mercredi 27 mars 2013

Vu du ciel

Dans la pénombre de ma chambre, une lumière verte irise subitement l’écran de mon ordinateur. Un halo illumine mon bureau. Un bourdonnement sourd accompagne l’étrange phénomène. Serait-ce un dysfonctionnement de ma machine ? L’écran s’obscurcit. Les applications se referment. Il est mis fin à mon travail ! Des lettres apparaissent au milieu de l’écran, les unes après les autres, formant des mots, puis des phrases. Quelqu’un a pris possession de mon ordinateur et s’est mis à m’écrire. Je suis troublé. Un silence épais emplit la maison déserte. Il ajoute à mon effarement. Je déchiffre le message :
– Que le salut soit avec toi, terrien.
Puis plus rien. Comme si l’écran, ou le mystérieux correspondant, attendait ma réaction. J’avance mes mains vers le clavier, et me mets à pianoter lentement sur les touches :
– Qui êtes-vous…
– Je vous contacte d’une autre planète.
Cela doit être une plaisanterie. Un hacker a pris contrôle de ma machine et s’amuse à mes dépens. Mon sentiment ne dure pas longtemps. Mon sang se glace soudain dans mes veines. Mon interlocuteur est un extra-terrestre ! Le surréalisme du phénomène ne peut relever de l’humain ! J’ose demander :
– Quelle planète ?
– Cyclotréide. Galaxie Constellarius X25. Ne cherchez pas, l’état de votre science ne vous permet pas de nous localiser.
– Que me voulez-vous ? demandé-je, passablement secoué.
– Échanger avec vous. Cela fait un moment que nous vous observons.
Mon cœur bat la chamade. La réalité a dépassé les films de science-fiction dont je me suis abreuvé.
– Et que savez-vous de nous ? tapé-je sur le clavier.
– Votre planète est l’une des plus belles de l’Univers. Riche, généreuse, fascinante.
Je souris, ravi par le témoignage.
– Votre espèce est douée. Vos connaissances ont fait de grands progrès ces derniers temps. Mais il vous est impossible d’atteindre notre niveau.
– Et qu’allez-vous faire de votre puissance, conquérir notre planète ? osé-je demander.
– Ah, conquérir ! Votre obsession ! Vous conquérir les uns les autres. Si ce ne sont pas des terres, alors ce sont des biens, sinon des titres. Vous êtes obnubilés par le souci de posséder et d’accumuler. Cela fait de vous une espèce non intelligente. Vous ne pensez pas à vivre dans l’équilibre, par la modération et le partage. Vous avez résolu le problème du superflu pour un petit nombre, et vous vous débattez encore dans la satisfaction de l’indispensable pour l’écrasante majorité d’entre vous.
Le message occupe la totalité de l’écran. Puis les caractères s’évanouissent, cédant la place à d’autres :
– Depuis le temps que nous observons la terre, nous avons été frappés par les relations d’équilibre tissées par les créatures et les composants qui la peuplent. Végétaux, insectes, animaux, éléments chimiques, ressources naturelles, atmosphère, soleil, par leur vie ou par leur mort, ces éléments interagissent dans une parfaite symbiose, chacun concourant à l’évolution harmonieuse de l’ensemble.
Je souris, incrédule. Le message disparaît à nouveau. L’écran s’illumine avec un autre :
– Ça été vrai jusqu’à l’arrivée de votre espèce. Votre apparition fut un accident. Elle a opéré des ruptures avec les équilibres élaborés. Vous n’avez rien appris des êtres qui vous entourent. De tous temps, vos systèmes politiques ne profitent guère aux peuples. Vous consommez de façon effrénée, sans finalité. Vous exploitez sans régénérer. Vous faites peu de cas de la planète qui vous nourrit. Vous êtes en train de la mener vers l’extinction. Voilà ce que j’avais à vous dire. Que le salut soit avec toi, terrien.
La lumière verte disparaît. Le halo s’évanouit. Le bourdonnement cesse. Mes applications reprennent leur place sur l’écran.

… À qui pourrais-je raconter ce qui vient de m’arriver… sans passer pour un doux zinzin ?

Rida Lamrini - 27 mars 2013

mercredi 20 mars 2013

Le monde s’embrase-t-il ?


« Le monde s’embrase ». L’affirmation porte une charge violente. On la reçoit comme un coup de poing dans le ventre. Elle vient d’émaner du poste radio que j’écoute cette nuit, dans une obscurité qui a mis hommes et animaux en état d’hypnose. Les propos tranchent avec le calme ambiant. Je prête l’oreille. L’animateur discute avec l’auteur. Laurent Artur du Plessis. C’est déstabilisant.
La crise économique se généralise. Elle est en train de connaître un caractère aigu. Plus grave, elle serait en train d’échapper à tout contrôle. Elle exacerberait des antagonismes de toutes sortes, politiques, économiques, religieux, dopant les extrémismes. Les conditions d’une nouvelle déflagration universelle seraient réunies, à l’instar de la crise de 1929 qui fut à l’origine de la Deuxième Guerre mondiale. Phénomène somme toute naturel. Ce serait ainsi que l’humanité sort des crises. Les orages grondent déjà un peu partout. D’abord au Proche et Moyen Orients, théâtres traditionnels de la rivalité de l’hégémonisme américain face à la Russie et à la Chine.
Le drame syrien menace le voisinage. Israël a lancé l’opération « Pilier de défense » à Gaza. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) appréhende le programme nucléaire d’un Iran insensible aux sanctions économiques. Le clash entre l’Iran et l’Occident est désormais inévitable. Il cristallise l’affrontement entre le chiisme, appuyé par la Russie et la Chine, et le sunnisme adossé aux pétromonarchies du Golfe, à la Turquie et à l’Occident. Aujourd’hui, le sunnisme s’est allié à l’Occident contre « l’arc chiite ». Une alliance temporaire. Le sunnisme finira par se retourner contre son allié d’aujourd’hui sous l’impulsion de l’intégrisme religieux qui aura accaparé les appareils d’État par les urnes ou la terreur, financé par les pétromonarchies du Golfe.
On en veut une preuve ? Le Sahel est devenu la base arrière du djihad sunnite. Le conflit islam-Occident entraînera le reste du monde dans son sillage. L’Inde et le Pakistan s’engageront dans un conflit qui embrasera l’Asie. L’Occident, soutenu par le Japon et l’Inde, affrontera la Chine et l’islam. La Russie sera amenée à quitter le camp antioccidental pour se retrancher à l’intérieur d’une forteresse continentale qui engloberait l’Europe. Celle-ci n’aura pas d’autre choix. Elle a sabré ses budgets militaires et ne peut plus compter sur les forces américaines redéployées vers le Pacifique.
Et pour terminer, l’auteur prédit une Troisième Guerre mondiale caractérisée par l’emploi d’armes de destruction massive et par un terrorisme à fort pouvoir destructeur adossé aux appareils d’État.
Le jour se lève. Un soleil radieux inonde le ciel bleu. Des oiseaux piaillent dans les arbres, égaient l’atmosphère. Les rues sont déjà encombrées par les voitures et les piétons. Je dévisage les gens. Des barbus croisent des filles en jeans. Des femmes voilées cheminent avec d’autres les cheveux aux vents. Des jeunes aux coiffures iconoclastes empruntent le même chemin que des quadras en costume-cravate. Un enfant promène son chien. Ils gambadent, joyeux. Je vois une société bigarrée, traversée par des courants multiples, divers, certains irréconciliables. Pourtant, elle baigne dans l’harmonie, tel le ciel inondé par la sérénité du matin. Le monolithisme des siècles passés a cédé le pas à une mosaïque de valeurs et de croyances. Le monde obéit dorénavant à un rythme effréné de mutations qui forcent son évolution incessante, sous l’effet de technologies qui bouleversent son quotidien, de fois qui se posent en crédos salvateurs, et d’idéologies radicales qui excluent toute vision alternative.
Et ce monde que je vois ce matin m’empêche d’abonder dans le sens de Laurent Artur du Plessis, combien même l’auteur puiserait ses arguments dans la rationalité du réalisme, et que ses augures passés se soient réalisés par ailleurs. Le monde que je vois me fait récuser ses abus de langage et ses généralisations qui stigmatisent sous un vocable belliqueux des fois par essence paisibles. Je ne veux croire qu’en ce soleil radieux, cet azur lumineux, ces visages souriants, cette jeunesse confiante, ces travailleurs inlassables. J’oublie les antagonismes, les contradictions, les mesquineries, les jalousies, les impérialismes, les obscurantismes, les extrémismes.
Optimiste impénitent, j’ai foi en une sagesse immémoriale qui a toujours prévalu sur la folie meurtrière des hommes.
Le monde ne s’embrasera point.

Rida Lamrini - 20 mars 2013

mercredi 13 mars 2013

La dissertation de la vie


Mon voisin est un homme exquis. Le sourire en permanence sur les lèvres, il a toujours un mot gentil pour ceux qu’ils croisent. Il est connu pour se consacrer aux autres. Je le rencontre tôt ce dimanche dans la pâtisserie du quartier. Spontanément, nous prenons le chemin du café avoisinant pour un thé matinal. Je me réjouis d’avance de mieux le connaître.
Ce que j’apprends m’émeut profondément. Il consacre tout son temps et une bonne partie de ses ressources à aider les jeunes à réaliser leurs projets professionnels. Il a également mis en place un réseau d’avocats et de centres d’écoute pour assister les femmes violentées. Par ailleurs, une de ses associations s’occupe des enfants qui ont élu domicile dans les rues. On ne lui connaît pas d’activité professionnelle. Comment subvient-il à ses besoins ? Je n’ose lui demander.
– Vous faites un travail admirable, finis-je par lui dire. Ça doit être gratifiant.
Il se contente de sourire.
– Vous devez susciter des vocations autour de vous, ajouté-je.
– Détrompez-vous mon cher monsieur, rétorque-t-il. Mes activités ne suscitent qu’interrogations sceptiques et commentaires défiants. Certains vont même jusqu’à m’attribuer d’inavouables desseins.  Au mieux, ceux qui ont de la sympathie pour ce que je fais, comprennent mal que ça ne me rapporte rien. Mais vous savez, je m’en préoccupe comme de ma première carie. Ce que je fais ne concerne que moi.
Je prends congé de mon voisin, ébloui par son engagement, perplexe par ses propos.
Sur le chemin du retour à la maison, je croise la dame de l’immeuble mitoyen. Elle se consacre à l’amélioration des conditions de ses prochaines : femmes violées, inégalité des salaires dans le monde du travail. Nous échangeons un bref salut. Je songe aux ragots colportés sur elle. Selon les mauvaises langues, sa motivation émanerait d’un inextinguible appétit d’arriver au pouvoir.
Arrivé chez moi, je trouve mon épouse qui m’attend pour le petit déjeuner. Je dépose les gâteaux ramenés de la pâtisserie, m’installe à table et me mets à lui raconter mes rencontres du matin.
– C’est pas étonnant, lance-t-elle après m’avoir écouté, tout en versant le café. Tu veux savoir mes misères avec notre cercle de femmes ? Nous y sommes pour aider d’autres femmes à monter leurs petites affaires ! Uniquement ! Eh bien, je suis dégoûtée par les mesquineries de certaines de nos membres. Si je m’écoutais, je laisserais tomber. Alors je continue comme si de rien n’était. Trop de malheureuses ont besoin de nous.
Ma fille déboule, folle de joie, accompagnée de son amie.
– Félicitez-là, elle vient d’être promue dans son boulot ! crie-t-elle fièrement.
– À quel prix ! ajoute son amie, d’habitude timide. Mes collègues sont depuis devenus froids avec moi.
Mon fils nous rejoint, l’air préoccupé.
– J’ai eu les félicitations du prof pour mon exposé, dit-il sans enthousiasme.
– Eh ben voilà une bonne nouvelle ! lui fais-je. Tu travailles si durement.
– Ouais, avec ça j’ai droit au harcèlement de mes camarades de classe, ajoute-il.
Mon épouse intervient :
– Il n’y a là rien de surprenant. Un ami m’a dit un jour : lorsqu’une entreprise de construction s’installe quelque part, dix entreprises de destruction s’installent aussitôt à côté.
Mon fils s’impatiente :
– Maman, j’ai autre chose à faire que d’écouter des délires philosophiques. Papa, j’ai besoin que tu m’aides pour ma dissertation, tu veux bien ?
– C’est quoi le sujet ? demandé-je, ravi que mon fils m’invite à réfléchir avec lui sur ses devoirs.
– Une citation d’Albert Einstein : les grands esprits ont toujours rencontré une opposition farouche des esprits médiocres. T’en penses quoi ?
– … !???

Rida Lamrini - 13 mars 2013

mercredi 6 mars 2013

Ainsi va la vie


Nous venons d’atterrir à Casablanca. Heureux d’être enfin de retour au bercail, mais préoccupé. Les journaux que j’ai feuilletés durant le vol rapportaient un sondage selon lequel 42 % de mes concitoyens souhaitent émigrer afin d'accéder à de meilleures conditions de vie via un emploi à l'étranger. Je prends congé du commandant du bord. Il eut l’amabilité de m’inviter dans le cockpit. Je lui fais part de ma fascination devant cette belle invention qu’est l’avion. Il me surprend en disant que, pour lui, chaque vol est un sujet d’émerveillement !
Durant le trajet vers la sortie, je songe à cet endroit qu’est l’aéroport. Faut-il y voir la transcendance du génie humain qui, des siècles après Icare, a ployé monts et océans sous son aile et fait de la terre entière son village ? Ou bien le lieu qui abrite les soubresauts et les chocs de millions de vies, au rythme des départs et des arrivées des avions ? Ou plus tristement, la ligne de fracture qui zèbre nos sociétés souffrantes ? Telle une faille sismique qui sépare vallées fertiles et espaces arides, un aéroport marque dans une société inégalitaire la frontière entre privilégiés ouverts sur l’universalité du monde et miséreux peinant à survivre dans un quotidien laborieux.
J’essaie de deviner parmi ces voyageurs ceux qui n’ont pris qu’un aller simple vers un ailleurs idéalisé. J’aimerai partager avec eux l’indicible sentiment que procure le retour à la terre natale. Leur parler de ces séjours à l’étranger qui prennent des allures de calvaire dès qu’ils dépassent la semaine. Leur apprendre que l’ouïe de l’oiseau migrateur, façonnée par l’évolution millénaire de son espèce, ne réagit qu’à la fréquence de l’appel du terroir. Nul part ailleurs, la vie ne coule autant dans les veines que sur le sol natal. Nulle part ailleurs, on trouve ce bleu éclatant du ciel. Nulle part ailleurs, on sent ces caresses des rayons du soleil sur des peaux avides de chaleur. Nulle part ailleurs, la nature a cet incomparable calme enveloppant, fait de contrastes saisissants et d’harmonie sereine.
Bordé d’un océan mythique et d’une mer paradisiaque, ancré autour de montagnes majestueuses, riche de plaines généreuses et de déserts ensorcelants, béni de saisons clémentes, ce beau pays, terre d’abondance et de bonheur pour ses habitants, havre de paix et de liberté pour ses visiteurs, a enfanté, nourri, protégé et repris dans son sol des générations d’hommes et de femmes.
Aujourd’hui, la velléité de départ de près de la moitié de ses enfants augure-t-elle de temps tourmentés ? Des tempêtes seraient-elles sur le point de se lever dans un monde aux horizons incertains ? Quelle que soit la dureté des épreuves à venir, la vieille histoire d’amour entre cette belle contrée du nord-ouest du continent antique et son peuple béni continuera à défier le temps et l’adversité, une histoire écrite par ceux qui, oubliant leur personne, ont d’abord donné à leur pays, pour que d’autres jouissent de ses richesses.
Pour autant, comment ne pas comprendre ces candidats au départ qui veulent tenter leur chance sous d’autres cieux, explorer d’autres contrées, influer le cours de leur destin en virant de bord ? Le pays qui les enfanté, pays du soleil couchant, n’a-t-il pas lui-même donné naissance, il y a bien des siècles, à un peuple de voyageurs, de savants, d’artisans, d’écrivains, de cultivateurs, de commerçants, d’éleveurs, de peintres, de poètes, de nomades, de musiciens, de réfugiés, de visiteurs, d’astronomes, de médecins, d’oulémas, de soldats, d’érudits, d’inventeurs…
Blancs, noirs, juifs, musulmans, chrétiens, agnostiques, riches, pauvres, ascètes, jouisseurs, habitants du nord, nomades du désert, immigrants, réfugiés, persécutés, génération après génération, cette terre a veillé sur leur unité, comme ils ont veillé sur son intégrité. Elle leur a procuré ses richesses, ils lui ont donné sa grandeur. Elle leur a légué le patrimoine de leurs aïeux, ils ont façonné le futur de leurs enfants. Ensemble, terre et peuple ont traversé les siècles fiers, sans arrogance, forts, sans orgueil.
Ceux qui sont partis ou s’apprêtent à le faire trouveront une autre contrée tout aussi accueillante, tout aussi merveilleuse, avec laquelle ils construiront une nouvelle et belle histoire d’amour, comme si elle était leur terre natale. Tout comme d’autres sont en train de venir d’ailleurs, d’un ailleurs tant convoité par 42% des nôtres… Ainsi s’opère le brassage des peuples, ainsi se fécondent les civilisations.
Ainsi va la vie. Ainsi va le monde.

Rida Lamrini - 06 mars 2013