’oncle sur lequel venaient se reposer nos yeux. Qu’il est dur de se résoudre à ne plus voir le sourire du compagnon ou de la compagne de vie qui illuminait notre quotidien. Qu’il est dur d’admettre de ne plus voir le regard de cette grand-mère qui recelait toute la tendresse du monde. Qu’il est dur de s’habituer à cheminer dorénavant dans une vie vide, sans l’être auquel nous attachaient tant de liens, tant de paroles, tant de rires, tant d’affection, tant d’amour.
Car, aucune piqure, aucun anesthésiant, aucune drogue ne peut préparer à comment se séparer d’un proche sur le point de nous quitter, et surtout comment vivre bientôt sans lui, et devant lequel, devant laquelle, il faut arborer jusqu’au dernier moment une mine enjouée, un regard gai, un visage heureux. Comme si de rien n’était.
Et déjà, il ne reste plus que des anecdotes pour mettre de la cohérence dans ce qui semble désormais relever de l’absurde, des images pour atténuer la douleur qui nous assaille, des souvenirs pour redonner du sens à la vie. Si tant est que la vie a un sens.
Et l’on oublie que ce n’est qu’un grand départ de plus. Qu’il a été précédé par tant d’autres. Qu’il sera suivi par bien d’autres. Que l’on ne s’y prépare jamais assez bien, ni suffisamment à l’avance, ni raisonnablement après.
Et surtout, l’on oublie que cet être qui emporte un peu de nous-mêmes ne fait que nous précéder, que finalement ce n’est qu’un au-revoir.

Adieu chère tante.

Rida Lamrini - 04 décembre 2013